«C’est haut, là. La vérité, je me cague un peu », formule Nathan, 17 ans plongeant son regard dans les vingt mètres de vide sous ses pieds. « Ben ouais frère, t’as les genoux qui tremblent », acquiesce son collègue peu avant que d’autres de ses amis ne lancent un décompte « 9, 8, 7, 6… ».
A zéro, le jeune homme s’élance et retombe dans un splash dont le bruit recouvre un instant celui des cigales. Il a un grand sourire et fait quelques brasses pour regagner le rivage. C’est ainsi que chaque jour d’été, les falaises de la calanque de Port Miou, à Cassis, présentent un vrai spectacle.
« L’impression de voler »
Et le lieu est hautement réputé. Un article publié sur le site de la boisson Red Bull, qui organise par ailleurs chaque année des compétitions de « plongeons de falaises », recense le site de Port-Miou et plus largement des calanques comme le premier des plus beaux spots d’Europe où pratiquer ce sport extrême.
« Un sport extrême très accessible », explique justement Antoine, 16 ans, venu en train avec trois compères d’Aix-en-Provence passer la journée dans ce cadre idyllique. Lui, a connu le spot par un ami qui l’a amené un jour. Depuis, il en entraîne d’autres et multiplie les sauts, parfois acrobatiques depuis différentes hauteurs, de trois à vingt mètres. « Ce que j’aime c’est l’adrénaline, la sensation d’accélération, l’impression de voler », détaille l’adolescent.
Une recherche d’adrénaline dans laquelle se retrouve Divane, venu de Marseille. S’il a connu d’abord le lieu petit en venant avec sa mère, il a depuis exploré un peu les calanques jusqu’à trouver cet endroit, un peu à l’écart des deux restaurants du front de mer.
Dangers à Marseille
Avec ses amis Sacha, Matthéo et Adam, les quatre lycéens disent aussi avoir vu la pratique se répandre sur les réseaux sociaux. « C’est le troisième été qu’on vient ici », reprend Divane, qui raconte aussi « avoir sauté dans Marseille, surtout depuis la passerelle du Mucem » qui culmine à 22 mètres. Une pratique interdite à Marseille depuis 2006 par arrêté municipal mais pourtant courante depuis la corniche Kennedy, donnant même lieu à un film.
L’an dernier, un jeune s’est tué en sautant depuis la Corniche. « Il est retombé sur le dur », se souvient auprès de 20 Minutes le lieutenant de vaisseau Pierre du bataillon des marins-pompiers de Marseille. « En 2024, nous avons eu une dizaine d’interventions pour des mauvais sauts. La Corniche est très accidentée, le vent peut rabattre le sauteur sur les rochers », poursuit le lieutenant qui s’inquiète d’avoir déjà cette année réalisée « autant d’interventions que l’été dernier, pour cinq transports à l’hôpital ».
Poly traumatismes, perte de conscience et risque de noyade : « Le bas de la Corniche est en plus difficile d’accès. C’est interdit et ce n’est pas pour rien », conclut-il.
A Cassis, en revanche, nulle interdiction. « Ici c’est plus carré », exprime reprend Divane. « En plus, il y a différents sauts, à plusieurs hauteurs, c’est plus tranquille. » « C’est assez sécure comme spot, complète un de ses collègues, certains des promontoires ont été bétonnés, c’est plus sécure qu’à Marseille ». La troupe d’adolescents aime aussi se donner en spectacle. « Quand les bateaux de touristes passent, ça chauffe l’ego ». Et cela donne aussi du courage.
Testotérone et réseaux sociaux
Ce jour-là ils sont une vingtaine de jeunes de groupes différents à se partager, s’encourager et se jauger sur les rochers. Et quand surviennent à intervalle régulier les « boats tour des calanques » chargés de leur centaine de touristes, les sauts, périlleux pour les plus téméraires, s’enchaînent un peu plus vite.
« Vous pourriez applaudir quand même », lance l’un d’eux depuis sa falaise aux visiteurs juchés sur leur navette à touristes qui entame son demi-tour une fois le bout de son étrave pointé dans la calanque. Et les éphémères visiteurs, posent un instant leur smartphone et s’exécutent pour le plaisir des plongeurs qui se filment également entre eux.
Assis un peu à l’écart, un couple de touriste quinquagénaire contemple cette ambiance adolescente : « C’est plein de testostérone », constate Christian, qui trouve ça « assez risqué, mais a aussi été jeune ».
Une discipline qui s’est professionalisée
Sa jeunesse, justement, Cyrille Oumedjkane, 49 ans, l’a consacré aux plongeons. Ex-plongeur professionnel reconverti comme juge international, il a vu la discipline se développer. « Pour moi c’était un hobby. Aujourd’hui, c’est un métier avec des sponsors », apprécie le Français originaire de Strasbourg.
« Ça a énormément évolué. Surtout grâce aux réseaux sociaux et à Red bull, qui a mis un gros coup de boost à la discipline en lançant les world séries en 2009, un ensemble de 8 compétitions par an ». Celui qui a commencé en piscine, s’est mis au début des années 2000 à plonger en milieu naturel, avec des plongeons à plus de trente mètres : « C’est la recherche de liberté et aussi le plaisir d’explorer, d’escalader ».
Et de donner quelques conseils : « La première chose à faire, c’est de vérifier le fond, la base. Ensuite, observer d’en bas le dénivelé de la falaise, car d’en haut, la vision n’est pas la même ». Et de compléter : « Il faut bien gainer les bras le long du corps, repliés sur les côtés et la poitrine. Et éviter les baskets. C’est contre-intuitif, mais les baskets augmentent la surface d’impact car il vaut mieux entrer dans l’eau pieds à plat pour percer la surface et créer son trou ».
« Et surtout, ne pas se laisser entraîner par les copains : si on ne le sent pas, on ne le fait pas », conclut-il.