Setareh, 27 ans, est arrivée à Nice à la rentrée 2023, inscrite dans un master à l’université Côte d’Azur (1).
Partie en vacances à Téhéran juste avant la guerre des 12 jours déclenchée par Israël, elle espère revenir ce vendredi 4 juillet à Nice, malgré la suspension des vols en Iran.
Pourquoi être partie en Iran, malgré les risques?
Je voulais rendre visite à mon grand-père, atteint d’un cancer. Je suis partie fin mai, et mon vol retour était prévu le 16 juin. Dans la nuit du vendredi 13 au samedi 14, on a entendu beaucoup de bruit. Avec mes parents, nous pensions que c’était l’orage. On ne pensait pas que la guerre pouvait sérieusement arriver. Alors quand je me suis réveillée et que j’ai vu les infos, j’ai été choquée. Et j’ai tout de suite compris que je ne pourrais pas rentrer à Nice le lundi.
Comment comptez-vous revenir à Nice, alors que les vols sont suspendus?
Nous allons conduire jusqu’à la frontière turque pour prendre un avion là-bas. Nous devons passer la frontière à Razi, à une centaine de kilomètres de Van, à l’est du pays. Je devrais arriver vendredi à Nice. Beaucoup de gens qui étaient en vacances, surtout des étudiants, qui font comme moi. Ce n’est pas illégal, car on peut aller en Turquie avec le passeport iranien. Donc il n’y a pas trop de risques.
Comment avez-vous vécu la guerre ?
Les bombardements israéliens ont causé d’importants dégâts à Teheran. DR.
Comme beaucoup de monde, on a fui Téhéran, et on est allé se réfugier au nord du pays, au bord de la mer Caspienne. Il y avait beaucoup de bouchons sur la route. On est resté deux semaines, sauf mon père qui devait retourner travailler au bout d’une semaine. Il travaille dans la fonction publique, donc il n’avait pas le choix. C’est là que notre quartier a été bombardé, et des fenêtres ont explosé quand il dormait. Israël avait prévenu qu’ils allaient attaquer ce quartier, mais internet avait été coupé, donc mon père n’avait aucun moyen de savoir. Et le gouvernement n’a pas prévenu. Ils sont forts pour crier « mort à Israël » et fabriquer des missiles, mais ils n’ont jamais rien prévu pour le peuple en cas de guerre. Il n’y a aucun abri pour se protéger.
Vous avez eu peur?
Personnellement, j’avais surtout peur des conséquences financières de la guerre. Les pénuries alimentaires, l’impossibilité de retirer de l’argent… Car je sais que le gouvernement israélien ne ciblait pas les civils – même si de nombreux civils sont morts. Je n’avais pas peur que quelque chose m’arrive. Mais je sais que beaucoup d’Iraniens avaient peur, et font encore des cauchemars aujourd’hui.
Vous faites confiance à Israël?
Je ne suis pas avec le gouvernement israélien. Pendant le conflit, j’ai regardé X (ex-Twitter), et j’ai compris que les Iraniens étaient divisés en trois groupes. Le premier, ce sont les gens qui supportent le régime. Ils sont très minoritaires, et pour moi, ils sont responsables de la guerre. Imaginez, chez vous, dans quel état serait le pays si l’extrême droite avait le pouvoir depuis 50 ans.. Quand j’étais petite, je devais marcher sur le drapeau israélien, je ne comprenais pas pourquoi. Ce n’est pas ma guerre, c’est celle du régime et des gens qui le supportent. Le deuxième groupe, c’est ceux qui sont contre la guerre, mais qui voient dans celle-ci des choses positives. Comme tous ces généraux qui ont été tués, qui étaient des bourreaux du peuple en novembre 2019, quand le gouvernement a tué au moins 1.500 personnes. Quand ils sont morts, j’étais contente. Le troisième groupe est complètement opposé la guerre, et ne trouve rien de positif en elle. Ils disent que c’est une invasion. Mais à mon avis, notre pays est déjà sous occupation par le régime. Il difficile d’exprimer ce que je ressens. Je ne suis pas heureuse, car beaucoup de civils ont été tués. Je veux que le régime change, mais je pense pas qu’Israël puisse le faire. C’est à nous de le faire. Peut-être une autre fois. ..
Pensez-vous que le prince héritier Reza Pahlavi puisse jouer un rôle?
Il ne veut pas diriger le pays, il l’a dit à plusieurs reprises, il veut juste diriger la transition. De toute façon, la majorité des Iraniens, moi y compris, ne veulent pas d’un nouveau leader. Mais je crois en lui pour une période de transition, pour éviter le chaos. C’est mieux que rien. Et peut-être même que Pahlavi pourrait collaborer avec le président Pezechkian. Car je pense qu’il faut bien séparer les gardiens de la révolution, les mollahs, et le guide suprême, de certains membres du gouvernement. Et éviter une vacance du pouvoir.
Que pensent les gens en Iran?
La plupart sont déçus. Car il y a eu une guerre, les infrastructures ont été détruites, mais le dictateur existe toujours (le guide suprême Ali Khamenei, Ndlr). Et maintenant, on a peur que le régime prenne sa revanche sur les civils. Beaucoup de personnes ont été arrêtées, accusées d’être des espions à la solde d’Israël.
Pourquoi revenez-vous à Nice?
J’ai eu mon master cette année, et maintenant, avec mon titre de séjour, j’ai un an pour trouver un job. J’aimerais travailler dans le monde du parfum, c’est pour ça que je suis venue dans le sud de la France. Donc je vais chercher des opportunités, ici ou ailleurs. Étudier à l’étranger, c’est une très belle expérience. Je souhaite à tout le monde de pouvoir le faire. Et particulièrement, à Nice, parce que c’est une des plus belles villes du monde.
1. Le prénom a été changé.