« Je n’ai plus de jambe. Mais il me reste une voix. Et je compte bien m’en servir pour réclamer mes droits. » Vacillant sur son déambulateur, serrant sous le bras un épais dossier débordant de paperasse, Jean-Louis Justamond s’accroche à ce qu’il peut. Pour rester debout. Pour ne pas mourir, un an et demi après son accident de scooter. C’était le 27 novembre 2023, sur le boulevard Gambetta, à Nice. Responsable des papys trafics du secteur, l’ex-policier municipal complétant sa maigre retraite filait vers l’école Nazareth. « La conductrice d’une voiture ne m’a pas vu. Elle s’est rabattue sur moi », lâche-t-il. Huit mois après son accident, Nice-Matin relatait son calvaire, son combat.

Depuis, restent les blessures du corps – « on a finalement dû m’amputer en mars 2025 » – et celles de la tête – « ça a été comme un deuxième accident, ça ajoute de la noirceur. » Voilà une semaine que le retraité de 69 ans est de chez lui. À l’étroit dans son petit deux-pièces, il titube, ivre d’injustice, d’impuissance, cloisonné au troisième étage d’une barre HLM du Vallon-des-Fleurs gérée par Côte d’Azur habitat.

Ici, les pannes d’ascenseurs se succèdent. Ici, la colline et ses rangées d’escaliers poussent un fauteuil à prendre la route irrégulière et bordée de trottoirs trop élevés ou de voitures mal garées. Ici, l’appartement est trop exigu pour laisser passer une chaise roulante et ni les toilettes, ni la salle de bains, ni la chambre, ni la cuisine ne sont équipés. « Ici, à ma misère s’ajoute mon handicap. Et une fois devenu handicapé, plus rien n’est adapté », gronde le rescapé.

Mais sa colère cache mal son angoisse: « Je ne sors plus, de peur de ne pas pouvoir descendre ou de ne plus pouvoir remonter. » L’achat d’un fauteuil électrique pour 9.000 euros, difficilement déboursables avec une retraite de 900 euros, n’y a rien changé. « Il n’y a jamais la place pour passer, c’est une galère pas possible. »

Jean-Louis Justamond ne peut plus faire ses courses. Se faire livrer? « Même avec le portage du CCAS, ça coûte huit euros par repas. Trop cher pour moi. » Se faire dépanner par des proches? « Je suis un enfant de la Ddass, je n’ai pas de famille. Personne n’est venu me voir à l’hôpital. » Ses voisins? « Leurs pots de fleurs bloquent le passage de mon fauteuil. Et ils s’en fichent. »

Long silence. Que faire? « Pour la deuxième année consécutive, j’ai demandé un relogement. Il me faudrait un appartement de plain-pied, plus proche du centre-ville. » Vœu pieux: le bailleur social a 24.000 demandes en cours pour 950 attributions annuelles.

« L’accessibilité est une priorité »

« Un appartement adapté aux personnes à mobilité réduite (PMR), en rez-de-chaussée, est une denrée excessivement rare. »

D’emblée, Manuel Smadja pose le décor. Directeur général de Côte d’Azur habitat, il fait remarquer que la situation de Jean-Louis Justamond est loin d’être isolée : « Comme beaucoup de HLM, l’ensemble du Vallon-des-Fleurs a été construit dans les années 60. Il n’y avait aucune norme PMR. »

Peut-il être adapté ? « Pour les logements, on ne peut pas pousser les murs. Quant à la résidence, des travaux d’ampleur sont prévus au premier trimestre 2026 pour une durée de 24 mois (1). Ce chantier comprend une réfection des trottoirs avec des accès PMR. L’automatisation des portes est aussi à l’étude. »

Mais d’ici-là, comment le retraité, amputé d’une jambe, va-t-il s’en sortir ? Le directeur assure que « le dossier va être pris en charge en urgence. Nous allons nous mettre en lien avec la maison départementale des personnes handicapées (MDPH) et d’autres bailleurs pour trouver une solution. » Un dispositif exceptionnel. Car en moyenne, le délai d’attente pour obtenir un relogement est de 31 mois.

1. Entre 2022 et 2032, Côte d’Azur habitat s’est engagé à investir 330 millions d’euros pour la rénovation de son parc locatif. En 2026, 1 000 logements devraient ainsi être rénovés.