La Commission von der Leyen II a attendu sept mois avant de déposer sa proposition d’amendement de la loi climat de l’UE adoptée en 2021, afin d’y introduire l’objectif de 2040. « Il s’agit d’un sujet sensible. D’après mon expérience, la politique tient autant au processus pour obtenir une majorité et à la communication qu’au contenu politique lui-même », a justifié le commissaire européen au Climat Wopke Hoekstra, qui a présenté le plan en compagnie de la n°2 de la Commission, la vice-présidente Teresa Ribera chargée de la Transition propre, juste et compétitive.
Avant même d’avoir été présenté, la proposition de la Commission – dont le dépôt a été reporté à plusieurs reprises – a en effet fait l’objet de critiques et de certains États membres, dont la France, et de la droite du Parlement européen. Leur crainte est que l’Union se fixe un objectif climatique sans avoir suffisamment réfléchi aux moyens d’y parvenir et aux conséquences. Et donc que les ambitions européennes aient pour effet pervers d’aggraver le retard de compétitivité économique pris sur les États-Unis et la Chine. Aussi, si le cap de 90 % est maintenu, la feuille de route offre désormais davantage de latitudes pour y parvenir, à travers différentes « flexibilités », censées rasséréner les inquiets
Avant même d’avoir été proposé par la Commission, l’objectif climatique pour 2040 échauffe les esprits des EuropéensUne partie de l’effort européen réalisé hors de l’Union
Un des éléments marquants de la proposition de la Commission est la possibilité d’utiliser, dès 2036, des « crédits carbones internationaux de haute qualité », un mécanisme prévu par l’article 6 de l’accord de Paris – pour contribuer à l’objectif européen. Concrètement, cela signifiera que l’UE financera des projets permettant de réduire des émissions dans des pays tiers, mais que ces réductions seront comptabilisées dans l’effort européen, jusqu’à 3 % du niveau d’émissions de 1990. C’est précisément le pourcentage qui figure dans l’accord de coalition du gouvernement allemand, réunissant les chrétiens-démocrates et les sociaux-démocrates. Et ce n’est pas rien.
Le groupe des Verts au Parlement européen et les ONG environnementalistes dénoncent ce qu’ils considèrent être un artifice dont l’effet pourrait, qui plus est, détourner de l’UE des investissements qui se dirigeraient vers d’autres continents. « L’endroit où on réduit les émissions à peu d’importance », défend le commissaire Hoekstra. Le Néerlandais assure que tout le monde en sort gagnant. « Nos amis du Sud sont en contact avec nous, parce qu’ils voient la valeur ajoutée » de ce système.
Flexibilités internes
La Commission a prévu d’autres mécanismes de flexibilité, afin d’atténuer les effets de l’effort de réduction pour les États membres. Ainsi suggère-t-elle de comptabiliser les absorptions de carbone, tant naturelles (par l’usage des terres et des forêts) qu’industrielles dans la réalisation des objectifs de réduction des émissions. Il est également question d’intégrer la capture et le stockage de CO2 au marché carbone (l’ETS, qui permet aux entreprises d’acheter des quotas d’émissions de carbone). Une entreprise, active dans la bioénergie, par exemple, qui capture et stocke du CO2 pourrait recevoir des permis et les vendre sur le marché. « C’est un levier supplémentaire pour les entreprises, si la technologie existe et qu’elle est efficace, de réduire leurs émissions de manière moins compliquée », expose l’eurodéputé centriste français Pascal Canfin (groupe Renew).
L’exécutif européen propose encore d’apporter davantage de flexibilité sans le calcul de l’effort de réduction mené par un pays de l’Union. « Cela permettrait à un État membre, par exemple, de compenser les difficultés qu’il rencontre dans le secteur de l’utilisation des sols par une réduction des émissions plus importantes des émissions dans le domaine des déchets et des transports », détaille Wopke Hoekstra.
Pour favoriser les chances d’atteindre les 90% annonce que les futures propositions du futur paquet « Fit for 90 » en matière de climat et d’énergie pour post-2030 tiendront compte de la neutralité technologique. De quoi ravir la France et les pays « amis de l’atome », puisque cela conférerait au nucléaire le même statut que les énergies renouvelables en tant que technologies permettant la décarbonation.
Une adoption rapide ?
Sera-ce suffisant pour rallier des majorités au Conseil et au Parlement pour amender la loi climat ainsi que le propose la Commission ? A voir. Les conservateurs du Parti populaire européen (PPE), première force au Parlement européen, et plusieurs États membres, jugent que le compte n’y est pas encore en termes d’actions européennes pour intégrer la dimension compétitivité à l’effort climatique.
La question des échéances fait aussi débat. La présidence danoise du Conseil ambitionne que la loi intégrant l’objectif 2040 soit adoptée d’ici novembre au plus tard, en vue la Cop 30 qui se tiendra à Bélem, au Brésil. Elle veut lier la progression de ce dossier à l’adoption l’objectif de réduction pour 2035 que l’UE est censée présenter aux Nations unies en septembre, dans le cadre de l’accord de Paris.
Certains pays comme la Pologne, la République tchèque, l’Italie et la France veulent découpler les deux, estimant que l’objectif 2040 réclame une discussion plus approfondie. La Belgique n’a pas encore d’avis sur la question.