«Nous devons discuter d’une participation allemande ou européenne à l’arsenal nucléaire de la France et du Royaume-Uni», a assuré Jens Spahn, président du groupe conservateur au Bundestag.

La dissuasion nucléaire possède un langage propre, une grammaire. Son utilisation est précautionneuse, toujours discrète. L’invasion de l’Ukraine par la Russie depuis 2014, vingt ans après l’implosion de l’URSS, l’a remise au centre du jeu en Europe. Seules la France et la Grande-Bretagne la possèdent, les autres pays étant souvent «couverts» par le «parapluie nucléaire» américain dans le cadre de l’Otan.

Emmanuel Macron, dans un discours à l’école de Guerre en 2020, a souhaité ouvrir «un dialogue stratégique» autour du «rôle de la dissuasion nucléaire française dans notre sécurité collective». Il avait alors affirmé que les «intérêts vitaux de la France avaient une dimension européenne». «Je sais que cela va susciter immédiatement des réflexes défensifs. Mais oui : nous devrions débattre d’un parapluie nucléaire européen indépendant. Et cela ne fonctionnera qu’avec le leadership allemand», lui a répondu Jens Spahn, président du groupe conservateur au Bundestag allemand, dans un entretien publié par le journal Welt am Sonntag, le 29 juin.


Passer la publicité

«Des bombes nucléaires américaines sont également stationnées en Allemagne à cette fin. Mais, à long terme, cela ne suffit pas. Nous devons discuter d’une participation allemande ou européenne à l’arsenal nucléaire de la France et du Royaume-Uni, et éventuellement de notre propre participation avec d’autres États européens. Cela coûtera cher. Mais ceux qui veulent une protection doivent aussi la financer», a-t-il ajouté.

«La France ne nous laissera certainement pas toucher à son bouton rouge, pour rester dans la métaphore. Mais plusieurs idées existent pour une puissance nucléaire européenne, même si certaines paraissent a priori alambiquées et théoriques», a-t-il poursuivi, proposant une «rotation aléatoire des responsabilités entre les États membres» pour créer de l’incertitude chez «un adversaire potentiel».

Un sujet sensible en Allemagne

La dissuasion nucléaire façonne la «posture stratégique» française, une grande partie du budget militaire y étant consacré. Paris souhaite, depuis plusieurs années, en faire un atout pour s’affirmer comme «leader» d’une «défense européenne». Déjà en 1995 Alain Juppé, alors premier ministre, avait proposé à l’Allemagne d’échanger autour d’une «dissuasion nucléaire concertée». Nicolas Sarkozy, comme François Hollande, ont également évoqué la «dimension européenne» de la dissuasion française.

La posture de la France a été renforcée par le départ du Royaume-Uni de l’Union européenne. Mais le sujet demeure sensible. D’abord pour son caractère souverain, seul le président de la République étant habilité, en dernier recours, à l’employer. Ensuite, l’armée française ne dispose pas d’une capacité aussi importante que l’armée américaine pour déployer ou prépositionner des armes à l’étranger. Des armes nucléaires B61 sont installées, sous contrôle américain, en Allemagne et peuvent être emportées par les avions Tornado.

L’Allemagne a réaffirmé sa renonciation à la fabrication, à la possession et au contrôle des armes nucléaires, biologiques et chimiques par l’accord «deux plus quatre» qui a permis la réunification en 1990. L’évolution du contexte stratégique en Europe, et singulièrement l’agressivité russe, amène progressivement Berlin à reconsidérer son rapport aux forces militaires. Olaf Scholz, peu après l’invasion à grande échelle de l’Ukraine, avait décrit un «tournant historique (Zeitenwende en allemand)» mobilisant 100 milliards d’euros pour sa politique de défense.


Passer la publicité

Un réarmement fondé sur une augmentation des effectifs, la création d’un bouclier antimissile «SkyShield» porté par l’Allemagne, et une implication plus grande dans ce domaine, traditionnellement attribué à la France. «Nous devons simplement devenir plus forts ensemble en matière de dissuasion nucléaire en Europe», avait même déclaré Friedrich Merz, nouveau chancelier conservateur, en mars dernier. «La situation mondiale, et notamment les problématiques actuelles en termes de sécurité, nécessite désormais que nous, Européens, discutions ensemble de cette question», avait-il ajouté.

Une discussion d’autant plus importante que l’Allemagne se repose surtout sur la protection américaine, devenue plus incertaine depuis le retour de Donald Trump à la Maison-Blanche. Partout en Europe, la nécessité de posséder une défense davantage autonome perturbe les habitudes prises depuis la fin de la Guerre Froide. Paris souhaite ardemment, et depuis longtemps, une «autonomie européenne» en la matière et le «dialogue stratégique» sur sa dissuasion doit y contribuer. Mais la France a toujours souhaité garder la main sur le processus de dissuasion.