C’est le printemps. La météo s’adoucit, donne envie de prendre l’air. Pourtant, dans les villes, en dehors des aires dédiées aux plus petits, on croise très peu d’enfants qui jouent. D’après l’Institut national de veille sanitaire, quatre enfants sur dix âgés de 3 à 10 ans ne jouent jamais dehors pendant la semaine.
Dans une étude menée en 1976, la sociologue Marie-José Chombart de Lauwe notait que les enfants passaient cinq à six heures par jour dehors et sans adulte. C’est drastiquement moins aujourd’hui. On parle d’enfants d’intérieur ou d’enfants d’appartement avec les soucis que peut engendrer la sédentarité (obésité, isolement social, addictions).
Certes il y a la place qu’occupent les écrans dans leur vie. Mais les normes éducatives ont aussi beaucoup changé. Les parents d’aujourd’hui sont plus réticents à laisser les 6-12 ans dehors sans surveillance. Peur des agressions, des prédateurs en tous genres, des dangers de la route… En ville, les enfants jouent la plupart du temps dans des espaces dédiés : terrains de sport, halles de loisirs, skateparks, aires de jeux balisées. Le jeu libre, seul, sans adulte, qui permet aussi d’apprendre l’autonomie, est l’exception.
Les parents ne sont pas devenus peureux tout à coup. La ville s’est construite autour du tout voiture et n’a pas laissé beaucoup de place aux enfants. Les trottoirs sont trop étroits pour y jouer, la signalétique urbaine n’est pas adaptée à leur petite taille, les grandes places sont en partie privatisées par les terrasses. Ils sont « les grands oubliés de l’urbanisme », selon Thierry Paquot, philosophe et essayiste (1).
Heureusement, des initiatives germent un peu partout pour promouvoir « la mobilité autonome et le jeu libre », selon les mots du sociologue Clément Rivière, responsable du laboratoire Ville à hauteur d’enfant de Lille (Nord). Et les enfants y sont associés.
Certaines communes interdisent la circulation automobile dans les « rues scolaires », à la sortie des classes, ou participent au dispositif « classe dehors », comme Rennes. D’autres créent des espaces de jeux laissant place à l’imagination et à l’expérimentation, comme le parc Imagine Saint-Hubert à Juvignac (Hérault), les Ateliers des Capucins à Brest (Finistère) ou le Jardin du Passe-Temps au Rheu (Ille-et-Vilaine).
La ville de Bâle, en Suisse, a mis en œuvre un réaménagement global baptisé « Les yeux à 1,20 m », pour et avec les enfants. Montpellier est devenue, en 2023, la première ville française labellisée « Ville des enfants », en s’inspirant du travail du sociologue Francesco Tonucci, à Fano (Italie). Dans cette ville, des logos identifient par exemple des commerces-relais où les enfants savent qu’ils peuvent aller aux toilettes, demander leur chemin ou de l’aide. Ce qui contribue au développement de leur autonomie.
Tout le monde y gagne. Laisser de la place aux enfants dans l’espace public, c’est recréer des espaces ouverts aux rencontres (2). Favoriser le fait de jouer dehors, c’est aussi défendre la mixité et le vivre-ensemble. Chez soi, on reste trop souvent entre-soi.
(1) Pays de l’enfance, éditions Terre urbaine.
(2) Étude de l’Ademe : « Faire la taille – Pour des territoires à hauteur d’enfants »