Moins de 24 heures après, l’émotion l’étreint toujours. Gérald Vivier, 71 ans, est pourtant un sacré gaillard. D’allure sportive, le regard clair et franc, il est arrivé à vélo à l’interview, à la plage de la Réserve, à Nice.
Cet ancien triathlète de haut niveau, qui a depuis connu un grave problème cardiaque, continue le sport, mais avec prudence. Toujours à l’écoute de son corps.
Ce policier à la retraite a enquillé dix ans à la BRB, au mythique 36 Quai des Orfèvres de Paris. Puis il a été chef de la brigade des stups de la PJ de Nice.
Ce lundi 7 juillet 2025, il venait de faire du vélo avant d’aller nager à plage des Bains militaires. Son fief. Une crique superbe, composée de galets et d’une eau turquoise, coincée entre le plongeoir et le club nautique.
Gérald a aligné sans difficulté les quatre bouées vertes que les nageurs du coin connaissent par cœur. Été comme hiver, c’est ici qu’il nage avec un groupe d’amis.
Il témoigne avec pudeur, gêné d’être dans la lumière. Mais s’il témoigne, dit-il, c’est pour alerter sur les dangers de la mer.
« Quand j’ai nagé, vers 14 heures, il y avait de la houle. Mais les vagues n’étaient pas agressives. Dès que j’ai eu fini les quatre bouées, je suis revenu sur la plage, et je ne suis pas retourné dans l’eau, c’était devenu dangereux. J’ai même dit à une dame à côté de moi qu’elle ne devrait pas laisser sa petite jouer dans les vagues car il y a des rochers qu’on ne voit pas et ça peut être dangereux. »
« Il était sur le ventre, bras écartés »
Gérald est en train de disserter sur sa serviette avec deux-trois amis quand, soudain, ils remarquent un homme. Le seul encore dans l’eau.
« On regarde, et on se dit que le gars là-bas a l’air en difficulté. Il avait palmes, masque, tuba, combinaison et une bouée orange. Il montait descendait dans la houle, il était sur le ventre. C’est la position de ses bras qui m’a convaincu qu’il était en difficulté. Ils étaient écartés de chaque côté de lui. »
L’ancien policier réagit instinctivement. Il se rue dans l’eau, sans ses lunettes de natation. « La mer c’est mon élément, mais je la respecte énormément. Là, les conditions étaient grosses, mais j’avais peur qu’il aille dans les rochers et se fasse fracasser. Je voulais le sauver. J’osais espérer qu’il était encore vivant. »
En deux minutes, il est auprès de lui. « À un mètre, je criais « Monsieur, Monsieur ». Il ne répondait pas. Je ne me suis pas présenté face à lui car j’ai fait des stages et je redoutais qu’il m’agrippe dans un geste désespéré et m’entraîne au fond. Je l’ai pincé mais il ne réagissait pas. Et j’ai vu sa tête penchée vers le fond de l’eau. » Gérald comprend que la situation est critique.
« Je l’ai retourné, j’ai passé le bras sous lui pour lui maintenir la tête hors de l’eau. À un moment, sur le retour, j’ai vu que les vagues nous amenaient sur les rochers. Je me suis dit qu’on allait se faire fracasser. J’ai donné les coups de reins qu’il fallait pour aller vers la plage. Je criais d’appeler les pompiers. »
À une dizaine de mètres, du rivage, un jeune homme est rentré dans l’eau et l’a aidé à sortir le nageur en détresse. « Les pompiers avaient sûrement été appelés, ils sont arrivés deux minutes après. Tous les badauds s’amassaient, j’ai eu un coup de sang, j’ai hurlé « Poussez-vous ». Une dame m’a dit qu’elle était infirmière. Je lui ai dit de commencer le massage cardiaque et je suis parti vite car j’étais épuisé. »
Gérald coupe son récit. Son regard clair s’embue. « Quand j’ai vu qu’ils le massaient sur la plage, ça m’a rappelé mon histoire, mon problème cardiaque. Je me disais, « le pauvre ». Je voyais que c’était un mec de mon âge, j’aurais tellement voulu le sauver, ça me travaille. » Le Samu, les sapeurs-pompiers ont tenté de le réanimer, en vain. L’homme n’a pas survécu.
L’ancien flic, qui a connu des fusillades, des interpellations musclées, espère avoir fait le maximum. Au moment où il est intervenu, la mer balayait la plateforme en béton du fond de la plage, au pied du Plongeoir. La houle brassait la plage des Bains militaires. « Les gens avaient dû reculer sur les galets tellement ça montait loin. »
Des moniteurs du club nautique sont intervenus pour aider à évacuer les baigneurs. Gérald, lui, yeux humides, pense à la famille du nageur. Selon Gérald, un ami du défunt nageait dans la même baie et n’a découvert l’accident qu’après. « J’aurais tellement voulu leur ramener et qu’il puisse être réanimé. » Son cœur se serre.
Le nageur qu’il a ramené était parfaitement équipé et l’imprudence semble exclue. Mais Gérald alerte tout de même ceux qui ne connaissent pas le secteur sur le danger des plages de la Réserve, de Coco Beach, par forte houle. « Il faut toujours être très prudent. Ici, ça peut vite devenir extrêmement dangereux. Et surtout être attentif, si personne n’est dans l’eau c’est qu’il y a une raison, et écouter les gens du coin. »
En juillet 2024, dix personnes sont décédées de noyade dans les Alpes-Maritimes.