Alors qu’une vague de chaleur historique s’abat depuis plusieurs jours sur la France, il nous paraît nécessaire, élus et médecins, de revenir sur les choix politiques qui mettent notre santé, et nos écosystèmes en péril. Les habitant·es de l’Eurométropole suffoquent, subissent un nouveau pic d’ozone pendant que le gouvernement enchaîne les défaites en matière d’environnement et de santé publique, aggravant les risques que se multiplient ces épisodes dans les prochaines années. On ne peut alors détourner les yeux d’un des secteurs les plus émetteurs de CO2 et de polluants : le transport routier. Comment, alors, ne pas revenir sur la suppression des ZFE, à contretemps des enjeux du siècle et de l’actualité ?
« La suppression des ZFE est une défaite pour les plus modestes, abandonnés à une pollution quotidienne, invisible et meurtrière. »
Trois médecins et élus strasbourgeois de la majorité écologiste
Il y a quelques jours, les députés ont voté la suppression pure et simple des ZFE, sans aucune alternative, sans plan pour améliorer la santé des plus exposés, sans vision pour la transition écologique des mobilités. Comme si, par enchantement, la pollution de l’air et le réchauffement climatique avaient disparu. Ce recul brutal, habillé de préoccupations sociales, est en réalité une démission politique. Il prive la France de leviers essentiels dans la lutte contre la pollution de l’air (responsable de 40 000 décès prématurés chaque année et d’un coût économique considérable estimé à plusieurs milliards d’euros) et menace l’accès à des financements européens majeurs pourtant destinés à soutenir les collectivités et les ménages dans cette transition.
Ce vote n’est pas une victoire populaire, comme certains souhaiteraient en faire le récit. C’est une défaite pour les plus modestes, abandonnés à une pollution quotidienne, invisible et meurtrière ; une défaite pour les personnes éloignées des transports collectifs sans alternative et sans aide, une défaite pour les 15 millions de Français souffrant de précarité dans leur mobilité.
La ZFE pour réduire les inégalités de santé
La Zone à Faibles Émissions (ZFE) de l’Eurométropole de Strasbourg a été déployée pour soutenir les ménages les plus fragiles en réduisant la pollution à laquelle ils sont exposés et en facilitant leurs déplacements grâce à la « révolution des mobilités ». Nous, élu·es et médecins, avons toujours voulu conjuguer ZFE et renforcement des alternatives individuelles et collectives pour une mobilité moins polluante, plus adaptée au dérèglement climatique, plus accessibles aux plus modestes, réduisant les inégalités sociales et de santé.
À Strasbourg, les ménages précaires sont ceux que la ZFE protège et accompagne en priorité. Car ce sont eux qui vivent à proximité immédiate des axes les plus pollués faute de moyen pour s’en éloigner. Eux qui n’ont que peu ou pas de véhicule (près d’une famille modeste sur deux à Strasbourg n’a pas de véhicule), et pour qui l’achat, l’entretien et l’assurance d’une voiture représentent une charge disproportionnée dans leur budget (entre 3500 et 5000 euros par an). Eux encore qui, faute d’un système de santé accessible et de prévention suffisante, sont plus fragiles face à la pollution. Faut-il rappeler que la pollution de l’air est un désastre sanitaire, responsable annuellement de 15 à 20 % des nouveaux cas d’asthme chez l’enfant et l’adulte, de 4 100 nouveaux cas de cancer du poumon et de 14 000 nouveaux cas de diabète de type 2 ?
Ceux qui polluent le moins sont ceux qui paient le plus lourd tribut, contribuant ainsi à aggraver les inégalités de santé qui sont, en France, parmi les plus fortes d’Europe, et dans l’Eurométropole, parmi les plus fortes de France. Ce que, par la ZFE, nous souhaitons réduire.
Et les résultats sont là : la qualité de l’air s’améliore de manière significative, notamment autour des quartiers et des axes les plus exposés (-42% de NO2 entre 2021 et 2024). Ce n’est pas un hasard : en réduisant le trafic des véhicules les plus polluants, la ZFE agit concrètement sur la pollution.
Une « révolution des mobilités » comme outil de justice sociale
Dans l’Eurométropole, plus de 6 000 ménages modestes ont bénéficié d’aides financières pour remplacer leur véhicule. Y compris pour l’achat de voitures d’occasion plus propres, loin des caricatures sur le « véhicule électrique neuf à 35 000 euros ».
Accompagner celles et ceux qui ne peuvent se passer de véhicule est un enjeu de taille, qui se couple avec celui de proposer des alternatives à l’usage de la voiture : nouvelles lignes de bus structurantes comme la C8 vers le Neuhof, gratuité des transports en commun pour les moins de 18 ans, REME, transport à la demande, covoiturage rémunéré, etc. Autant de projets concrets qui permettent à tous les habitant·es de retrouver une mobilité choisie, moins coûteuse et moins polluante et de réduire la précarité de mobilité des plus modestes.
Dans l’Eurométropole, un accompagnement personnalisé a été mis en place, avec l’Agence du Climat et d’autres partenaires pour assurer contacts, explications et permanences dans les quartiers. C’est un effort sans précédent pour aller vers les publics concernés. Cet accompagnement n’est pas le fruit du hasard. Face à une urgence sanitaire, il est le résultat de choix politiques forts portés par des élus locaux engagés et responsables.
Abandonner les ZFE aujourd’hui, c’est renoncer à protéger les enfants qui grandissent au bord des routes, les seniors aux bronches fragiles, les familles dont la précarité se double d’une dépendance subie à une voiture polluante. Nous refusons une inaction mortifère. Là est l’écologie punitive. Celle qui ne fait rien quand la pollution tue et que le climat s’emballe. Quelle est l’alternative proposée par les opposants aux ZFE ? Assument-ils la responsabilité des dégâts sanitaires ?
Améliorons le dispositif, ne laissons pas tomber les habitant·es
En tant qu’élu·es et médecins, nous contribuons avec responsabilité à cette politique volontariste de droit à la mobilité et à la santé : la réduction des inégalités sociales et de santé a toujours motivé nos engagements.
Oui, les ZFE sont des dispositifs qui doivent être améliorées. La cabale médiatique qui a entraîné leur disparition a été faite de beaucoup de désinformations, voire de mensonges, mais de vraies questions sont à se poser. Et nous ne pouvons agir seul·es. L’État doit s’engager auprès des collectivités pour renforcer les dispositifs d’aide, accélérer les alternatives, dans une logique de solidarité et de justice sociale. Il n’a pas été à la hauteur, sans portage politique et sans accompagnement financier du déploiement du dispositif.
Face aux urgences sociales, sanitaires et climatiques, il n’y a pas de place pour les petits calculs politiciens. La santé des plus fragiles mérite mieux. Elle mérite une politique courageuse que nous devons collectivement contribuer à renforcer. À celles et ceux qui critiquent les ZFE : rejoignez-nous, demandons ensemble davantage de mesures pour améliorer le dispositif, pour aller plus loin et plus vite.
Ce que le débat national a ignoré, c’est que la justice sociale et de santé commence par la justice environnementale.
Françoise Schaetzel, conseillère municipale et vice-présidente de l’Eurométropole chargée de la qualité de l’air, médecin de santé publique
Syamak Agha Babaei, premier adjoint à la Maire de Strasbourg et vice-président de l’Eurométropole chargé du budget et des finances, médecin urgentiste
Alexandre Feltz, adjoint à la Maire chargé de la santé publique et environnementale et conseiller eurométropolitain, médecin généraliste