Le Grand collisionneur
de hadrons (LHC), célèbre pour ses découvertes majeures comme celle
du boson de Higgs, poursuit son
exploration des mystères de la matière en plongeant cette fois dans
un territoire encore peu exploré : les collisions d’ions oxygène.
Cette nouvelle étape expérimentale vise à recréer, à une échelle
microscopique, les conditions extrêmes qui régnaient dans l’univers
tout juste né, quelques millionièmes de seconde après le Big
Bang.

Du boson de Higgs au plasma
quark-gluon : un pas de géant

Si le LHC est surtout connu
pour ses collisions de protons — qui ont permis d’identifier le
champ de Higgs, source de la masse des particules élémentaires — il
est aussi un formidable laboratoire pour faire entrer en collision
des ions lourds, c’est-à-dire des noyaux atomiques chargés
électriquement et plus massifs. En provoquant ces collisions à des
énergies colossales, les chercheurs peuvent créer un état
particulier de la matière appelé plasma quark-gluon (QGP).

Ce plasma est une sorte de «
soupe » ultra-chaude où les quarks, les briques fondamentales de la
matière, et les gluons, qui les maintiennent liés au sein des
protons et neutrons, ne sont plus confinés dans des particules
individuelles. Cette phase de la matière n’existe plus dans notre
univers actuel, mais elle dominait les tout premiers instants après
le Big Bang, avant que la matière ne se structure en particules
plus familières.

Pourquoi des ions oxygène
?

Jusqu’à présent, les
expériences du LHC se sont principalement concentrées sur les
collisions d’ions plomb, des noyaux très lourds. Ces collisions
produisent un plasma quark-gluon dense et volumineux, idéal pour
étudier ses propriétés dans des conditions extrêmes. En parallèle,
les collisions proton-proton fournissent des données sur la matière
dans des environnements plus « froids » et moins denses.

Mais qu’en est-il des cas
intermédiaires ? Que se passe-t-il dans un système de taille
moyenne, ni aussi massif que le plomb, ni aussi léger que le proton
? C’est pour répondre à cette question que le LHC a lancé son
nouveau programme de collisions d’ions oxygène, ainsi que de néon,
qui ont une taille intermédiaire. En entrant en collision, ces
noyaux d’oxygène ou de néon produiront un plasma quark-gluon plus
petit que celui du plomb, mais plus grand que celui produit par un
proton, permettant de combler un vide crucial dans notre
compréhension.

Étudier la taille critique du
plasma quark-gluon

L’intérêt scientifique
principal est de comprendre comment les propriétés du plasma
quark-gluon évoluent en fonction de la taille du système produit
lors des collisions. Par exemple, lors des collisions d’ions plomb,
les chercheurs ont observé un phénomène appelé « extinction de jet
», où des particules énergétiques perdent une part significative de
leur énergie en traversant le plasma. Ce phénomène n’a pas été
détecté dans les collisions proton-plomb, où le plasma est plus
petit.

Les collisions oxygène-oxygène
offrent donc une opportunité unique : elles pourraient révéler à
partir de quelle taille du système commence réellement cette
extinction des jets, un indice précieux sur la nature et la
dynamique du plasma. Comprendre ce seuil est essentiel pour relier
les résultats des collisions légères et lourdes, et ainsi mieux
saisir le comportement de la matière dans des environnements
extrêmes.

CERN LHC FCC oxygène

Crédit :
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Crédits : -Dant-/istockAu-delà de la physique
fondamentale : comprendre la structure nucléaire

Ces expériences ne se limitent
pas à étudier le plasma quark-gluon. Elles permettent aussi d’en
apprendre davantage sur la structure même des noyaux d’oxygène et
de néon. Par exemple, la forme géométrique du noyau de néon, qui
serait comparable à une quille de bowling, pourrait influencer la
formation du plasma et le mouvement collectif des particules qui en
émergent.

Ce « flux collectif », observé
dans les collisions lourdes, correspond à un mouvement coordonné
des particules émises et reflète la dynamique interne du plasma. En
analysant ces effets dans des systèmes intermédiaires, les
chercheurs espèrent mieux comprendre les liens entre la géométrie
nucléaire, la dynamique du plasma et les interactions fondamentales
entre particules.

Défis techniques et
perspectives futures

Les collisions d’ions oxygène
présentent aussi des défis inédits. Le phénomène dit d’« effet de
transmutation » peut créer des particules secondaires qui ont le
même rapport charge/masse que les ions oxygène, ce qui complique la
propreté et l’analyse des faisceaux au LHC. Les physiciens devront
donc gérer ces pollutions du faisceau pour obtenir des données
exploitables.

Cette phase expérimentale, qui
se déroule sur une dizaine de jours début juillet, est une première
mondiale. Comme le souligne Ivan Amos Cali, chercheur impliqué dans
l’expérience, personne n’a jamais observé directement ce type de
collisions. Les résultats attendus ouvriront de nouvelles pistes
pour tester et affiner les théories actuelles sur l’interaction
forte, la force qui lie les quarks entre eux.

Un voyage au cœur de
l’univers primitif

Au final, ces expériences
d’ions oxygène s’inscrivent dans un vaste effort pour comprendre la
nature profonde de la matière et les conditions extrêmes qui ont
façonné l’univers il y a 13,8 milliards d’années. En reliant les
observations des collisions proton-proton, d’ions lourds et
maintenant d’ions intermédiaires, les physiciens espèrent
construire une image plus complète et précise du plasma quark-gluon
et des lois fondamentales qui régissent la matière.

Le LHC, grâce à sa capacité à
explorer une gamme variée de collisions, reste ainsi un outil
irremplaçable pour sonder l’invisible, là où la matière révèle ses
secrets les plus intimes.