Par
Yann Rivallan
Publié le
4 juil. 2025 à 6h50
À l’autre bout du fil, Nouria* peine encore à comprendre comment la situation a pu dégénérer à ce point. Cette mère de famille est désemparée. Son fils Ilyès*, âgé aujourd’hui de 10 ans, est d’après elle victime de harcèlement depuis plusieurs années au sein de l’école privée catholique Saint-Joseph à Oissel (Seine-Maritime). Au point où le jeune garçon a été changé d’établissement après les vacances de Pâques. Son harceleuse ? La directrice de l’établissement, selon la mère de famille. « Acharnement », « humiliations en public » ou encore « calomnie »… La liste des griefs dressée par Nouria est particulièrement grave.
« Elle lui disait constamment de se taire »
Tout commence il y a 3 ans, durant l’année scolaire 2022-2023, reprend-elle. Ilyès entre en CE1 à Saint-Joseph. Le garçon est scolarisé dans cet établissement depuis la maternelle et n’a, jusqu’alors, « jamais eu de problèmes », retrace Nouria.
Doté de « capacités intellectuelles élevées », selon un bilan réalisé en fin de CP, Ilyès est censé sauter une classe pour arriver « directement en CE2 », explique sa mère. Cette classe en double niveau (CE1 et CE2) est gérée par la directrice de l’établissement. Mais rien ne se passe comme prévu. La directrice promet de faire glisser le jeune garçon vers le CE2 en cours d’année car il est « encore trop jeune et immature », selon les explications données à l’époque. Mais « cet engagement n’a jamais été respecté », souffle la mère du jeune garçon. Et très vite, la situation s’envenime.
Selon Nouria, qui rapporte les propos de son fils, la directrice l’aurait rabaissé à plusieurs reprises : « Elle lui disait constamment de se taire, qu’il est bête, que c’est à cause de gens comme lui que la Terre va si mal… »
Visiblement traumatisé, le jeune garçon « ne voulait plus aller à l’école, rappelle sa mère. La directrice disait aux autres enfants qu’il n’était pas sympathique et qu’il ne fallait pas jouer avec lui ».
Il saute une classe mais les tensions se poursuivent
Confrontée plusieurs fois, la directrice a toujours nié le moindre écart, d’après la mère de famille. En fin d’année, Ilyès repasse des tests d’aptitudes. Il saute finalement le CE2 pour arriver directement en CM1. « Il s’ennuyait en classe », explique notre interlocutrice.
Ce saut de classe est synonyme de changement d’enseignante pour le jeune garçon. Sa famille espère donc que ses déboires avec la directrice sont désormais derrière lui. Mais « les humiliations se poursuivent », déplore sa maman.
Un jour, elle l’a saisi par le col et l’a poussé, provoquant sa chute au sol [selon les dires de son fils, NDLR]. Le soir même, elle a minimisé les faits en prétendant qu’elle avait simplement voulu « le ranger dans le rang ». Elle lui faisait constamment des remontrances.
Nouria
Mère du jeune garçon
Au point où Ilyès aurait avoué à ses proches qu’il souhaite « disparaître ».
Dépôts de plainte
La situation vire au cauchemar en fin d’année 2024. En pleines démarches pour une inscription dans un collège catholique de Rouen, le dossier d’Ilyès est rejeté « alors qu’aucun obstacle n’avait été évoqué auparavant », se remémore sa mère.
« Nous avons reçu, en date du 29 novembre 2024, un courriel du directeur de la nouvelle école nous informant qu’il ne donnait pas suite à notre demande d’inscription. Cette décision faisait suite, selon ses mots, à un entretien personnel et confidentiel qu’il aurait eu avec la directrice actuelle de notre fils. »
« C’est de l’acharnement », nous assure Nouria. Ce nouvel incident, c’est la goutte d’eau qui fait déborder un vase déjà bien trop rempli.
Elle dépose plainte au début du mois de février contre la directrice pour harcèlement scolaire sur son fils. Quelques semaines plus tard, à la mi-mars, elle dépose une nouvelle plainte contre la directrice, cette fois pour « dénonciation calomnieuse ».
