Dans le centre-ville, des riverains se plaignent des nuisances sonores et des tapages nocturnes liés aux bars dansants et discothèques. Certains lieux ont déjà fermé, tandis que d’autres suscitent encore des conflits de voisinage.
«On entend toute la musique depuis notre chambre.» Linh Thao Doan réside juste au-dessus du Village 59, un bar à cocktails qui se transforme en discothèque, du jeudi au samedi. L’établissement a ouvert le 25 octobre dernier sur les quais des Chartrons, à Bordeaux. Selon elle, les nuisances sonores deviennent insupportables. «On entend les basses des enceintes jusqu’à 5h du matin. On a aussi toute la clientèle imbibée et qui hurle sous notre fenêtre. On remarque aussi des traces de vomi sur les trottoirs le matin, en sortant de chez nous. C’est une catastrophe» s’alarme la résidente. Alors que plusieurs mains courantes ont déjà été déposées par des riverains, elle a décidé de porter plainte pour «trouble à la tranquillité publique par agressions sonores», dans un document que Le Figaro a pu consulter.
Elle n’est pas la seule habitante à se plaindre. Laurent Dufau, résident d’un immeuble voisin, est lui aussi gêné par le bruit. «On a essayé d’avoir un échange constructif avec les gérants, qui sont de bonnes personnes. Le problème, ce n’est pas la boîte de nuit, bien au contraire… C’est important d’avoir des lieux festifs. Sauf que là, vos voisins font une “boum” tous les soirs à partir du jeudi ! On peut même reconnaître la musique qui passe si on tend l’oreille. Quand vous ne dormez pas (ou alors très peu) trois nuits par semaine, c’est très agaçant», s’insurge-t-il. «La situation commence à être dramatique. Ma locataire ne peut plus dormir. Il y a des basses et des vibrations en permanence dans la nuit du jeudi au samedi… Elle ne peut pas se reposer, et ça dure depuis cinq mois», confie au Figaro un autre propriétaire d’un appartement proche des lieux.
Le Village 59 a pourtant essayé de régler les problèmes à l’amiable, en bon accord avec les voisins. «Ils ont été actifs et à l’écoute, mais le problème demeure toujours après cinq mois d’ouverture» explique Laurent Dufau. Contacté, l’établissement se défend : «Nous sommes un lieu de vie dynamique, respectueux de son environnement et de son voisinage. Nous respectons la loi et l’ensemble des règles en vigueur. Nous avons toujours cherché à entretenir un dialogue constructif avec notre entourage et toutes les parties prenantes.» Maître Jean-Baptiste Lavillenie, avocat de l’exploitante du lieu où est installée la discothèque, nous assure que «sa cliente n’a pas connaissance d’une plainte déposée par une riveraine, dont elle ignore l’identité» et ajoute que «comme dans tout rapport de voisinage, des échanges ont lieu entre l’exploitant et ses voisins directs sans qu’ils puissent relever d’une quelconque qualification. L’établissement est exploité, depuis l’origine, dans la plus stricte volonté de se conformer à la législation et la réglementation en vigueur.»
Ce conflit de voisinage lié aux nuisances sonores n’est pas un cas isolé à Bordeaux. Difficile d’allier ouverture de bars et de discothèques dans le centre-ville et respect de la tranquillité des Bordelais.
«Quand un bar est en bas de chez eux, ça coince»
L’établissement Tapage en a fait les frais. Le bar, situé derrière le Palais des sports, a été contraint de fermer seulement neuf mois après son ouverture, en juillet 2024. Le lieu branché a connu un certain succès et était destiné à des expositions et à des DJ sets, tout en servant de l’alcool. Le niveau sonore de la musique a finalement ulcéré les voisins, qui ont porté plainte tour à tour. «On ne s’attendait pas à un tel retour des gens et du public, dans ce quartier populaire. Le lieu a très bien marché et on a eu un super retour des clients. Malheureusement, il y a eu des soucis avec quelques voisins pour des tapages nocturnes… Ils se sont ligués contre nous et après les plaintes, c’était compliqué de faire face» explique Théo Bidou, gérant de l’établissement. Le lieu a également fait face à un problème administratif concernant la licence IV (qui permet aux établissements de servir de l’alcool), ce qui a accéléré sa fermeture. «À Bordeaux, il y a un côté hypocrite. Les gens adorent vivre en centre-ville, mais quand un bar est en bas de chez eux, ça coince. Un centre-ville, il faut que ça soit festif et qu’il y ait une vraie richesse culturelle. C’est compliqué d’ouvrir des lieux musicaux dans le centre», explique-t-il. Pour le moment, Théo Bidou espère garder le concept de Tapage, devenu un collectif de musique électronique qui organise régulièrement des événements à Bordeaux. Il espère, un jour, pouvoir rouvrir dans un autre local.
À la fin du mois de février, le restaurant Matahari, situé près du Grand Théâtre, a également été fermé par la préfecture de la Gironde pour «trouble à la tranquillité publique» et «tapage nocturne», seulement six mois après son ouverture. Des soirées DJ sets étaient régulièrement organisées. Un couple, qui habitait au-dessus de l’établissement, avait alors multiplié les plaintes pour nuisances sonores. Les gérants profitent aujourd’hui de cette fermeture temporaire pour effectuer des travaux et rassurer les riverains.
«Respecter les normes»
Du côté de la mairie, on assure que l’ouverture de ces bars et restaurants, avec une programmation musicale, est surveillée. «Quand il y a une nouvelle demande de licence III (permettant de servir des boissons avec un taux d’alcool inférieur ou égal à 18°, NDLR) et IV (pour les boissons supérieures à 18°, NDLR), une étude de voisinage est réalisée, avec certaines règles et des distances à respecter par rapport aux riverains. Il y a des périmètres de protections sur les Chartrons et les Bassins à flot, par exemple… Pour éviter la multiplication des licences», indique Marc Etcheverry, adjoint au maire chargé de la sécurité, la prévention de la délinquance et la médiation. Pour lui, l’objectif reste de garder de l’animation en centre-ville. «C’est tout notre travail et la volonté du maire. On accompagne les entrepreneurs qui veulent s’installer. Le projet d’un bar ou d’une discothèque qui diffuse de la musique, nous ne sommes jamais contre. Mais il va simplement falloir respecter les normes et les marges de décibels pour ne pas impacter les voisins. Il faut trouver le juste équilibre entre activité économique, culturel, et tranquillité des habitants.»
Sur la place du marché des Chartrons, dont les travaux de réaménagement ont débuté lundi 7 avril, l’installation de certains bars crispe des riverains depuis de nombreuses années. «L’ambiance tranquille du passé a laissé place à une animation le plus souvent agréable mais parfois excessive et envahissante», confiait au Figaro Stéphane Landreau, trésorier du collectif de riverains «C Les Chartrons», le mois dernier. Les commerces de quartier ont petit à petit été remplacés par des bars et des restaurants, de plus en plus nombreux. «On a 19 bars et restaurants sur la place, c’est dingue. Ça provoque des nuisances sonores immenses, et la nouvelle place des Chartrons n’y changera rien», selon lui.
Depuis 2017, la mairie encourage les riverains à la prévenir (en plus du dépôt de plainte) quand un établissement dysfonctionne ou que des nuisances sonores sont constatées. Elle a ainsi mis en place un projet participatif intitulé «Bordeaux la Nuit», pour répondre aux problématiques de la vie nocturne d’une ville encore surnommée «La Belle endormie».