La douleur est une
expérience universelle, mais qu’en est-il chez les tout-petits, ces
êtres fragiles qui viennent à peine de naître ? Pendant longtemps,
la douleur chez les nouveau-nés, et particulièrement
chez les prématurés, a été considérée sous un prisme simple : ils
ressentiraient la douleur comme les adultes, avec la même
intensité. Une nouvelle étude menée par l’University College de
Londres vient bouleverser cette idée reçue.

Un phénomène bien plus complexe
qu’on ne le croit

Chez l’adulte, la douleur ne se
résume pas à une simple sensation physique. Elle est une expérience
multidimensionnelle mêlant sensations corporelles, émotions et
interprétations cognitives. Derrière cette expérience se cache un
réseau complexe de régions cérébrales appelé le « connectome de la
douleur ». Ce réseau intègre différentes fonctions : détecter la
douleur, réagir émotionnellement à celle-ci, et enfin la
comprendre.

Mais qu’en est-il du cerveau
immature d’un bébé ? Est-il capable de vivre la douleur comme un
adulte, avec ses réponses émotionnelles et cognitives ? C’est la
question à laquelle le professeur Lorenzo Fabrizi et son équipe ont
tenté de répondre.

La maturation progressive du
cerveau

Pour étudier ce phénomène, les
chercheurs ont analysé les données d’IRM de plus de 370
nourrissons, incluant des prématurés dès 32 semaines de gestation
jusqu’à des bébés nés à terme. Leur objectif : observer la
maturation progressive des différentes parties du cerveau
impliquées dans la douleur.

Leur découverte est claire :
le traitement de cette sensation chez le nourrisson se développe en
plusieurs étapes, correspondant à la maturation progressive des
réseaux cérébraux.

  • Entre 34 et 36 semaines de gestation, le
    réseau sensoriel-discriminatif, qui permet de localiser la douleur
    et d’évaluer son intensité, commence à fonctionner presque comme
    chez l’adulte. Cela signifie que même un bébé prématuré est capable
    de ressentir une gène physique.

  • Vers 36 à 38 semaines, le réseau
    affectif-motivationnel, qui génère la réponse émotionnelle à la
    douleur — une sensation désagréable ou menaçante — se met en
    place.

  • En revanche, le réseau
    cognitif-évaluatif, qui permet de donner un sens à la douleur, de
    la contextualiser ou de la comprendre, n’atteint pas la maturité
    avant bien après 42 semaines. Autrement dit, même un nouveau-né à
    terme ne peut pas pleinement interpréter ce qu’il lui arrive.

tête bébés douleur

Crédit :
iStock

Crédits : Liudmila Chernetska/istockUne perception bien
différente chez les bébés

Cette découverte fondamentale
signifie que, pour un bébé, la douleur est avant tout une sensation
brute, sans l’interprétation émotionnelle ou cognitive qui
structure l’expérience chez un adulte. Le nourrisson peut donc
ressentir la douleur, mais ne la comprend pas, ni ne développe les
mécanismes psychologiques complexes qui permettent d’y faire
face.

Ce constat est
particulièrement crucial pour les bébés prématurés, souvent soumis
à de multiples interventions médicales douloureuses. Une étude
antérieure du même groupe de recherche avait déjà montré que ces
prématurés ne développent pas d’habituation à la douleur : leur
cerveau ne s’adapte pas, et chaque douleur reste intense.

Cette nouvelle étude explique
pourquoi : sans réseaux cérébraux matures pour gérer
émotionnellement ou cognitivement la douleur, ils restent
vulnérables, incapables de créer des mécanismes de défense ou de
résilience face aux douleurs répétées.

Quelles implications pour les
soins néonatals ?

Les résultats de cette recherche jettent une
lumière nouvelle sur la manière dont les équipes médicales
devraient aborder la douleur chez les nouveau-nés, et plus encore
chez les prématurés.

Il ne s’agit plus seulement de
traiter la douleur physique, mais d’intégrer la complexité du
développement cérébral pour adapter les soins. Cela signifie :

  • Une gestion plus rigoureuse et adaptée de la
    douleur
    , même pour des interventions considérées
    mineures.

  • La mise en place de protocoles spécifiques
    qui limitent les stimuli douloureux, surtout dans les unités de
    soins intensifs néonatals.

  • Un accompagnement plus doux et progressif,
    prenant en compte la vulnérabilité du cerveau immature.

Le professeur Fabrizi insiste
: « Nos résultats soulignent à quel point il est crucial de
repenser la prise en charge de la douleur chez les nourrissons, car
leurs cerveaux ne sont pas équipés pour gérer la douleur comme ceux
des adultes. »

Au-delà des soins médicaux,
cette recherche pose aussi une question éthique importante : la
douleur chez le bébé est une réalité indéniable, mais sa
perception, sa compréhension et son traitement doivent être
réévalués pour mieux protéger les plus vulnérables.