Lindy hop, charleston, Balboa… À Strasbourg, l’association Lindy Spot fédère plus de 600 adhérent(e)s autour de l’apprentissage des danses swing. Le temps d’une initiation, nous avons vibré sur la piste au rythme du blues.
Ramener un pied vers l’autre en se laissant porter par la musique. Onduler des hanches sans y penser. Ou hésiter en regardant ses pieds et ceux des autres. Dans le caveau du bar Le Petit Tigre, ce vendredi soir de juin, ils et elles sont une quinzaine à écouter les conseils d’Emeline Dewulf et Pauline Dorgler pour maitriser le twist, un pas de base du blues.
Quand certain(e)s se déplacent sur la piste avec aisance, d’autres peinent à lever le nez de leurs chaussures. « Il n’y a pas d’erreur en danse… Il n’y a que des variations ! » lance Pauline avec bonne humeur pour les encourager à lâcher prise.
À droite, Emeline Dewulf. © Adrien Labit / Pokaa
© Adrien Labit / Pokaa
Dans l’assemblée, certain(e)s ont l’habitude de se plier aux chorégraphies. L’initiation est organisée par l’association Lindy Spot, spécialisée dans l’apprentissage des danses swing.
Elle organise une trentaine de cours par semaine et compte environ 600 adhérent(e)s. Ce soir-là, des adeptes d’autres styles de danse ont dévalé les marches du caveau pour prendre le temps de découvrir le blues.
Des juke-joints aux bars strasbourgeois
Sur la piste, Pauline et Emeline enchainent avec d’autres mouvements. Le fishtail pour commencer. Comme son nom l’indique, il s’agit d’onduler le bassin comme si c’était la queue d’un poisson. Suit le charity ribbon, un autre mouvement dans lequel les hanches font un mouvement de boucle.
Dans la salle, on sourit autant qu’on s’applique à essayer de reproduire les pas. Parfois, avec un peu trop d’enthousiasme. Le bassin emporte alors le haut du corps et l’ondulation devient totale. L’occasion de refaire un point sur cette danse d’origine africaine-américaine.
© Adrien Labit / Pokaa
« Où est-ce que c’est né le blues ? » demande Pauline. « Dans le delta du Mississippi », répond une élève. « Dans la rue ? Dans les bars ? », « Dans les bars ! » Dans les juke-joints, précisément, des débits de boissons improvisés, apparus à la fin des années 1800 dans les baraquements africains-américains du delta. Le blues se danse dans de petites salles bondées. Éventuellement un verre à la main, que l’on évite de renverser. Pour cela, il faut être bien ancré(e) sur ses appuis.
Le blues se danse seul(e) ou à deux. Un partenaire mène — c’est le lead — et l’autre suit — c’est le follow. « Ce n’est pas genré, insiste Pauline. Les femmes peuvent être lead et les hommes follow. » Le contact est léger, une main sur le bras, l’autre sur la taille. « Pas au niveau de la hanche, c’est trop bas, ni au niveau du soutif, c’est trop haut », avertit Pauline, avant de danser avec sa partenaire. Les enseignantes bougent si bien ensemble qu’il est compliqué de distinguer qui mène l’autre. En rythme, ou en opposition.
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Puis c’est au tour des élèves de se lancer. Les lead tournent dans la salle et les follow restent au même endroit. « Prenez le temps de vous connecter à l’autre, de voir si vous avez le même groove », conseille Pauline avec malice. La bonne humeur communicative des professeures pousse les plus timides à se lancer dans la ronde. L’initiation se termine et peut enfin laisser place à la pratique.
