Loin des écrans, les vacanciers et vacancières se laissent séduire par le concept des retraites de lecture. Une bulle hors du temps où le plaisir de lire est la seule chose inscrite au programme. Décryptage d’une tendance estivale qui prend de l’ampleur.

« J’avais besoin de m’évader et de me plonger dans un bon bouquin ! » À cette urgence de couper avec la routine et le quotidien qui file à toute allure, Alison, 28 ans, a trouvé la solution : la retraite littéraire. Depuis plusieurs années, elle déconnecte chaque été, pendant une semaine, dans un camp où des passionnés de lecture comme elle se retrouvent, lisent et partagent leurs impressions.

Destination lecture

Les camps de lecture ont le vent en poupe ! Selon Pinterest, qui a dressé un bilan des temps forts de l’été 2025 : « Cette année, la tendance est à la déconnexion ! » En examinant de plus près les usages de ses utilisateurs et utilisatrices, le réseau social a remarqué que les recherches associées à la « détox numérique » étaient en hausse de 72 % à l’approche de l’été et celles concernant les retraites littéraires ont augmenté de 103 %. La phrase clé « idées de retraite pour club de lecture«  a quant à elle augmenté de +265 %.

Depuis quelques années, les camps de lecture se multiplient un peu partout en France. Certains s’organisent de manière informelle, dans des gîtes, et d’autres grandissent d’année en année. Un sort du lot : The Bookmates. C’est le premier à voir le jour en 2023, à l’initiative de Mathilde, alias @matoubook sur Instagram et TikTok, créatrice de contenu littéraire. « En me lançant sur les réseaux sociaux, j’ai réalisé la chance de pouvoir vivre plein d’expériences collectives autour de la lecture. En tant que lectrice, on peut aller dans des salons du livre ou à des dédicaces, mais il y a finalement très peu d’occasions où on se retrouve tous et toutes autour de cette passion, comme cela peut exister pour une activité sportive. L’idée a fait son petit bout de chemin dans ma tête et j’ai lancé le projet The Bookmates, se remémore-t-elle. Ma communauté a tout de suite suivi. Sur le premier camp, c’était essentiellement des gens qui me suivaient déjà sur les réseaux sociaux. Puis, la magie des réseaux sociaux : j’ai publié un TikTok qui a fait plus de 100 000 vues. À partir de là, ça a pris de l’ampleur. » Depuis, chaque été, le camp de lecture prend ses quartiers, pendant cinq semaines consécutives, sur la côte landaise, dans le sud-ouest de la France.

À la manière d’un camp de surf, les camps de lecture proposent une farandole d’activités, toujours tournées autour de l’amour pour la littérature, à la trentaine de participantes et participants inscrits pour la semaine. Une journée type dans un camp The Bookmates commence par une activité d’éveil du corps, suivi d’un marathon de lecture. Chacun profite des lieux à sa façon, déniche les coins cosy pour se consacrer pleinement à son livre. Chaque journée se clôture par un « apéro-update-lecture ».

En effet, toutes les activités ne consistent pas toujours à avoir un livre entre les mains. « On fait régulièrement des soirées films. L’été dernier on a lu My Lady Jane de Cynthia Hand [Rageot, 2023]. Au même moment, l’adaptation en série est sortie sur Amazon Prime. C’était génial de pouvoir mêler les deux », se souvient Mathilde. Le tout dans une ambiance conviviale et bienveillante. C’est peut-être la clé du succès de ces séjours littéraires, qui ont déjà accueilli près de 300 participants et participantes de 18 et 35 ans, en très grande majorité des femmes, depuis son lancement il y a trois ans.

