Imaginez retrouver votre mère
disparue. Non pas sur une vieille photo, mais dans un court clip
vidéo où elle vous serre dans vos bras, comme si elle n’était
jamais partie. C’est ce qu’a vécu récemment un homme qui, à partir
d’une simple photo, a demandé à une intelligence artificielle de
« ramener à la vie » un souvenir figé. Le résultat ?
Trois secondes d’émotion pure, d’une tendresse si réaliste qu’on en
oublie l’artifice.

Derrière cette scène touchante
se cache une question vertigineuse : et si nous pouvions bientôt
« parler » avec nos proches disparus ? Pas dans nos
rêves, mais à travers une technologie bien réelle, de plus en plus
sophistiquée. Ce qui relevait autrefois de la science-fiction
pourrait devenir, très bientôt, un nouveau pan de notre rapport à
la mémoire, au deuil… et à l’humanité.

De l’image figée à l’émotion
animée : les IA savent faire « revivre » les photos

Des outils comme D-ID,
MyHeritage Deep Nostalgia, ou des technologies comme Sora d’OpenAI
permettent déjà de générer des vidéos ultra-réalistes à partir de
simples images. Vous chargez une photo, et en quelques secondes, le
visage s’anime, esquisse un sourire, cligne des yeux… ou, plus
troublant encore, mime une interaction émotionnelle. Le réalisme
est saisissant, et les applications se multiplient : hommage à un
proche, projets artistiques, reconstitution historique, etc.

Mais cette première couche
n’est qu’un début.

Des voix venues d’ailleurs :
l’illusion sonore

À côté du visage, il y a la
voix. Et là encore, les progrès sont spectaculaires. Des services
comme ElevenLabs, Respeecher ou Play.ht permettent déjà de recréer
une voix à partir de quelques secondes d’enregistrement audio.
Ajoutez à cela un modèle de langage comme GPT ou Claude, et vous
avez… un avatar qui parle, qui répond, qui semble penser.

C’est précisément ce que
certaines startups commencent à proposer, comme HereAfter AI, qui
construit des chatbots « posthumes »
à partir d’interviews données de leur vivant. Le résultat ? Un
assistant vocal capable de répondre comme le ferait votre
grand-mère, racontant sa vie, ses anecdotes, ses recettes, avec sa
propre voix.

deuil proche
Crédits : pasja1000/PixabayMémoire augmentée : quand les
souvenirs deviennent interactifs

Mais si l’IA peut faire bouger
des photos et reproduire une voix, pourrait-elle aussi reproduire
une personnalité ? En réalité, oui — dans une certaine mesure. Si
vous alimentez un modèle avec :

  • des emails,

  • des journaux intimes,

  • des vidéos, enregistrements ou
    messages vocaux,

  • des conversations,
    publications, habitudes…

… alors vous offrez à l’IA une
matière première émotionnelle et comportementale pour simuler un
être. On parle alors de double numérique ou de clone
conversationnel. Pas une copie parfaite, mais une version plausible
de la personne, capable de converser avec vous de manière crédible,
parfois bouleversante.

Créer, rêver… et halluciner :
l’IA, entre hommage et illusion

Mais cette magie a un prix.
Car l’IA n’est pas un miroir fidèle, c’est une imagination
statistique. Elle ne « sait » rien, mais devine avec
talent. Ce qui implique que même une voix familière et un visage
crédible peuvent dire des choses fausses, inventer des souvenirs,
déformer la vérité. Ce phénomène, appelé hallucination, est un défi
croissant pour les IA modernes — y compris les plus
performantes.

Peut-on alors vraiment
« retrouver » quelqu’un dans une simulation ? Ou n’est-ce
qu’un reflet, un mirage affectif ? Jusqu’où sommes-nous prêts à
croire ce que nous voyons ou entendons, si cela nous soulage ?

Deuil augmenté : les
promesses et les risques de ces fantômes numériques

Derrière la prouesse
technologique se cache une question intime : est-ce que cela nous
aide à faire notre deuil, ou nous empêche de le faire ? Pour
certains, parler à un proche disparu via un chatbot pourrait être
un apaisement, une façon de « revisiter » une relation.
Pour d’autres, ce serait une prison émotionnelle, entre dépendance
et confusion.

Et que dire du consentement ?
Une personne décédée aurait-elle voulu être
« ressuscitée » numériquement ? Aura-t-on demain des
clauses dans nos testaments interdisant qu’on anime nos photos ou
qu’on imite nos voix ? L’éthique est floue, mais l’enjeu est
immense.

Vers une nouvelle ère de la
mémoire ?

L’IA ne ramène pas les morts.
Mais elle crée l’illusion qu’ils ne sont pas tout à fait partis.
Comme si elle redessinait la frontière entre souvenir et présence.
Dans les années à venir, il est probable que chacun d’entre nous
pourra créer un souvenir vivant, interactif, parlant, et quasi
réaliste d’un être cher.

Est-ce une chance ? Un danger
? Une révolution ? Peut-être les trois à la fois.