Une danse d’émancipation
Pauline Dorgler et Emeline Dewulf profitent de l’entracte pour sortir prendre l’air. Professeures de danse pour l’association Lindy Spot, toutes deux y ont d’abord été élèves. « J’avais commencé par pratiquer le Lindy hop, se souvient Pauline. J’ai découvert le blues par hasard en 2012, à l’occasion du Blues Spot, un festival organisé par l’association. C’est là que je me suis dit : c’est ça que je veux danser ! »
À gauche, Pauline Dorgler. © Adrien Labit / Pokaa
Pourquoi le blues, particulièrement ? « Ce n’est pas une danse avec une esthétique classique : ce qui compte, c’est le ressenti, l’écoute, la musicalité », juge celle qui l’enseigne désormais de manière professionnelle, et y voit une discipline « de l’affirmation de soi ». « Cela peut se danser seule ou à deux, on danse avec tout le monde, quel que soit son genre : il y a une dimension politique. C’est une danse émancipatrice. »
Sensible aux questions d’appropriation culturelle, Pauline Dorgler revient régulièrement sur les origines du blues et des danses swing en général. « C’est essentiel de leur donner un contexte », juge celle qui a à cœur de faire découvrir ce style dans toute sa diversité. « J’ai également une playlist dans laquelle il n’y a que des femmes, car elles ont été très présentes dans le blues. »
© Adrien Labit / Pokaa
Emeline a découvert le blues grâce à un collègue de travail à qui il manquait un follow. Après plusieurs initiations et un festival, elle est aussi tombée sous le charme de cette danse. « J’aime l’énergie du blues. Après une bonne danse, on a juste envie de faire un câlin à son ou sa partenaire. » « Dans un monde où les femmes font tout, c’est aussi un moment pour lâcher prise, sortir du contrôle, se laisser être à l’écoute. »
Le feeling avant la technique
Dans le caveau, Marlou vient de monter sur scène pour un set de blues. De nouveaux/lles venu(e)s viennent d’arriver pour profiter de la soirée dansante. Vice-présidente de l’association Lindy Spot, Jade Ruolt pratique plutôt le Lindy hop, qu’elle enseigne également. « Ce que j’aime dans le blues, c’est d’abord la musique en elle-même. Il y a aussi énormément d’improvisation dans cette danse qui accorde beaucoup d’importance au ressenti corporel. »
Marlou. © Adrien Labit / Pokaa
Emeline Dewulf et Jade Ruolt. © Adrien Labit / Pokaa
« Ce qui compte, c’est davantage le feeling que la technique, juge de son côté Vincent, qui pratique habituellement le Balboa, une des autres danses swing enseignées au sein de l’association. Le tempo est assez lent, cela permet d’appréhender des choses qui peuvent être compliquées, comme de sentir les intentions de son partenaire. Un mouvement du buste, une pression sur le bras, cela va immédiatement dire quelque chose. »
Dans la salle, la plupart des personnes ayant assisté à l’initiation dansent maintenant avec une certaine aisance. Marine n’avait jamais mis un pied en cours de danse avant cette soirée.
« D’habitude, je pratique plutôt le crossfit ou la course à pied : je suis totalement sortie de ma zone de confort, sourit la jeune femme, venue découvrir l’univers d’une de ses amies, passionnée de blues. C’est assez challengeant de danser avec des personnes que l’on ne connaît pas, mais le cours met tout de suite à l’aise. En tant que débutante, je trouve ça très abordable. On peut se débrouiller rapidement : il n’y a pas besoin de faire 40 heures de cours avant que cela ressemble à quelque chose. »
© Adrien Labit / Pokaa
Adhérente à l’association depuis un an, Marie-Noëlle met elle aussi en pratique les pas qu’elle vient d’apprendre. C’est sa deuxième soirée blues. « J’ai commencé la danse avec le Lindy hop. L’ambiance est très conviviale dans l’association et les professeures partagent des morceaux et des événements d’autres disciplines que les leurs. Elles nous invitent à découvrir de nouvelles choses. »
L’association propose une trentaine d’heures de cours chaque semaine et organise chaque année quatre festivals et de nombreuses initiations dans des lieux différents. Une fois par semaine, une soirée est dévolue à la pratique pure et dure, sans cours particulier. « On y apprend presque mieux que pendant les cours », sourit Marie-Noëlle.
L’essentiel étant de se laisser porter par la musique pour trouver la meilleure manière de l’habiter en mouvement.