Condamné pour avoir fait du chantage à sa propre sœur, avec une prostituée, Charles Kushner est devenu le 19 mai l’ambassadeur des États-Unis en France. Derrière ce sulfureux patriarche se cache une dynastie dont le destin s’entremêle à celui des Trump.

Son passé sulfureux n’a pas empêché Donald Trump de le nommer ambassadeur en France. Charles Kushner, 71 ans, père de Jared Kushner – gendre et ancien conseiller du président américain – débarquera prochainement à Paris avec dans ses bagages un CV pour le moins controversé. Ce milliardaire de l’immobilier, condamné en 2005 pour fraude fiscale et chantage, est le symbole d’un pouvoir «kleptocratique», comme l’analysent les milieux diplomatiques parisiens.

Une vengeance orchestrée à coups de chantage

Charles Kushner assiste aux funérailles d’Ivana Trump à l’Église catholique romaine St. Vincent Ferrer. (New York, le 20 juillet 2022.)
MICHAEL M. SANTIAGO / AFP

L’affaire qui a valu à Charles Kushner quatorze mois de prison fédérale restera dans les annales judiciaires américaines. En 2002, face aux témoignages à charge de son frère Murray et de sa sœur Esther dans une enquête pour fraude, «Charlie» – comme on l’appelle – a orchestré une vengeance digne d’un thriller. Prévenu de l’infidélité notoire du mari d’Esther, il a payé un policier proche de la retraite 25.000 dollars pour qu’il piège Billy avec une prostituée. Le milliardaire avait alors envoyé la vidéo des ébats à sa sœur pour la faire taire. «Vil et odieux» : ce sont les mots Chris Christie, alors procureur fédéral du New Jersey, pour qualifier ce comportement, comme on peut le lire dans le New York Times . Une trahison familiale que Charles Kushner avait jugée intolérable. «Je ne suis pas une personne parfaite», a reconnu l’intéressé lors de son audition devant le Sénat américain en mai dernier, admettant avoir commis «il y a plus de vingt ans», une «très très très sérieuse erreur».

Charles Kushner, à droite, se rend au tribunal de district des États-Unis avec sa femme Seryl. (Newark, le 18 août 2004.)
CHRIS HONDROS / AFP


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L’empire des «bâtisseurs de l’Holocauste»

Derrière ces scandales se cache pourtant une success-story à la sauce américaine, très détaillée par Andrea Bernstein, journaliste du New York Times  et auteure de American Oligarchs: The Kushners, the Trumps, and the Marriage of Money and Power. Les Kushner font partie de ceux qu’on a surnommés «Holocaust Builders» – les «bâtisseurs de l’Holocauste» – des réfugiés juifs qui ont fait fortune dans l’immobilier après la Seconde Guerre mondiale.

Joseph et Rae Kushner, les parents de Charles d’origine biélorusse, sont arrivés à New York en 1949 après deux semaines à bord du S.S. Sobieski. Au moment de débarquer sur les quais, ils sont «émaciés, dépenaillés et parlent très peu anglais». Mais un nouveau chapitre s’ouvre à eux. Grâce à l’aide de l’association américaine d’aide aux réfugiés HIAS (Hebrew Immigrant Aid Society), Rae, Joseph et leur petite Linda, ainsi que Lisa, la sœur de Rae, et leur père Naum, ont obtenu leur visa pour les États-Unis. Il s’agit alors de démarrer une nouvelle vie, loin des traumatismes de la guerre. Car quelques années plus tôt, Rae Kushner, née en 1923 à Novogrudok (aujourd’hui en Biélorussie), a survécu à la Shoah.

Enfermée dès 1941 avec sa famille dans le ghetto juif établi par les nazis, elle participe en 1943 à une évasion spectaculaire via un tunnel creusé en secret par les prisonniers à l’aide de morceaux de bois ou de cuillères. Après quoi, Rae, son père et sa sœur survivent secrètement dans un camp caché dans la forêt, tenu par le groupe des frères Bielski (ce groupe de résistants a protégé plus de 1200 Juifs dans les bois de Naliboki).

