Il est 17 h. Une file dense de véhicules presque à l’arrêt s’étend sur un kilomètre, de part et d’autre du pont de l’Europe, qui enjambe le Rhin pour relier Strasbourg à la ville frontalière de Kehl, côté allemand. Là-bas, la police effectue des contrôles d’identité aléatoires sous un soleil de plomb, en faisant signe à certains véhicules de se ranger sur le côté.
En place depuis le 8 mai 2025, le renforcement des contrôles aux frontières allemandes a été annoncé par le nouveau chancelier, Friedrich Merz, dans le cadre de sa politique de lutte contre l’immigration illégale. Une mesure éreintante pour les nombreux Alsaciens qui réalisent quotidiennement des trajets transfrontaliers, avec des ralentissements particulièrement importants aux heures de pointe.
Au travail plus tôt ou à vélo
« Je ne pensais pas revoir un jour des contrôles à la frontière », soupire Christiane Schewe. Née en Allemagne, Christiane habite désormais Strasbourg et réalise des allers-retours quotidiens entre son domicile et son lieu de travail, situé sur l’autre rive du Rhin. « Normalement, je mets dix minutes porte-à-porte, mais là, j’en ai pour une demi-heure de plus, calcule-t-elle, exaspérée. C’est insupportable, ces bouchons… et c’est tous les jours comme ça ! »
Alors, la Strasbourgeoise essaye de s’adapter en se rendant plus tôt au travail pour éviter les heures de pointe. « Quand j’y arrive, je pars plus tôt. Mais ce n’est pas toujours évident de s’organiser ! » Le reste du temps, Christiane tente de venir à vélo pour contourner les contrôles par le pont piéton qui mène à Kehl. « C’est un peu fatiguant à la montée, mais pas autant que les embouteillages ».
« Compliquer la vie de milliers de frontaliers »
Sur le parking du supermarché Edeka de Kehl, une mère de famille sort de sa voiture d’un pas pressé. Contrairement à Christiane, Marie-Laure Vidal ne travaille pas en Allemagne, mais s’y rend régulièrement pour faire ses courses et profiter des prix plus attractifs qu’en France sur certains produits, notamment d’hygiène.
« J’ai déposé les enfants au cirque, de l’autre côté du pont, indique-t-elle. Normalement, je suis ici en trois minutes, mais là, j’en ai mis vint-cinq, je n’ai plus que huit minutes pour faire mes courses ! » Ses enfants, poursuit-elle, sont scolarisés dans une école strasbourgeoise dans laquelle sont également inscrits des élèves binationaux qui habitent en Allemagne. « Ils ont beaucoup de difficultés pour arriver à l’heure le matin », regrette-t-elle.
Une situation dénoncée par la maire de Strasbourg, Jeanne Barseghian, et son homologue kehlois, Wolfram Britz, dans une lettre commune adressée au nouveau chancelier allemand Friedrich Merz, dès le 9 mai. « Nous ne pouvons accepter que le nouveau gouvernement fédéral renforce les contrôles au point de compliquer la vie de milliers de frontaliers, de centaines d’écoliers et d’écolières, ainsi que de familles réparties des deux côtés du Rhin », écrivaient les élus. Ce courrier est resté sans réponse à ce jour.