La lecture devient collective

Comment expliquer l’engouement pour les retraites littéraires ? « J’ai toujours été une grande lectrice, mais seule dans mon coin. Je ne savais pas que ce genre de rassemblement existait. Dès que j’ai découvert ça, en 2023, j’ai voulu en être, confie Charlotte, 35 ans, devenue aujourd’hui une habituée des camps de The Bookmates. Elle poursuit : « Quand j’y vais, je suis dans ma bulle. Je travaille à plein temps et je suis maman. Dès que mes finances le permettent, parce que ça reste un budget – même si ça les vaut largement quand on voit toutes les activités proposées et la qualité des logements –, je pars là-bas ; c’est ma semaine rien qu’à moi dans l’année. »

Pour Alison, l’équilibre entre introspection et collectif est parfait : « C’est un peu paradoxal : c’est une expérience collective, mais c’est pour soi qu’on le fait. Les lieux sont pensés pour que chacun puisse avoir des moments tranquilles ou être avec le groupe quand il le souhaite. » Activité solitaire, la lecture devient un plaisir partagé. Cette promesse a attisé la curiosité d’Anaïs, 30 ans : « J’ai toujours voulu partir solo en vacances. Le camp de lecture était une super alternative, parce qu’à la fois je faisais un truc qui me passionnait et, en plus, je partais seule tout en étant avec un groupe et en me sentant safe. »

« Je sais que les lectrices et lecteurs, quand ils viennent dans un camp de lecture, sortent de leur zone de confort. C’est souvent des personnes plutôt introverties, c’est un grand pas pour eux », fait remarquer Mathilde. Pour rassembler, le camp de lecture The Bookmates construit son séjour autour de trois lectures communes, allant du young adult à la romance, en passant par la fantasy. « L’été dernier, une lecture nous a tous bouleversés, certains étaient même en pleurs : Vivre sans attendre de Laureline Maumelat [Rageot, 2024], qui est même venue nous voir sur le camp ».

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Pour Charlotte, l’expérience est une véritable révolution : « La première fois que je suis venue, j’étais plutôt réfractaire aux apéros update lecture… Au quotidien, je lis beaucoup, mais je ne le partage pas avec mes proches. C’est mon plaisir coupable que je garde pour moi, parce que ça peut me gêner d’en parler. Là, on est qu’avec des gens qui aiment les mêmes choses. L’été dernier, j’ai lu Les coquillages ne s’ouvrent qu’en été [Hachette, 2024] de Clara Héraut. C’était une lecture bouleversante et ça faisait du bien d’en parler avec des personnes qui en étaient exactement au même point que moi. » L’expérience intime de la lecture est alors décuplée. « Quand on parle de camps de lecture, les gens imaginent qu’on est chacun dans notre coin, mais pas du tout, c’est énormément de moments de partage », précise Anaïs.

Lire sans modération

Pouvoir se retrouver autour d’une même passion qu’on pratique habituellement seul, voilà le tour de force des camps de lecture. « Quand on arrive, on laisse sur le pas de la porte toutes les règles sociales et, pendant une semaine, on est libre de s’abandonner pleinement au plaisir de lire, revendique Mathilde, la fondatrice de The Bookmates. Parfois, on vit des moments lunaires : on fait une soirée, certains dansent pendant que l’autre moitié est en train de lire à 23 h. »

Mais le plaisir de lire et de partager ne s’arrête pas à la fin du séjour. « La première fois, c’était un saut dans le vide, c’était quelque chose que je n’avais jamais fait avant. Ça m’a fait du bien d’oser y aller seule, de franchir ce cap, de me faire de nouvelles amies. Maintenant, on se retrouve et on essaie d’y aller ensemble le plus souvent possible », s’enthousiasme Charlotte, qui s’apprête à y retourner pour la cinquième fois.

Parmi les adeptes des camps de lecture, beaucoup de jeunes femmes dans leur vingtaine et trentaine. Si la lecture semblait peu à peu délaissée par la jeunesse, les séjours littéraires, qui mettent le partage au cœur de l’expérience, réinventent le rapport à cette activité, pour le plus grand plaisir de cette nouvelle génération de lecteurs et lectrices.