Avant, nous jouions à la marelle ensemble, en respectant les règles. Puis trois caïds sont arrivés, et il n’y a plus de règles » : le ministre de l’Économie Eric Lombard s’est fait samedi ministre des contes pour décrire ce que signifie « le choc des réalités », thème de ces 25e Rencontres d’Aix. Les trois « caïds » sont naturellement la Russie, la Chine et les États-Unis, qui nous imposent des conflits de natures diverses.
« Discours anxiogène » du budget
Bernard Sananès, de l’Institut Elabe, traduit cela d’un mot, une « vulnérabilité » ressentie par tous. « Nous sommes entrés dans un monde où tout peut arriver, même l’inimaginable » : notre maison bâtie dans un quartier tranquille soudain balayée par une tornade, notre pays à la merci d’un dictateur fou envoyant un missile… « Ce n’est pas de la peur, mais une interrogation : comment nous protéger ? »
Ainsi va notre monde, où « la seule certitude est l’incertitude », résume Ilham Kadri, présidente du chimiste Syensqo. Ainsi va la France depuis exactement un an – l’édition précédente des Rencontres avait été abrégée par le second tour des législatives, suite à une « dissolution insensée » (dixit Michel Barnier).
L’incertitude est embrumée par les atermoiements budgétaires du gouvernement, qui font dire au patron de Carrefour Alexandre Bompard : « Je demande aux pouvoirs publics d’arrêter le discours anxiogène sur les dépenses publiques » –cause, selon lui, d’un taux d’épargne dépassant 18 %, au détriment de la consommation et de la croissance.
Draghi, « espoir » de l’Europe ?
Et le ministre de l’Économie aura ajouté l’inquiétude à l’incertitude en pointant samedi que « depuis hier soir, nous empruntons plus cher que l’Italie », signe d’une confiance en baisse des marchés financiers.
Reste l’Europe. Incarnée par Mario Draghi, 77 ans – « l’espoir », selon l’économiste Philippe Aghion, qui fait acclamer l’ancien président de la Banque centrale européenne. L’Europe nécessaire, plaident politiques, économistes et dirigeants d’entreprise, mais une Europe si lente à réagir face aux « caïds ».
Le triomphe d’Estanguet
Maintes fois aura par exemple été plaidée, au long de ces trois jours, l’urgence d’un marché européen des capitaux. Le gouverneur de la Banque de France François Villeroy de Galhau a même coiffé pour cela une étonnante casquette brodée « Make Europe Great Again ».
Mais un expert américain remarquera perfidement : « J’étais banquier en Europe il y a vingt ans, on parlait déjà de ce marché unique des capitaux… J’ai l’impression qu’on n’a pas avancé ».
Concluons sur une note plus positive, le triomphe fait à Tony Estanguet. « L’été dernier, notre pays s’est réconcilié », constate le maître d’œuvre des Jeux Olympiques. Il rappelle cependant le scepticisme, les critiques et les querelles affrontées avant le succès final. L’assemblée n’entend pas cela. Seul paraît compter pour elle le souvenir d’avoir « fait nation ensemble ».