Quand on part en vacances, il y a le choix entre le camping pas cher et – si on a les moyens – le palace. Pour les chefs d’Etat, c’est un peu pareil. Il y a les petits déplacements… et les grands. La visite d’Emmanuel Macron au Royaume-Uni, qui se tient de mardi à jeudi, remporte le prix du voyage 5 étoiles. Entre dîners privés, faste de la couronne et sommets internationaux, les Britanniques savent en effet faire très bonne impression en matière de visite diplomatique. « Sur le plan cérémoniel formel, c’est parmi le plus prestigieux qu’on puisse faire », acquiesce Philippe Chassaigne, professeur d’Histoire contemporaine à l’université Bordeaux-Montaigne, spécialiste du Royaume-Uni.

Il faut dire que les Britanniques, avec leur monarchie, savent recevoir. La visite d’un chef d’Etat étranger fait ainsi toujours l’objet d’un protocole faste : tour en carrosse, réception à Windsor, la résidence royale, inspection des troupes… Un privilège auquel avait aussi eu droit Donald Trump en 2018 (« une belle, belle visite », avait-il décrit), ou l’un de ses prédécesseurs, Ronald Reagan, qui avait même fait une séance d’équitation avec feu la reine Elizabeth II.

Match retour après la visite de Charles III en France

Pour cette visite française, la sixième depuis 1960, détaille le magazine people britannique Hello !, Emmanuel et Brigitte Macron auront le droit aux civilités habituelles. Mais ils bénéficieront aussi d’une visite privée de la chapelle Saint-Georges de Windsor pour se recueillir sur la tombe d’Elizabeth II, et un petit coucou à Fabuleu de Maucour, le cheval qu’Emmanuel Macron avait offert à la reine. Il ne manquera qu’une visite de Big Ben et l’achat d’une boule à neige.

Pour Sébastien Maillard, conseiller spécial de l’institut Jacques Delors basé à Londres, il s’agit « du match retour après la réception de Charles III en France il y a deux ans », une politesse dans « cette chorégraphie étudiée » des relations diplomatiques. Avec, encore une fois, l’aura dégagée par la couronne : la monarchie continue d’intriguer, année après année, partout dans le monde. « C’est tellement hors du temps que ça devient fascinant », rappelle Laëtitia Langlois, maître de conférences en civilisation britannique à l’université d’Angers. Elle cite des séries de culture populaire comme The Crown ou l’aspect people de la famille royale. « Les visites d’Etat, les plus fastueuses en termes de protocole, peuvent aujourd’hui paraître surannées, voire trop couteuses pour des pays dont la population, comme le Royaume-Uni, continuent de subir une crise économique d’ampleur, reconnaît Clémence Levêque, docteure en cvilisation britannique. Pourtant ces visites et leur faste jouent un rôle hautement symbolique et démonstratif. »

Mais Emmanuel Macron ne traverse pas seulement la Manche pour un séjour royal. Le président aura le rare privilège de s’adresser aux « lords » dans la Royal Gallery du Parlement et rencontrera les dirigeants de l’opposition à Lancaster House. Il organisera aussi, jeudi, un sommet franco-britannique à Downing Street, au bureau de Keir Starmer, le Premier ministre nommé il y a tout juste un an. « Le cérémonial, implicitement, flatte l’invité et rappelle que c’est une personne importante, analyse Philippe Chassaigne. Et pour les Britanniques, c’est un souvenir de la période où ils ont été, pendant un siècle, la première puissance mondiale. » Le Royaume-Uni cherche aussi, selon Clémence Levêque, a retrouver une place sur la scène internationale alors que celle-ci s’est « considérablement réduite depuis le Brexit, malgré leur tentative de se présenter en tant que « Global Britain », d’étendre leur sphère d’influence à l’Indo-Pacifique, et plus récemment de retrouver leur rôle de « pont » entre les Etats-Unis et l’Europe ».

« Le Royaume-Uni sait mettre en scène la monarchie »

Cette visite marque aussi un rapprochement entre la France et le Royaume-Uni. La dernière visite de cette envergure pour un président français remonte à Nicolas Sarkozy, en 2008. Depuis, le Brexit avait sérieusement dégradé les relations entre les deux pays. « Avec Keir Starmer, il y a un vrai réchauffement, il fallait donc mettre en scène cette entente, estime Laëtitia Langlois. […] Les négociations se passent toujours mieux quand les relations humaines vont bien. » Et si Charles III a déjà accueilli depuis son accession au trône – dans l’ordre – les chefs d’Etat d’Afrique du Sud, de la Corée du Sud, du Qatar et du Japon, il aura invité Emmanuel Macron avant Donald Trump.

Dans un contexte international troublé, « la France montre qu’elle peut dialoguer d’égale à égale avec le Royaume-Uni, explique Philippe Chassaigne. Notamment sur les questions de défense : ce sont les deux puissances nucléaires du continent. » Emmanuel Macron évoquera probablement aussi l’attractivité française et la crise migratoire avec le chef du gouvernement britannique.

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Et c’est là où les dorures et les photos en carrosse prennent tout leur sens. « Le Royaume-Uni s’appuie sur du hard power et du soft power, et pour ça, l’attractivité de la monarchie britannique est très efficace, redit Sébastien Maillard. Il sait en jouer. Ça fera sûrement de belles images. » De belles images qui seront sûrement scrutées par les autres puissances mondiales : « Cette visite sera regardée depuis Moscou et Washington. »