Un « vrai fait de société », pris depuis trop longtemps « à la légère ». Mardi, Aurore Bergé, ministre déléguée à l’Egalité femmes-hommes est revenue sur TF1 sur le projet d’attentat masculiniste déjoué à Saint-Etienne.
Timoty G. 18 ans, a été interpellé près d’un lycée public, puis mis en examen et écroué, suspecté de vouloir attaquer des femmes avec des couteaux. Il se revendiquait de la mouvance masculiniste « incel », de l’anglais « Involuntary Celibate » (célibataires involontaires). Il s’agit du premier dossier terroriste exclusivement lié en France à cette idéologie. Le signe d’une radicalisation ?
Laura Verquere, maîtresse de conférences à l’université de Lille, chercheuse en science de l’information et de la communication, spécialiste des masculinités, replace ces violences dans un contexte plus large pour 20 Minutes.
Avec ce projet d’attentat déjoué, est-ce qu’on assiste à une radicalisation des idées masculinistes et de la communauté incel ?
Le masculinisme a une histoire longue. Il désigne à la fois des idées antiféministes, misogynes et des mouvements de lutte. Ces derniers sont apparus dans les années 1980 en réaction à la seconde vague féministe des années 1970. A cette époque là, il y a déjà du terrorisme comme la tuerie de l’école polytechnique de Montréal en 1989, où des femmes ont été tuées parce qu’elles étaient des femmes dans des lieux de pouvoir. La différence dans le contexte actuel est peut-être que les réseaux sociaux numériques rendent ces idées plus visibles, d’autant plus avec l’élection de Donald Trump et les revirements de magnats de la tech, comme Mark Zuckerberg, propriétaire de Meta, ou Elon Musk, propriétaire de X. Le tout dans un contexte général de radicalisation de tous les discours, de polarisation des débats et des espaces publics et de montée de l’extrême droite populiste partout dans le monde.
Après son arrestation, le suspect a affirmé avoir consulté de nombreuses vidéos masculinistes, notamment sur TikTok. Quel est le rôle des réseaux sociaux dans ces passages à l’acte ?
Les communautés masculinistes, qui se regroupent par exemple autour de coach en séduction comme l’influenceur Alex Hitchens, ne sont pas nouvelles. Elles sont nées aux Etats-Unis et sont étudiées depuis longtemps. Les réseaux sociaux ne font pas exister ou apparaître les idées masculinistes. En revanche, ils les fédèrent et les catalysent. On remarque que les profils touchés par ces groupes sont aussi de plus en plus jeunes. Attention néanmoins à ne pas se focaliser sur le « coupable idéal ». Le masculinisme est ancien et il est exprimé de façon décomplexée dans les institutions politiques avec notamment des présidents comme Javier Milei, Donald Trump ou encore Jair Bolsonaro. Il ne s’agit pas que des jeunes et des réseaux sociaux, de même qu’il n’y a pas que la communauté des incels. En France, ces idées sont arrivées par le mouvement des pères divorcés par exemple. En ligne, on retrouve des idées masculinistes dans des communautés autour du bien-être, de la santé ou même de l’écologie. Et c’est ce qui fait que le discours gagne du terrain.
Est-ce une surprise que cette forme de violence masculiniste arrive en France ?
Il n’y a aucune raison que cela n’arrive pas partout. Le masculinisme naît dans une société patriarcale qui est la nôtre, qui reste sexiste, avec des inégalités et des stéréotypes de genre. De plus, le premier attentat à Montréal a été qualifié comme attentat masculiniste à postériori. On commence à se saisir de ces questions et à adopter de nouvelles lunettes. Peut-être qu’avant, on ne lisait pas certains faits de cette manière-là, un peu à la manière des féminicides qu’on qualifiait de « drames conjugaux ». Il s’agit peut-être d’un tournant, d’une prise en compte de cette idéologie, accompagné par le judiciaire.
Comment pourrait-on limiter les effets de cette idéologie masculiniste, qui peut pousser jusqu’à la violence envers les femmes ?
D’abord avec une éducation à la vie affective, sexuelle et aux stéréotypes de genre dès le plus jeune âge. Et l’associer à de l’éducation aux médias : vérifier les sources, comprendre le fonctionnement des algorithmes… Il faut apprendre que ces derniers sont faits pour renforcer nos idéologies, nos convictions au fil de nos usages. Il y a aussi un enjeu de régulation au niveau des industries des réseaux sociaux numériques. Actuellement, on va plutôt en sens inverse, celui d’une dérégulation sous couvert de liberté d’expression. Enfin, il faudrait aussi peut-être mettre en place des endroits d’écoute. Les incels, qui ne sont qu’une communauté parmi d’autres au sein des masculinistes, appellent souvent au suicide. Ils se considèrent comme des êtres inférieurs, avec un fatalisme biologique qui les empêchent de trouver une solution. Sans accorder de crédit à leur thèse, il faut prendre au sérieux la souffrance.