La secrétaire de la CGT débattait ce vendredi 4 juillet avec le ministre de l’Industrie Marc Ferracci à qui elle a demandé de nationaliser Arcelor Mittal. Interview en marge d’une session sur le thème de l’écologie et de l’emploi.
La réforme des retraites est toujours un sujet majeur?
Oui, c’était déterminant, parce que ce sont des millions de travailleurs et de travailleuses qui attendent et exigent toujours l’abrogation de cette réforme. C’est pas un totem. C’est pas une question symbolique. La réforme fait déjà des ravages, puisque là, on est à 62 ans et demi, bientôt 62 ans et 9 mois, en âge de départ. Et on voit que le nombre d’inscrits et d’inscrites de plus de 62 ans explose à France travail. Donc il se passe exactement ce que nous avions dénoncé, c’est-à-dire qu’on nous impose de travailler plus longtemps. Mais en vérité, les entreprises ne veulent pas de travailleurs et de travailleuses seniors. Et les seniors sont les premiers à être licenciés, là, dans les 400 plans de licenciement que la CGT a recensés.
Ce conclave était un échec?
On a bien compris que pour François Bayrou, c’était un système pour prolonger son bail. Il a passé son temps à nous mettre des bâtons dans les roues. Le premier bâton dans les roues, c’est quand il a sorti sa calculette truquée et donc qu’il a alourdi de quasiment 50 milliards la facture. La deuxième entrave, c’est quand il a tout de suite dit que s’il n’y avait pas d’accord, la loi actuelle s’appliquait. Et donc ça, c’était donner les pleins pouvoirs au patronat et les mettre en situation de rapport de force.
Malgré ça, on est resté. Mais à la fin, il a donné le coup de grâce quand il a dit que, de son point de vue, il ne fallait surtout pas revenir sur les 64 ans. Donc ça, c’était concerté avec le patronat. Mais la nouveauté de la période c’est le fait que le 5 juin dernier, les députés ont voté une résolution demandant l’abrogation de la réforme. Donc donc soit le gouvernement met en œuvre la résolution qui a été votée par les députés. Soit il organise un référendum.
Il faut s’attendre à une rentrée sociale chaude, y compris en raison du contexte de restrictions budgétaires?
On est très inquiets par les choix budgétaires qui vont être ceux du gouvernement, puisque le signal qui nous est envoyé, c’est que systématiquement, il y a un acteur qui n’est pas mis à contribution. Ce sont les grandes entreprises et les plus riches.
Et donc du coup, 40 milliards à trouver, ça veut dire que c’est encore les travailleurs et les travailleuses qui vont devoir passer à la caisse, alors que ça fait sept ans qu’on passe à la caisse et qu’on a déjà payé très cher, puisqu’on a déjà eu à assumer des réformes violentes. Une réforme du code du travail, trois réformes de l’assurance-chômage, une réforme des retraites. Nos salaires n’ont toujours pas retrouvé le niveau de 2020 avant la séquence inflationniste.
Quelle solution?
Pour nous, trouver 40 milliards, c’est très simple. Il suffit de revenir sur la moitié des mesures de cadeau pour les plus riches et pour les plus grandes entreprises qui ont été faites. C’est pas compliqué. C’est du courage politique et de la justice fiscale. Et puis la deuxième chose, ce sont les aides publiques aux entreprises. Quand est-ce que le gouvernement va enfin agir sur ce scandale? Nous avons été très choqués par l’audition d’Éric Lombard à la commission d’enquête du Sénat sur les aides publiques. Les aides publiques aux entreprises, 200 milliards, c’est le premier poste de dépense de l’État. C’est 10 points de pivot. Donc on a quand même le droit d’avoir des comptes sur cette question-là.
Vous recensez 400 plans sociaux, le coût du travail est trop élevé?
Franchement, le disque du patronat, ça devient fatigant. En fait, c’est leur seule antienne. C’est le coût du travail, les normes, le coût du travail, les normes, le coût du travail, les normes.
J’étais il y a trois jours à Berlin pour le sommet franco-allemand, où nous avons eu un échange avec le patronat, les syndicats allemands, les ministres du Travail allemand, et français. Dans l’accord de la grande coalition en Allemagne, il y a une augmentation du salaire minimum sur deux ans. Donc aujourd’hui, le salaire minimum allemand est déjà de 8% supérieur au salaire minimum français.
Dans deux ans, il sera de 25% supérieur. Donc il faut arrêter de nous dire que les salaires sont trop élevés en France. On a des salaires plus faibles que la majorité de nos voisins. Et sur les salaires de moins de 1,6 SMIC, voire même de moins de 2 SMIC, il y a quasiment 0 euro de cotisations sociales. Donc il n’y a déjà pas d’écart entre le net et le brut. Et le rapport Bozio – Wasmer a démontré que dans les 80 milliards d’exos de cotises, il y en avait beaucoup dont l’impact était très discutable, notamment sur tous les salaires entre 2 et 3,5 SMIC qui servent à optimiser la masse salariale mais qui n’ont aucun impact sur l’emploi.
L’enjeu des discussions entre l’UE et les Etats-Unis est majeur?
L’enjeu sur la guerre commerciale qui s’ouvre, c’est pas tant les Etats-Unis que la Chine. La question, c’est les surplus chinois. Et donc la question, c’est quelle va être l’attitude de la Commission européenne qui doit comprendre que le monde change et qu’elle doit mettre fin à sa stratégie catastrophique d’un point de vue industriel. Il faut protéger l’industrie européenne. Il faut des barrières douanières avec des droits de douane qui soient modulées en fonction des normes sociales et des normes environnementales, parce que sinon, effectivement, on ne rivalise pas à armes égales. Et puis il faut aussi un choc d’harmonisation fiscale, sociale, environnementale en Europe, parce que nous, nous savons très bien que le premier lieu de délocalisation, c’est pas la Chine. C’est l’Europe, parce que le premier lieu de paradis fiscal, c’est pas les Bahamas. C’est l’Europe.
Cela veut dire refonder l’Europe?
Oui, parce qu’il y a un dumping. Il faut en fait changer de modèle théorique. Il faut rompre avec l’Europe de la concurrence et construire une Europe de la coopération. Là, on est en plein sur le sujet ArcelorMittal. L’Europe, elle s’est construite avec la CECA, la Communauté européenne de l’acier et du charbon. Là, en fait, si on ne fait rien, dans cinq ans, il n’y aura plus d’acier en Europe. Donc il faut construire un géant européen de l’acier.