Par

Emilie Salabelle

Publié le

8 juil. 2025 à 7h50

Avec leur palette toujours plus vaste de produits du quotidien vendus à tout petit prix, les bazars ne connaissent apparemment pas la crise. Depuis 2018, leur présence en Île-de-France a bondi de 12 %, soit 104 établissements supplémentaires, selon une étude du Crocis, l’observatoire de l’économie francilienne de la Chambre de commerce et d’industrie de Paris, avec un développement encore plus important dans certains départements, comme la Seine-Saint-Denis. Exit l’image vieillotte et bas-de-gamme des discounteurs historiques, les nouveaux acteurs du secteur ont modernisé leur image, pour attirer une clientèle toujours plus nombreuse, à la faveur de l’inflation. On fait le point sur les recettes de ce succès.

Un fourre-tout qui fait recette

Mais d’abord, petit point de définition. De quoi parle-t-on quand on évoque un bazar ? Il en existe de deux sortes, rappelle le Crocis. « Les discounters qui vendent des produits fabriqués en grande quantité à prix très réduit (Action, Gifi, Hema, …), et les déstockeurs qui commercialisent des fins de série, des invendus ou des stocks issus de liquidations judiciaires (Noz, Stokomani, Maxxilot…)».

On y trouve aussi bien des articles de cuisine que de décoration, du matériel de bricolage, des produits d’hygiène-beauté et de droguerie, des vêtements et même quelques produits alimentaires, surtout des confiseries et des biscuits apéros aux packagings régressifs. Bref, une foule de petits objets dont on ne pensait pas avoir besoin la veille avant de les accumuler sur le tapis de la caisse, et ce pour un prix final raisonnable malgré la longueur du ticket.

Du magasin de crise au concept tendance

Il faut dire que les nouvelles marques savent comment créer l’envie, et renouveler un modèle ancien, puisque les bazars existent depuis le début du XIXe siècle, rappelle l’étude. L’enseigne Tati, reine de Barbès, en fut l’un des plus retentissants succès, avant de péricliter en 2021.

Depuis, quelques bazars indépendants subsistent, mais ce sont surtout les grandes chaînes de magasin qui s’imposent. À l’exception du français Gifi, très présent dans la région, ce sont les acteurs étrangers qui tiennent la dragée haute des artères franciliennes. Action, qui détient à lui seul 41 % du marché en France dont 10 % en Île-de-France, est en première place, mais on peut également évoquer Hema, Normal, ou Flying Tiger.

« Elles ont apporté de la nouveauté. L’offre s’est élargie et adaptée aux goûts du jour : articles de décoration « tendance », accessoires de téléphonie, de bureau à domicile, gadgets technologiques, sont désormais proposés en complément des traditionnels articles du quotidien », analyse l’étude.

Loin de l’image de « magasin de crise », les bazars sont devenus populaires et tendance, grâce notamment aux réseaux sociaux. Les dernières enquêtes du magazine LSA placent même Action en tête des enseignes préférées des Français depuis trois ans. À la clientèle au pouvoir d’achat limité se mêle désormais un public plus aisé. « Les dépenses des
cadres dans ces magasins ont augmenté de 30 % en 2023, selon le baromètre des paiements de BPCE L’Observatoire », note le document.

Gros stocks et frais de fonctionnements minimalistes

Concrètement, comment ces enseignes parviennent-elles à garder une clientèle fidèle ? Elles sont évidemment une solution privilégiée en période d’inflation. Les bazars permettent d’acheter à moindre prix des articles de grandes marques, notamment dans les produits d’entretien ou de beauté, tels Ariel, Skip, l’Oréal, Garnier… Au-delà de l’assurance des prix bas, les bazars misent sur des arrivages pluri-hebdomadaires, qui favorisent des « achats d’impulsion de produits « coups de cœur », décrit l’étude.

Les prix bas, eux, sont garantis par deux mécanismes : d’abord, un approvisionnement auprès de fournisseurs à très bas prix, « notamment en Chine et en Inde auprès de grossistes, de courtiers en déstockage, ou directement auprès de grandes marques », développe l’étude. « Pour pouvoir acheter à très bas prix, le volume d’achats doit être le plus élevé possible pour donner du poids à l’enseigne lors des négociations ».

Ensuite, la traque aux coûts intermédiaire est de mise. Cette logique low-cost vise à réduire voire supprimer toutes les dépenses inutiles, liées par exemple au marketing ou à l’aménagement des magasins, dont on retrouve la même configuration d’une boutique à l’autre.

« Il faut être extrêmement efficace opérationnellement pour baisser les coûts et tenir, c’est très difficile d’être bon si on n’a pas une taille critique » indique Philippe Goetzmann, expert de la grande distribution et membre élu à la Chambre de Commerce et d’Industrie de Paris-Île-de-France. « Le discount, c’est un marché sur lequel on ne peut pas être petit ou moyen. Il faut être gros et puissant ».

Une forte croissance en Île-de-France

Pour appliquer cette règle, le terrain de jeu évolue. Les bazars privilégient les grandes surfaces aux plus petits locaux des centres-villes. S’il concentre toujours 29 % des enseignes discount, Paris est d’ailleurs le seul endroit où leur présence régresse en Île-de-France, avec un nombre en baisse de -17 % depuis 2018, soit 57 établissements fermés. Les loyers, très chers, permettent mal la location des surfaces suffisamment grandes pour maintenir une rentabilité correcte.

La petite et la grande couronne, en revanche, enregistrent une augmentation croissante ces dernières années. Près de Paris, c’est la Seine-Saint-Denis qui connaît la plus forte progression, avec + 21 % d’augmentation depuis 2018. Le Val-de-Marne arrive en seconde position en petite couronne, avec + 17 %, les Hauts-de-Seine sont plus en retrait, avec une hausse de + 4 %. En grande couronne, les bazars explosent, avec la plus forte progression enregistrée en Seine-et-Marne et dans les Yvelines.

« La plupart des enseignes se sont implantées en priorité dans les zones commerciales de périphérie parisienne, où le pouvoir d’achat de la population est plus faible, les loyers peu élevés et où de plus grandes surfaces disponibles permettent de déployer des magasins de
taille conséquente, facilement accessibles en voiture et disposant de grands parkings », indique l’étude.

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