Alors que le chancelier allemand exhorte ses concitoyens à “travailler plus et surtout plus efficacement”, un constat reste absent du débat : en Allemagne, près de 70 % des mères actives le sont à temps partiel, contre moins de la moitié en France. Dix ans après la naissance de leur premier enfant, les mères allemandes gagnent 40 % de moins qu’avant d’avoir eu un enfant. Dans un article très détaillé, la Frankfurter Allgemeine Zeitung analyse ce fossé économique et culturel.
Dès la grossesse, les femmes allemandes sont confrontées à une norme sociale rigide. Clémence, une Française installée à Francfort, découvre vite le mot “Rabenmutter” – littéralement “mère corbeau”, une insulte pour désigner celles jugées trop carriéristes. En France, c’est l’inverse : les “mamans poules” qui refusent de faire garder leurs enfants suscitent l’ironie. Résultat : les mères françaises travaillent en moyenne cinq heures de plus par semaine que leurs homologues allemandes.
L’écart s’explique aussi par des choix politiques. Dès 1965, la France autorisait les femmes à travailler sans l’accord de leur mari. L’égalité salariale est inscrite dans la loi depuis 1972. En Allemagne, l’héritage du nazisme et l’influence persistante de l’Église ont conforté un modèle plus patriarcal. “Lorsque la main-d’œuvre est devenue rare, la République fédérale n’a guère fait appel aux femmes, mais a plutôt recruté des hommes à l’étranger”, rappelle d’ailleurs l’historien Magnus Brechtken.
Le système français privilégie une reprise rapide du travail : les crèches accueillent les bébés dès 10 semaines, avec des horaires étendus (de 8 heures à 19 heures), et l’école commence à 3 ans. À l’inverse, “nous ne rendons pas suffisamment attrayant le travail à temps plein pour les femmes”, constate l’économiste Ulrike Malmendier. En cause : manque de places en crèche, impôts désavantageux pour les seconds revenus (souvent féminins), minijobs peu incitatifs.
Le coût est élevé car “l’économie perd beaucoup de talents”, comme le déplore l’économiste Nicola Fuchs-Schündeln. À l’heure où l’économie allemande stagne et où les pénuries de main-d’œuvre s’aggravent, ce modèle semble en réalité de plus en plus contre-productif.