L’idée que deux
particules puissent s’influencer instantanément à des milliards de
kilomètres de distance fascine autant qu’elle dérange. Et si ce
lien mystérieux, connu sous le nom d’intrication quantique, n’était
pas si immédiat qu’on le croyait ? C’est ce que révèle une
expérience spectaculaire menée à l’Université technique de Vienne,
qui pourrait bien bouleverser notre compréhension du temps, de
l’espace… et de la réalité elle-même.

Qu’est-ce que l’intrication
quantique ?

L’intrication quantique est sans
doute l’un des phénomènes les plus mystérieux et fascinants de la
physique. Pour comprendre ce que cela signifie, imaginez deux
particules – par exemple, deux électrons – qui interagissent
fortement pendant un certain temps, puis s’éloignent l’une de
l’autre. Une fois cette interaction terminée, ces deux particules
restent intriquées : elles partagent un état commun, comme si elles
faisaient encore partie d’un tout, même séparées par des milliers
de kilomètres.

Ce lien étrange a une
conséquence spectaculaire : si vous mesurez une propriété de la
première particule (comme sa polarisation ou son spin), vous
connaissez instantanément celle de la seconde, sans même avoir
besoin de la mesurer. Cela semble violer notre intuition selon
laquelle l’information ne peut pas voyager plus vite que la lumière
— d’où la célèbre expression d’Einstein, qui appelait cela une
« action fantomatique à
distance » (spooky
action at a distance), car cela semblait presque magique.

Mais ce n’est pas de la magie
: c’est la mécanique quantique. Et contrairement à une simple
corrélation (comme deux gants dans une boîte, où connaître le droit
vous révèle le gauche), ici, les propriétés ne sont pas définies à
l’avance. Elles ne « prennent forme » qu’au moment de la mesure, ce
qui rend l’effet d’autant plus déroutant.

Pendant longtemps, les
scientifiques ont pensé que cette connexion entre particules
intriquées se formait instantanément– comme un interrupteur qu’on
actionne, sans délai. Mais en réalité, cela n’avait jamais été
directement testé : on observait les effets de l’intrication, mais
on ne savait pas combien de temps il fallait pour que ce lien
quantique se crée entre deux particules. Était-ce vraiment immédiat
? Ou ce lien mettait-il, même à l’échelle microscopique, un tout
petit peu de temps à s’installer ?

Une expérience aux frontières
du temps

C’est ce défi vertigineux
qu’ont relevé les chercheurs de la TU Wien, en Autriche. Dans leur
expérience, décrite dans la prestigieuse revue Physical Review Letters, ils ont utilisé des
impulsions laser ultra-brèves pour générer une intrication entre
deux électrons dans un atome.

Le principe : en envoyant un
éclair laser extrêmement intense et rapide sur un atome, un
électron est expulsé, tandis qu’un second électron reste dans
l’atome, mais passe à un état d’énergie plus élevé. Les deux
électrons, bien que séparés, sont alors quantiquement liés.

Leur outil de mesure ? Le
temps… à l’échelle de l’attoseconde, soit un milliardième de
milliardième de seconde(0,000000000000000001 s). Grâce à deux
faisceaux lasers distincts, les physiciens ont pu déterminer avec
une précision inédite le moment où cette intrication se forme.

Verdict : pas si
instantané

Contre toute attente, l’équipe
a observé que l’intrication ne se produit pas immédiatement, mais
nécessite un laps de temps mesurable, de l’ordre de 232
attosecondes dans certains cas
.

Comme l’explique la chercheuse
Iva Březinová :

« L’électron ne jaillit pas simplement de l’atome.
C’est une onde qui se propage hors de l’atome, et cela prend un
certain temps. C’est précisément durant cette phase que se forme
l’intrication. »

Autrement dit, la connexion
entre les deux électrons se construit progressivement, pendant que
l’un quitte son orbite. On n’est donc plus face à un phénomène
purement « magique » ou instantané, mais à un processus
ultra-rapide, certes, mais quantifiable.

quarks top intrication
Impression d’artiste d’une paire de quarks top intriqués. Crédits :
CERNCe que cela change

Pourquoi est-ce une découverte
si importante ? Parce qu’elle remet en question une croyance
centrale en physique quantique : celle de l’instantanéité absolue
de l’intrication. Si ce lien prend du temps à se former, aussi
court soit-il, cela pourrait ouvrir de nouvelles portes théoriques
sur la façon dont les informations se propagent dans l’univers
quantique.

Cela a également des
conséquences pratiques : dans le domaine de l’informatique
quantique, de la téléportation d’informations ou de la
cryptographie quantique, comprendre à quel rythme exact les
particules s’intriquent pourrait améliorer la performance et la
sécurité des technologies futures.

Une révolution
silencieuse

Ce n’est pas la première fois
que la physique quantique bouscule notre intuition du réel. Après
tout, elle nous a déjà appris que les particules peuvent être à
deux endroits en même temps (superposition), ou que le simple fait
d’observer une particule change son comportement (effet de
l’observateur).

Mais cette nouvelle découverte
ajoute une dimension supplémentaire : le temps lui-même devient un
acteur dans l’intrication. Et à l’échelle de l’attoseconde, nos
notions habituelles de passé, présent et futur deviennent floues.
Même la question « Quand commence une relation quantique ? » prend
une signification vertigineuse.

Et maintenant ?

L’équipe de la TU Wien compte
poursuivre ses travaux pour affiner ces mesures et mieux comprendre
les mécanismes qui régissent ce processus d’intrication. À l’heure
où les ordinateurs quantiques s’apprêtent à bouleverser le monde
numérique, savoir à quelle vitesse l’intrication se forme est plus
qu’un détail : c’est une clé pour le futur.

En résumé

  • L’intrication quantique n’est
    pas instantanée, elle prend environ 232 attosecondes.

  • Cette découverte pourrait
    réécrire une partie des fondements de la physique quantique.

  • Elle a des implications
    majeures pour les technologies quantiques de demain.

  • Et elle nous rappelle, encore
    une fois, que le monde quantique n’a rien de banal — même le temps
    y joue selon ses propres règles.