En effet, après le dépôt de plainte de février, la chef d’établissement aurait effectué « un signalement » auprès des autorités « dans une volonté manifeste de nuire à notre famille », assure Nouria. « Il contient des accusations infondées, graves et stigmatisantes, reposant sur des préjugés plutôt que sur des faits. »
« Incapable de retourner à l’école »
Le point d’orgue de cette affaire arrive à la fin du mois de mars 2025. Lors d’une récréation, Ilyès joue au tennis de table. Après avoir perdu son match, « il lève sa raquette en l’air et touche par inadvertance un camarade avec son pied ». Selon les propos rapportés du jeune, la directrice serait « venue lui arracher la raquette des mains avant de menacer de le frapper avec. » La mère de famille l’assure : « Plusieurs parents nous ont confirmé la version des faits rapportée par notre enfant. »
Dans la foulée, un complément à la première plainte du mois de février est déposé. Ilyès est également ausculté au Casa (Centre d’accueil spécialisé pour les agressions) où le diagnostic est on ne peut plus clair : « On nous dit que notre fils est incapable de retourner à l’école et qu’il faut le changer d’établissement. » On lui prescrit d’ailleurs une semaine d’arrêt.
Pour Nouria, c’est la douche froide. Malgré ses dernières tentatives de contact avec l’enseignement catholique au niveau national, elle reste sans réponse. Elle avait souhaité mettre ses deux enfants dans cette école catholique « parce qu’on nous l’avait vendu comme une petite école familiale et tranquille. Alors, on s’est dit, pourquoi pas. »
La direction diocésaine défend la directrice
Depuis la reprise de l’école en avril, Ilyès et son petit frère, également scolarisé à Saint-Joseph, ont été changés d’établissement par leurs parents. « On les a mis dans une école publique », explique Nouria.
La direction de l’enseignement catholique a aussi été avertie à plusieurs reprises de ces supposés faits de harcèlement, comme 76actu a pu le constater. Malgré ça, « silence radio », s’agace la maman d’Ilyès. « On nous a menacés de retirer nos enfants de tout établissement catholique si nous décidions de déposer plainte, ou si nous ne retirons pas les plaintes déjà déposées », assure-t-elle, preuves à l’appui.
Contacté par nos soins, le directeur diocésain de l’enseignement catholique à Rouen, Dominique Beloeil, confirme par mail avoir été sollicité sur cet épineux dossier : « Deux versions s’opposent frontalement. Chaque camp accuse l’autre (avec des témoignages à l’appui) de harcèlement et a porté plainte contre l’autre », présente-t-il.
La chef d’établissement de l’école a reçu mon soutien et celui du secrétariat général de l’enseignement catholique, après une enquête très sérieuse de mes services.
Dominique Beloeil
Directeur diocésain de l’enseignement catholique
De plus, le directeur diocésain affirme que le rectorat de l’académie de Normandie (l’école Saint-Joseph est sous contrat avec l’État) aurait aussi mené son enquête de son côté et serait arrivé aux mêmes conclusions.
Il ajoute : « Le rectorat a décidé d’accorder une aide juridictionnelle à [la directrice], maintenant et durant sa retraite. Cela signifie une prise en charge totale de ses frais de justice par l’État en cas de procès. C’est même le rectorat qui assurera sa défense. C’est rarissime. »
Un dossier rempli « de haines recuites et infondées »
Sans donner plus de détails sur l’affaire, devenue par la force des choses « judiciaire », Dominique Beloeil précise toutefois que le dossier de la famille d’Ilyès « est vide de faits, rempli seulement de haines recuites et infondées. Après avoir voulu mobilier toutes les institutions de l’État, cette famille tente de mobiliser l’opinion et la presse. Sa demande de plainte va se retourner contre elle en cas de procès mais je pense qu’elle sera classée sans suite ».
De son côté, le rectorat reste plus mesuré. Dans un mail de son service relations presse, l’académie de Normandie dit assurer « un suivi attentif du dossier ».
Il convient toutefois de préciser qu’aucune enquête administrative n’a, à ce jour, été engagée par nos services.
Le rectorat
« Par ailleurs, cette affaire faisant l’objet de procédures judiciaires en cours, nous ne sommes pas en mesure de nous exprimer sur les faits évoqués, dans le respect du secret de l’instruction », ajoute le rectorat.
*Les prénoms ont été modifiés
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