Par
Bastien Grossin
Publié le
8 juil. 2025 à 7h26
Dans le même temps que les rues du Molinel et Pierre-Mauroy, dont le maire de Lille lui-même a dit qu’elles étaient passées « des années 70 au XXIe siècle », la rue Solférino a connu une métamorphose. Avec, pour tous ces axes, des réalisations communes : une chaussée réduite et une piste cyclable aménagée sur le trottoir… qui laissent des piétons perplexes. Récemment, c’est le collectif SOS Piétons qui tirait la sonnette d’alarme à propos de cette configuration jugée dangereuse. Sans surprise, le constat est le même, donc, rue Solférino : il est considéré que le danger est omniprésent, et davantage encore pour les personnes en situation de handicap. Soufiane El Djamil, président de l’association Handifac, et Nicolas Karasiewicz, correspondant régional de l’APHPP, sont tous deux malvoyants. Ils racontent comment ces installations, présentées comme modernes, relèvent pour eux du parcours du combattant.
« Moi, si je sens une bande de guidage en marchant, je me dis qu’il y a peut-être une entrée »
Les usagers de la rue Solférino l’ont forcément remarqué ; le trottoir y est désormais scindé en deux, avec une zone réservée aux piétons qui sépare par ailleurs la nouvelle piste cyclable des terrasses des bars. Au milieu, une bande blanche en relief, appelée bande de guidage et qui, selon Elysabeth Hoizey, présidente de l’association SOS Piétons, « délimite » tout au plus. Mais « délimiter n’est pas protéger », nous redit-elle. Un raisonnement que partagent les deux responsables d’association, porteurs de handicap.
Pour le groupe, rencontré sur place, rue Solférino, il y a un mésusage de ces bandes de guidage, qui ne sont pas censées servir de séparation. La présidente de SOS Piétons dénonce : « La norme Afnor 98-352 [administration qui standardise les pratiques pour garantir sécurité, qualité et fiabilité, ndlr] interdit l’utilisation de ces bandes de guidage pour faire des séparations. Or, c’est qui est fait, et jusqu’à présent personne ne l’a fait remarquer. »
Selon la norme citée, consultable en ligne, ces bandes ont pour fonction principale de guider les personnes malvoyantes ; par conséquent, détourner cet usage peut être source de confusion. Soufiane El Djamil témoigne :
« Quand on est malvoyant, on ne connaît pas la structure de la ville complète, centimètre par centimètre carré. Ce qu’on maîtrise, ce sont les codes. Moi, si je sens une bande de guidage en marchant, je me dis qu’il y a peut-être une entrée d’une administration pas loin. »
Soufiane El Djamil, président de l’association Handifac et malvoyant.
Plus que de générer de la confusion, elles peuvent mettre directement en danger les gens malvoyants qui en ont une autre interprétation. Pour évoluer dans l’espace public, certains vont donc suivre ces bandes, et empiéter sur la piste cyclable… parfois empruntée par des deux-roues lancés à toute vitesse.
« Il faut des propositions concrètes, qui viennent du terrain »
La problématique ne complique pas seulement le quotidien des personnes malvoyantes, celles en fauteuil roulant sont aussi impactées. Elyzabeth Hoizey rappelle qu’elles peuvent être amenées à circuler elles-mêmes sur la piste cyclable, en raison des terrasses de bars sur le trottoir.
La rue Solférino s’est elle aussi transformée à Lille (Nord). Les aménagements ne conviennent pas à tous les usagers, les porteurs de handicap en première ligne. ©Bastien Grossin
Les multiples alertes que les associations ont lancées aux collectivités sont restées lettre morte. Le manque d’écoute est flagrant, pour tous. Nicolas Karasiewicz déplore : « Ça fait 15 ans que je siège à la commission d’accessibilité de Lille, et il ne se passe presque rien. Le problème c’est que la plupart du temps, les décisions sont descendantes, notamment sur la question du handicap. C’est pour ça que ça ne marche pas. » Et d’ajouter, lucide : « On a trop peu d’élus en situation de handicap, ou en collaboration directe avec les associations. »
À moins d’un an des élections municipales, Nicolas, Soufiane et Elyzabeth interpellent à nouveau les pouvoirs publics. « Il faut des propositions concrètes qui viennent du terrain. Les mieux placées pour parler du besoin des personnes handicapées, ce sont les personnes handicapées », lance Nicolas Karasiewicz.
Soufiane El Djamil ajoute : « Nous, on travaille plus sur le volet de l’éducation mais pour pouvoir s’éduquer, il faut pouvoir sortir dans la rue, donc ça nous concerne aussi ». De son côté, SOS Piétons, demande un référent piéton qui serait « neutre », éduqué, sensibilisé et validé par un certain nombre d’associations.
Leurs voix portent dans une même direction : les politiques d’aménagement de l’espace public sont encore largement perfectibles. Mais elles ne doivent pas se faire en opposition aux autres usagers, qu’il s’agisse des cyclistes ou des automobilistes. Il s’agirait de s’arrêter sur un partage apaisé et équilibré, en conclusion.
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