Là, Rae contribue activement à la vie du camp, assurant parfois la garde et participant à la préparation des repas, jusqu’à la libération de la région par l’Armée rouge en 1944. Là-bas, elle retrouve aussi Joseph Kushner (Yossel), qu’elle connaît d’avant la guerre. Les deux se marient en août 1945 à Budapest, puis traversent clandestinement plusieurs pays, dont la Tchécoslovaquie et la Hongrie, avant d’arriver en Italie. Ils y restent quatre ans où ils vivent dans un camp de personnes déplacées près de Rome, en attendant un visa pour les États-Unis. En 1949, l’American dream devient réalité. Joseph commence par être charpentier.

Puis, installée dans le New Jersey, la famille Kushner se lance dans l’immobilier. Et le succès est au rendez-vous. Joseph Kushner possède à son apogée quelque 4000 appartements. Un empire que son fils Charles reprendra en créant Kushner Companies en 1985. Forbes estimait en octobre que l’empire familial valait 2,9 milliards de dollars, dépassant même le portefeuille immobilier de Donald Trump.

Jared, le gendre glacial

Jared Kushner entouré de ses parents Charles et Seryl Kushner lors du lancement du site Internet du New York Observer au restaurant Four Seasons. (New York, le 18 avril 2007.)
Patrick McMullan / Getty Images


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Mais au-delà de Charles, Joseph et Rae Kushner, il y a surtout Jared qui n’est autre que le mystérieux et fidèle gendre de Donald Trump. Quand son père est condamné dans les années 2000, Jared Kushner n’a que 24 ans. «Presque du jour au lendemain, M. Kushner, encore étudiant en droit, est devenu le visage public de l’entreprise familiale», rapporte le New York Times . En semaine, il visite les chantiers ; le week-end, il s’envole pour l’Alabama rendre visite à son père en prison. «Il était le meilleur fils pour son père en prison, le meilleur fils pour sa mère, qui a terriblement souffert, et il était un père pour ses frères et sœurs», témoignera plus tard Charles Kushner au New York Magazine . Les deux hommes sont restés fusionnels depuis cette époque : «Je parle à mon père de tout ce qui touche à ma vie», confiera Jared en 2009 au même hebdomadaire.

Sa rencontre avec Ivanka Trump est déterminante. Jared croise le chemin de sa future épouse en 2007, lors d’un déjeuner d’affaires organisé par un ami commun. Si l’on en croit un article de Marie Claire UK, le charme opère aussitôt. Il faut dire que les deux vingtenaires partagent beaucoup de points communs : tous deux ont grandi à New York, sont les enfants de millionnaires controversés de l’immobilier et utilisent leur influence familiale pour se lancer dans le monde des affaires. Ils ont beau être amoureux, Jared Kushner et Ivanka Trump se séparent brièvement en 2008 en raison de différends religieux. Issue d’une famille juive orthodoxe, la famille Kushner souhaite que Jared épouse une femme de confession juive, ce qui n’est pas le cas d’Ivanka, élevée dans la tradition de l’Église presbytérienne.

Leur réconciliation a lieu grâce à l’intervention de Wendi Deng, ex-épouse de Rupert Murdoch, qui les réunit lors d’une sortie en yacht. Jared demande ensuite sa petite amie en mariage avec une bague de fiançailles ornée d’un diamant de 5 carats. Pour lever l’obstacle religieux, Ivanka se convertit au judaïsme avant leur union, célébrée en grande pompe en 2009. Symbole de l’alliance de l’argent et du pouvoir.

