À l’occasion de la première en équipe de France du Decazevillois, samedi 5 juillet matin face aux All Blacks, immersion dans le salon de sa maman, Karine. Un grand moment !

À l’ouverture de sa porte d’entrée, Karine a le visage fermé. Non pas qu’elle ne soit pas contente de nous recevoir mais ce n’est pas tous les jours que son fiston, Joris, honore sa première cape avec le XV de France. Comme une maman, elle est tendue, angoissée. Elle ne tient pas en place et parcourt la maison de long en large sous les yeux presque amusés de Patrick, son mari et beau-père de l’ouvreur français, mais surtout decazevillois.

Depuis ses dix-huit points marqués face au Stade Toulousain, en demi-finale du Top 14 sous les couleurs de Bayonne, tout est allé très vite pour celui qui n’a pu s’empêcher de signer dans un club aux couleurs bleu et blanc l’été dernier. Une fierté pour toute une région de voir ce gamin qui a grandi sur la pelouse de Camille-Guibert chanter la Marseillaise, en Nouvelle-Zélande, et de trembler comme les copains du XV de France lorsque les Blacks débutent un Kapa o Pango, ce haka qui annonce la couleur : les Néo-Zélandais n’ont pas envie de plaisanter. En fait, ils ont peu apprécié la liste de Fabien Galthié où les têtes d’affiche, les soi-disant meilleurs joueurs de l’Hexagone, sont restées à la maison.

« Ça me fait peur de le voir face à eux »

Karine stresse. « Ça me fait peur de le voir face à eux. Mais comme il m’a dit, dans la semaine au téléphone : « Je ne peux rêver mieux comme première sélection’. » On aurait pu croire que la maison, sur les hauteurs de Decazeville, serait noire de monde, de la famille, des amis, des copains. Mais non, rien de tout cela. Le vieux cabot vous accueille sans aboyer, il sent lui aussi que ce n’est pas le moment de faire des siennes.

« Je préfère voir les matches chez moi, tranquille avec Patrick. J’ai toujours peur de ne supporter personne, et surtout pas les commentaires. » Nous sommes donc trois dans la maison, et le calme est seulement apparent. Seul Patrick tente quelques petites blagues mais Karine, comme Joris est déjà dans le match. « Je m’excuse d’avance mais je ne vais pas tenir en place. »

Impossible de ne pas s’imaginer ce que peut ressentir une maman en voyant son fils porter la tunique bleue. Même si Karine est rompue au haut niveau depuis les années à Aurillac en ProD2, celles au Stade Français puis désormais à Bayonne, en Top 14. Là, ce n’est pas pareil. Joris Segonds affronte avec ses coéquipiers ce qui se fait de mieux dans le rugby mondial, et de surcroît sur leur pelouse.

Passé la Marseillaise, « il est stressé, ça se voit », remarque Karine, qui lance son marathon entre la table du salon et le canapé. Le début de 80 minutes de mouvements, d’enchaînements, de petits commentaires, parfois repris par la patrouille, et un Patrick qui doit intervenir pour remettre l’action ou la règle dans son contexte. Bref, un pur moment de bonheur de voir une maman s’extasier sur le premier ballon du gamin, une chandelle Blacks – « Bien Jo ! » – ou sur son premier dégagement, qui trouve une touche au milieu du terrain – « C’est ça ! ».

« C’est bon maintenant, sort le Fabien ! »

Il n’y a pas de doute, Joris est dans son match. « La saison a été longue, il est fatigué, comme les autres certainement. Alors jouer ces types… » Karine a du verbe et communique son appréhension jusqu’à la septième minute de jeu. On a l’impression que toute la maison s’est arrêtée de respirer, on n’entend même plus les oiseaux gazouiller : Joris prend une pénalité des cinquante mètres. Une formalité pour le buteur bayonnais dont Éric Bayle et Marc Lièvremont louent le coup de tatane depuis des années maintenant. Le ballon passe entre les poteaux, La France ouvre le score, Joris Segonds vient d’inscrire officiellement ses premiers points en bleu.

Jusqu’alors dans son match, Patrick le beau-père laisse échapper sa joie comme une délivrance. Comme pour dire : il peut tout se passer maintenant, il a déjà réussi son match. Karine, elle, est toujours debout, sans cesse à chercher « le gosse » comme elle dit, sur le terrain. Et elle n’apprécie pas vraiment quand il défend sur le second ligne Scott Barrett : « Ça me fait peur ! » Mais Joris ne l’entend pas. « Heureusement », reprend-elle, « je me ferais engueuler. »

Le XV de France, à qui l’on prédisait l’enfer et un écart au score frôlant l’indécence, est au rendez-vous. Les Bleus tiennent les Blacks en respect sur cette pelouse du Forsyth Barr Stadium de Dunedin. Et l’Aveyronnais est dans le tempo de ses coéquipiers concentrés, appliqués. Il distille les ballons et force un peu plus la fierté familiale lorsqu’il se retrouve à la dernière passe de deux essais français de Mickaël Guillard et de Gabin Villière. On le sent tout de même, la maman est fière !

Une maman qui ne feint rien, qui dit ce qu’elle pense, qui vit le match au point même de demander au sélectionneur de sortir le fiston : « C’est bon maintenant, sort le Fabien ! » Ouf, Karine respire, Fabien Galthié ne veut surtout pas se froisser avec la mère de son ouvreur. Joris est remplacé par Antoine Hastoy à la 65e minute. Mais la pression ne retombe pas pour autant dans la maison. Les Bleus s’accrochent et les Blacks pataugent en se voyant refuser trois essais. L’espoir est toujours présent jusqu’à l’en-avant de Romain Taofifenua dans les vingt-deux.

La France s’incline 31-27 mais sa prestation résonne presque comme une victoire. Karine et Patrick ne tombent pas dans l’exubérance de la fierté, même s’ils le sont. Le petit, pour une première, a rendu une belle copie. « Je suis contente », lâche-t-elle, simplement.

Karine garde pour elle sa joie et écoute religieusement les paroles de Joris au micro de Canal +. Le téléphone sonne, c’est Michel, le papy, père de Karine. On ne refait pas le match, on se dit simplement qu’il en a fait un bon. Alors que Joris vient de réaliser une performance extraordinaire, en offrant la folie de voir un Decazevillois en bleu et blanc… et rouge.