On appelle ça la collectionite aïgue, et pour peu que vous ayez un compte Steam, il y a des chances pour que vous aussi soyez touchés par ce mal qui ronge moult joueurs. C’est cette capacité à acheter de nouveaux jeux, pas nécessairement pour y jouer, mais pour avoir la tranquilité d’esprit qu’on le possède et qu’on peut le lancer à n’importe quel moment. Le backlog, en réalité. Selon Chris Zukowski, expert en marketing de jeu vidéo spécialisé dans la recherche sur la plateforme de Valve, « la force de Steam en tant que plateforme, c’est qu’elle permet l’accumulation compulsive », indique-t-il dans un billet de son blog. Il poursuit : « la plupart des gens qui achètent votre jeu n’y joueront jamais ». Puis il évoque notamment l’économie de l’attention à laquelle sont confrontés tous les loisirs aujourd’hui en citant le cofondateur de Netflix, Reed Hastings, qui reconnaissait il y a peu que la plateforme de streaming était en concurrence avec d’autres services de divertissement, les jeux vidéo… et même le sommeil.

Zukowski pense que ce phénomène est la principale raison de la réussite des jeux indépendants sur Steam : en réalité, si « Steam rapporte autant d’argent aux studios indépendants comparé à toutes les autres plateformes », c’est parce que Valve « a su bâtir une audience composée de passionnés hardcore ». Et les fameux « passionnés hardcore », même si c’est un peu contradictoire, ils n’achètent pas nécessairement pour consommer, mais plutôt pour collectionner. Il évoque d’ailleurs directement le fameux « backlog », qui s’aggrandit à chaque nouvelle itération des soldes Steam, l’occasion pour les joueurs d’avoir la sensation de faire une affaire lors d’un achat, achat qu’ils n’auraient probablement jamais fait sans cette baisse de prix. Et d’ailleurs, leur consommation s’en ressent : même s’ils ont acheté ce jeu 80% moins cher que prévu, est-ce vraiment une bonne affaire s’ils finissent par ne jamais y jouer ? N’aurait-il pas été mieux de conserver son argent pour un jeu qu’ils comptent réellement consommer ?

Pour rappel, dans une newsletter publiée en 2024, Simon Carless avait abordé le fait que plus de la moitié de la bibliothèque du joueur moyen sur Steam reste non jouée. C’est précisément ce phénomène qu’aborde Zukowski : « Valve a trouvé la solution au problème auquel Netflix se heurte depuis des années : comment vendre à des gens qui ont déjà trop de divertissement à portée de main, et pas assez d’heures dans la journée pour tout consommer ? ». C’est simple : ils finissent par acheter, ce même s’ils savent pertinemment qu’ils n’auront jamais le temps d’y jouer. « Valve, en quelque sorte, a ajouté des heures infinies à la journée d’un joueur — une journée théorique, future, où peut-être ils joueront à votre jeu (mais soyons honnêtes : non) » indique ainsi l’analyste.

L'auteur de ces lignes se confesseL’auteur de ces lignes se confesse

Le concept même du joueur Steam lambda pourrait être résumée en deux phrases, si bien développées par Zukowski : « Si les acheteurs sur Steam étaient rationnels et n’achetaient que les jeux auxquels ils comptent vraiment jouer, on vendrait bien moins de jeux. Savoir que les joueurs Steam sont des collectionneurs compulsifs, c’est aussi comprendre pourquoi on leur laisse ces 30 % (de réduction sur Steam, par exemple, NDLR) : en échange, on accède à une horde de marins ivres qui dépensent sans compter. Alors, vous aussi, vous faites partie de l’équipage ?