Jared Kushner et son épouse Ivanka Trump quittent l’hôtel St Regis le jour du mariage du fondateur d’Amazon Jeff Bezos avec Lauren Sánchez. (Venise, le 27 juin 2025.)
MARCO BERTORELLO / AFP

Côté carrière, Jared Kushner a hérité et développé l’empire immobilier familial, Kushner Companies. Comment ? Par l’achat, la rénovation, la gestion et la revente de biens immobiliers, principalement résidentiels et commerciaux. L’homme d’affaires, qualifié par certains d’«oligarque américain», s’est aussi illustré en devenant haut conseiller du président des États-Unis lors du premier mandat de son beau-père. Son principal fait d’armes ? Avoir négocié les accords d’Abraham en 2020, qui ont normalisé les relations entre Israël et plusieurs pays arabes.

Mais depuis le revers électoral de Donald Trump lors de la présidentielle de 2020 face à Joe Biden, Jared Kushner a pris ses distances avec la politique pour revenir à son premier amour : l’immobilier. En 2021, il a lancé à Miami Affinity Partners, un fonds de capital-risque soutenu notamment par l’Arabie saoudite, à travers lequel il injecte de l’argent dans des entreprises à forte croissance et dans divers secteurs : finance, énergie, intelligence artificielle, centres de données, immobilier… Seulement, la polémique n’est jamais loin. Ces derniers projets immobiliers en Serbie et en Albanie, alimentés par les pétrodollars saoudiens, s’avèrent très controversés. Et certains observateurs voient encore sa main dans l’idée trumpienne d’évacuer Gaza pour y ériger une «Riviera du Moyen-Orient».

Joshua, le mouton noir démocrate

Joshua Kushner, fondateur de Thrive Capital, lors du forum Hill & Valley au Capitole. (Washington, le 30 avril 2025.)
Bloomberg / Getty Images


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À rebours de sa famille pro-Trump, Joshua Kushner, 40 ans, le petit frère de Jared, fait figure de «mouton noir». Ce démocrate assumé a refusé de voter pour Donald Trump et s’est construit un empire dans la tech. Patron du fonds d’investissement Thrive Capital, il a eu le flair et a parié très tôt sur des entreprises comme Instagram, Spotify, Slack ou encore OpenAI. «Il avait investi du temps dans Instagram un an avant d’investir de l’argent», a souligné Kevin Systrom, le cofondateur d’Instagram, à Forbes en 2017. «Sa crédibilité et sa réflexion stratégique comptaient bien plus que n’importe quel pedigree d’entreprise.» Il est également associé au PDG français d’Iliad, Xavier Niel.

Forbes estime aujourd’hui à 3,8 milliards de dollars sa participation dans Thrive Capital, faisant de lui «de loin le plus riche des Kushner». Il fait même partie des 400 personnalités les plus riches des États-Unis. Marié au mannequin Karlie Kloss depuis 2018, «Josh» Kushner mène une vie discrète entre son penthouse new-yorkais et ses villas de Malibu et Miami.

Joshua Kushner et Karlie Kloss au défilé Louis Vuitton, lors de la Fashion Week. (Paris, le 19 janvier 2023.)
Edward Berthelot / Getty Images

Les femmes dans l’ombre

Les sœurs Kushner, Nicole et Dara, restent dans l’ombre du clan. Nicole, directrice de Kushner Companies, s’est toutefois retrouvée sous les projecteurs en 2017 lors d’un voyage en Chine controversé. Comme le rapporte Town & Country, elle avait proposé à de riches investisseurs chinois le financement d’un projet immobilier familial avec ce slogan : «Investissez 500.000$ et immigrez aux États-Unis», se présentant comme la sœur de Jared. De Dara Kushner, en revanche, on ne sait que très peu de choses. Elle semble vivre une vie à l’écart des médias et du business familial.

Quant à la matriarche Seryl Kushner, elle détient avec son mari 20% de l’empire familial et assiste régulièrement aux réunions d’entreprise, décrites en 2016 par le mensuel américain Esquire comme «une affaire de famille» où «Charles et Jared sont assis côte à côte au centre d’une longue table». Parce que les maîtres de la famille, ce sont eux…