Après un an au pouvoir, la ministre britannique des Finances, Rachel Reeves, fait face à l’épreuve des promesses non tenues en matière de stabilité économique. L’économie britannique, en dents de scie, et la nervosité des marchés obligataires laissent présager un nouveau budget marqué par des hausses d’impôts, scénario que Reeves espérait éviter.

Mercredi, le Royaume-Uni a connu la plus forte chute des prix de ses obligations d’État depuis le programme économique désastreux de l’ancienne Première ministre Liz Truss en 2022, une déroute déclenchée par l’apparition émue de Reeves au Parlement.

Parallèlement, une fronde majeure au sein du Parti travailliste du Premier ministre Keir Starmer contre la réforme du système d’aides sociales – qui l’a contraint à sabrer des pans entiers du projet – a renforcé les doutes sur la capacité du gouvernement à réduire les dépenses et a soulevé des questions sur la maîtrise du parti.

Selon les économistes, les événements de cette semaine rendent plus probable l’obligation pour Reeves de lever des dizaines de milliards de livres supplémentaires en impôts d’ici la fin de l’année, le plan gouvernemental pour relancer la sixième économie mondiale n’ayant pas produit les résultats escomptés.

Ce scénario accentuerait la pression sur un parti qui reste constamment distancé dans les sondages par la formation réformiste et populiste de droite de Nigel Farage, Reform U.K.

Les économistes estiment que le gouvernement se retrouve pris en étau entre des parlementaires indisciplinés, un électorat mécontent et des coûts d’emprunt en hausse, qui pourraient encore s’aggraver si les investisseurs estiment que la gestion des finances publiques échappe au contrôle de l’exécutif.

« L’économie reste engluée dans une croissance atone », analyse Michael Saunders, conseiller principal chez Oxford Economics et ancien membre du Comité de politique monétaire de la Banque d’Angleterre, auprès de Reuters.

« Les électeurs restent perpétuellement déçus car ils n’ont pas le sentiment que leur niveau de vie s’améliore. »

Si de nouvelles hausses d’impôts semblent inévitables, Saunders s’interroge toutefois sur la capacité du gouvernement à réunir les sommes nécessaires pour rétablir la viabilité des finances publiques – une question qui ravive les doutes des investisseurs.

STABILITÉ ÉCONOMIQUE

Reeves et Starmer sont arrivés au pouvoir il y a un an, promettant stabilité politique et économique ainsi qu’une croissance durable, après quatorze années souvent chaotiques de gouvernance conservatrice.

Pour rassurer les investisseurs, Reeves avait fixé ce qu’elle qualifiait de règles budgétaires « non négociables » et s’était attiré les foudres des entreprises et des ménages en augmentant les impôts de 40 milliards de livres (55 milliards de dollars) lors de son premier budget, soit la plus forte hausse fiscale depuis trente ans.

Reeves avait alors assuré qu’il s’agissait d’une mesure exceptionnelle, destinée à financer des investissements indispensables dans des infrastructures britanniques vieillissantes.

Mais selon les économistes, la faible marge de manoeuvre dont elle disposait vis-à-vis de ses objectifs budgétaires a probablement été anéantie par le rétropédalage sur les coupes dans le budget des aides sociales, en pleine explosion, et par l’avertissement d’une révision à la baisse de la croissance émis par l’organisme officiel de prévisions économiques – ce qui nécessiterait de nouveaux relèvements d’impôts pour maintenir le cap budgétaire.

« Un scénario où elle devrait répéter un budget similaire à son premier est tout à fait envisageable », estime Ben Zaranko, directeur adjoint du think tank Institute for Fiscal Studies.

Une telle perspective pousse les investisseurs à s’interroger sur la crédibilité d’une stratégie qui oblige le gouvernement à bricoler en urgence pour retrouver de la marge budgétaire à chaque mauvaise nouvelle économique.

La volatilité extrême sur les marchés mercredi résume le malaise face à des budgets qui dérapent et à la perspective d’un endettement accru, alors que la dette publique britannique frôle désormais les 100 % du PIB.

« Toute hausse d’impôt doit être massive et limpide. C’est la condition pour restaurer la confiance des marchés », juge Simon Harvey, macroéconomiste principal chez le fonds spéculatif suisse LB Macro.

« Ce dont nous n’avons pas besoin, c’est d’une nouvelle salve de quinze mesures différentes où l’on se demande d’où proviennent les chiffres. »

Pour Harvey, l’économie britannique pourrait nécessiter une douloureuse remise à plat avant de pouvoir rebondir : hausse des impôts, ralentissement économique, puis des baisses rapides des taux de la Banque d’Angleterre qui finiraient par relancer la croissance et assainir les finances publiques.

Tous ces éléments inquiètent au plus haut point Downing Street, où Starmer a été critiqué pour sa gestion du vote sur les aides sociales et pour ses relations avec le groupe parlementaire travailliste.

Certains députés travaillistes ont exprimé leur frustration, estimant que l’exécutif n’a pas pris en compte leurs inquiétudes concernant les coupes pour les personnes handicapées. Le Premier ministre a lui-même reconnu avoir été distrait par des événements internationaux avant de se concentrer sur ce scrutin crucial.

Désormais, de nombreux élus, qui se sentent davantage redevables envers leurs électeurs qu’envers le gouvernement, pourraient faire pression pour d’autres inflexions politiques, notamment la suppression du plafond de deux enfants qui limite l’aide financière aux deux premiers enfants d’une famille.

Face à la tempête, Starmer a réagi en dressant la liste des réalisations de son gouvernement pour démontrer son action : accords commerciaux, investissements étrangers et hausses de budgets pour les écoles et les hôpitaux.

Mais les sondages restent désespérément figés, et certains investisseurs joignent leur voix aux critiques contre la direction britannique.

Un gestionnaire de hedge fund, pourtant soutien du Labour, estime que les électeurs et de nombreuses entreprises ne réalisent pas que le gouvernement doit impérativement maîtriser ses dépenses. Selon lui, Starmer doit « montrer la voie pour sortir de cette impasse », car les solutions à venir risquent d’être « très douloureuses ».

($1 = 0,7322 livre sterling)

(Reportage d’Andy Bruce à Manchester, Kate Holton, Elizabeth Piper et Andrew MacAskill à Londres ; rédaction : Mark Heinrich)