Ils ont grandi au Point-du-Jour, posé leurs valises avec leur famille dans le quartier, construit leur quotidien, noué des amitiés. À l’époque, il y avait 260 familles dans les huit bâtiments de l’entrée de ville de Saint-Laurent-du-Var. « Ici, on trouvait deux épiceries, des arbres, des jardins pour enfants, raconte Thérèse, 73 ans, qui habite dans le bâtiment 3 depuis 50 ans. On était soudés. Les adultes surveillaient les enfants des autres. » C’est exactement le souvenir de sa fille, Laura, 33 ans: « Je grimpais aux arbres. Il y avait une balançoire, un tourniquet, une toile d’araignée. On vivait tous ensemble comme des cousins. »

« À l’époque le quartier était très vivant, raconte Jérémie Coutanceau, directeur du centre social AGASC depuis 2016. Les 800 habitants étaient pourtant en très grande précarité sociale. » Le centre servait de passerelle entre les locataires et les institutions. Il avait également plusieurs missions autour de la parentalité et de la citoyenneté. « Nous étions ouverts du lundi au vendredi toute la journée, décrit Jérémie Coutanceau. On a fait des actions ensemble de rénovation de bas d’immeuble. 40 à 50 personnes passaient chaque jour dans notre local avec des demandes ou simplement pour discuter autour d’un café. »

 » Ces barbecues géants, ces fêtes de voisins… C’était toutes les semaines ! »

« Je me souviens très bien des animations qui étaient proposées aux enfants. Et pour les adultes, il y avait même des cours pour apprendre à se servir d’Internet », se remémore Germaine, 71 ans, habitante du bâtiment 3 depuis plus de 30 ans. Pour Hakim, 42 ans, arrivé dans le bâtiment 3 en 2004, le souvenir est encore vivace: « Ces barbecues géants, ces fêtes de voisins… C’était toutes les semaines! Ici il n’y avait pas de problèmes d’insécurité, on dormait les portes ouvertes. »

Houcine, 59 ans, a emménagé ici, dans le bâtiment 1, avec ses parents en 1981. Les hasards de la vie ont fait qu’il est revenu s’y installer il y a 10 ans environ. Alors les souvenirs, il en a « plein »: « Les mariages où tout le monde était invité. Il y a aussi les mauvais souvenirs. Mon petit frère est décédé à cause de son asthme en 1989 dans la salle de jeux de l’un des premiers bâtiments démolis. Heureusement que le quartier était familial. Les gens ici nous ont portés à bout de bras. » Et puis il y a ceux qui ont vécu leur arrivée plus récente comme une punition. C’est le cas de Rais, 34 ans, en couple avec quatre enfants, habitante du bâtiment 1: « Côte d’Azur habitat nous a proposés ici et c’est tout. Nous n’avons pas eu le droit de refuser. »

 » Les habitants ont eu le sentiment d’être relégués, oubliés »

Et puis il y a eu la lente décrépitude du Point-du-Jour lorsque son sort a été scellé et le quartier voué à la démolition. « Les habitants ont eu le sentiment d’être relégués, oubliés, évoque le directeur du centre social. Même si le lien n’a jamais été coupé avec la Ville ou avec Côte d’Azur habitat. Avec les relogements, on a perdu beaucoup de familles et des habitants piliers qui s’engageaient et qui s’intéressaient. » Le centre social n’est désormais ouvert que trois matins par semaine.

« Maintenant, c’est mort. Il n’y a plus personne, plus d’ambiance. L’entretien est catastrophique, les bâtiments sont délabrés, l’ascenseur ne fonctionne pas très bien et pourtant on paye des charges, s’indigne Houcine du bâtiment 1. On est malheureux. C’est triste, car notre vie était ici. » « C’est catastrophique. Certains ont foutu la pagaille, cassé les lumières, dégradé les jardins. Des camions qui viennent de l’extérieur déchargent leurs saletés ici. Les rats rongent tout », égrène Thérèse, du bâtiment 3, qui y a élevé ses onze enfants. « Ce quartier est devenu un bidonville où on ne peut pas y faire grandir nos enfants », insiste Rais du bâtiment 1.

« On a nos habitudes, nos repères »

Ces habitants pensent au relogement. À ce qu’ils vont laisser derrière eux. « Avec la destruction du bâtiment 6, ce sont des souvenirs d’enfance qui s’effacent. Il y avait mes cousines là-bas », raconte émue Laura du bâtiment 3.

« Ça fait mal, lance Germaine. Ça fait tellement longtemps qu’on est là. On a nos habitudes, nos repères. J’ai mon médecin pas loin, mes commerçants. Mes trois enfants ont été à l’école ici. » Alors, comme Germaine, presque tous espèrent un relogement à Saint-Laurent-du-Var… Et maintenir ainsi leur vie dans cette commune même si c’est une page qui se tourne inexorablement.