Par
Emilie Salabelle
Publié le
3 juil. 2025 à 7h16
Tignasse blanche ébouriffée, chemise légère déboutonnée au col, le professeur Jean-Jacques Altman 77 ans, enchaîne avec bonhomie ses consultations de la matinée. Depuis juin 2025, l’endocrinologue et diabétologue, ancien chef de service à l’hôpital Georges-Pompidou, accueille ses patients dans un vaste cabinet immaculé, où flotte encore un certain vide malgré les machines et tables d’auscultations flambant neuves. Comme lui, ils sont une cinquantaine de médecins retraités à investir le nouveau centre de spécialités médicales Odon-Vallet, qui vient d’ouvrir au 15 boulevard Général Jean Simon à Paris (13e). Rhumatologue, gastro-entérologue, ORL, cardiologue, gynécologue… La plupart sont d’anciens professeurs des universités et praticiens hospitaliers (PU-PH). Dans le désert médical qu’est l’Île-de-France, ce centre d’un nouveau genre permet de consulter rapidement des praticiens expérimentés dans des spécialités recherchées, le tout sans dépassement d’honoraires.
« Revoir des patients en présentiel »
« Quand j’ai appris l’existence de ce centre, je me suis précipité », raconte le Dr Altman. Après plus de 50 ans à travailler à l’AP-HP, l’envie d’exercer n’a pas bougé d’un iota. « Depuis ma retraite officielle à 72 ans, j’ai continué à travailler. J’étais expert sur un site en télé-consultation. Mais ici, je peux revoir des patients en présentiel. C’est très agréable. Et ça me permet de continuer à pratique ma spécialité, qui évolue beaucoup ces dernières années sur le plan thérapeutique ».
Les spécialistes retraités trouvent à travers cette formule une grande flexibilité, avec en moyenne une journée travaillée par semaine. Le Pr Saïd Honarfar, ORL, travaille actuellement deux jours par semaine au centre. « Le système est très souple. Si on doit s’absenter un ou plusieurs mois, ce n’est pas un problème. » Outre l’équipement de pointe, les médecins sont libérés de toutes contraintes administratives. « Sans la paperasserie qui peut être très chronophage, c’est une formule idéale. Vous voyez les patients et vous ne vous occupez de rien d’autre. On peut prendre plus de temps pour chaque consultation », juge le médecin ORL.
Dans la salle de consultation d’à côté, le Pr Jean-Christophe Mercier, pédiatre, affiche lui aussi une motivation inaltérable à 78 ans. « Partir à la pêche, ce n’est pas mon genre. J’ai envie de voir un tas d’enfants ! », rigole l’ancien chef du service des urgences pédiatriques de l’hôpital Robert-Debré et du service de pédiatrie-urgences de l’hôpital Louis-Mourier à Colombes. C’est important de permettre aux médecins qui ont aimé plus que tout la médecine de continuer à rendre service à la population« , estime le soignant.
« Retraite forcée »
C’est en partant de ce constat que le centre Odon-Vallet a été créé, explique à actu Paris l’un de ses fondateurs, Jérémy Renard. « La plupart de ces médecins sont d’anciens fonctionnaires de l’hôpital public qui ont subi une retraite forcée. Ceux qui veulent continuer de travailler sont mis dehors avec très peu d’alternatives. Au mieux, on leur propose un contrat de consultant junior. Beaucoup se sentent déclassés, déconsidérés », développe l’entrepreneur venu du monde de la start-up et de la création d’entreprise. « Je pense qu’il faudrait repenser le modèle de la retraite. Ça ne devrait pas être un bouton on/off, mais un passage progressif, avec du temps allégé, de la formation… »
La création du centre a nécessité un investissement de plus d’1 million d’euros, financé essentiellement par la fondation Vallet à hauteur de 600 000 euros. La Ville de Paris a participé à hauteur de 180 000 euros, et la région Île-de-France 100 000 euros. « Le projet a été très compliqué à monter, car on ne rentrait dans aucune case, mais on a fini par avoir la validation de l’ARS. On n’a jamais réuni un tel concentré de savoirs dans un tel endroit, avec des médecins retraités. Mais on a fini par avoir la validation de l’ARS », se félicite Jérémy Renard.
« Ça change des centres médicaux expéditifs »
Le modèle, encore peu connu, va devoir faire ses preuves. « Il faut qu’on trouve de nouveaux patients, pour atteindre un taux d’occupation minimum de 80 %. Aujourd’hui, on a environ 40 % », glisse le directeur général du centre.
Si la salle d’attente reste encore clairsemée, de nouveaux patients ne tardent cependant pas à arriver. Son nouveau-né de 12 jours dans les bras, Naima sort justement d’une consultation en pédiatrie. « J’habite juste à côté. C’est super de pouvoir consulter des gens expérimentés vu la pénurie de médecins dans toutes les spécialités. Je trouve ça rassurant. Ça me change des centres médicaux expéditifs. Là, le médecin a pris le temps. On sent que ce n’est pas à la chaîne. »
Michel, venu consulter pour des problèmes de vertiges, il a apprécié trouver un rendez-vous ORL rapidement. « D’habitude, j’en ai pour quatre mois d’attente. » Audrey, elle, est venue de beaucoup plus loin pour consulter le pédiatre. « On habite en Essonne. Il n’y avait aucune disponibilité près de chez nous. Ici, on a un médecin qui a de l’expérience à des tarifs très corrects », se félicite cette infirmière de profession.
Les soignants sont rémunérés entre 350 et 500 euros bruts par jour, soit environ 250 euros net. Un salaire bien inférieur à ce qu’ils gagnaient en fin de carrière à l’AP-HP. Mais la rémunération n’est pas leur motivation principale, assurent ceux qu’actu Paris a interrogés. « Je trouve ça très bien de pouvoir offrir des consultations de secteur un avec des professeurs qui ne sont pas encore complètement gâteux », sourit pour sa part l’endocrinologue Jean-Jacques Altman.
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