Chaque été, au cœur des bois de la Coudoulière, un petit miracle se reproduit. Les enfants et petits-enfants des anciens ouvriers de l’usine des tuileries s’y retrouvent pour une journée de souvenirs partagés, comme une passerelle tendue entre les générations.

À l’origine de cette rencontre annuelle, des figures locales comme Josyane Giaco, qui résume l’esprit de ce moment avec émotion: « Nous luttons contre l’oubli. Les anciens disparaissent, mais nous transmettons leurs histoires. Certains enfants n’ont jamais connu de leur vivant un membre de leur famille ouvrier. Pourtant, ils sont là, et ils savent. »

Ces retrouvailles sont l’occasion de faire revivre un temps révolu, de redonner corps aux gestes, aux voix et aux odeurs d’une époque ouvrière aujourd’hui disparue. Avec humour, Josyane évoque son petit frère, parti « en vacances » chez son parrain… à 500 m de la maison. « Et on recevait quand même une carte postale! », s’amuse-t-elle.

Son frère, ancien gamin devenu mémoire vivante, raconte ses escapades estivales interdites, à poser des filets dans le port de la Coudoulière avec son parrain, gardien de l’usine. « Il fallait ramer en silence, de nuit. Sauf qu’il me disait de virer à gauche, et moi j’allais à droite. J’ai fini en pleurs plus d’un matin! », rigole-t-il. Plus loin, un autre homme partage une anecdote croustillante aux plus jeunes: enfant, il montait dans les petits wagons qui transportaient l’argile jusqu’à l’usine pour se laisser glisser comme dans un manège. « On savait qu’on faisait une bêtise… Nos parents étaient fous quand ils l’apprenaient. Mais on avait l’insouciance de la jeunesse! »

Une fresque sociale

Après les souvenirs racontés, place à un autre versant de la transmission: celui de la mémoire documentée, patiemment rassemblée et étudiée. Car derrière les récits familiaux se dessine un travail plus silencieux: celui de la collecte et de la recherche. Gérard Orsucci incarne cette volonté. Bien qu’installé en Corse, il a tenu à faire le déplacement pour ce rendez-vous annuel. Son grand-père et son père ont travaillé à la tuilerie et, dans ses valises, il garde des photos anciennes, des extraits de presse et des médailles du travail décernées à ses aïeux. Une véritable mine d’or qu’il a remise à Claude Majastre, chercheur bénévole et pilier de l’association Les Amis du patrimoine de Six-Fours.

Ce dernier ne cache pas son enthousiasme: « Cette collection vient compléter des années de recherche sur la vie autour de la tuilerie. Elle va m’aider à approfondir des sujets essentiels comme les distinctions ouvrières, les fêtes d’entreprise ou les conditions de travail. » À travers ses études, il tente de reconstituer une fresque sociale fidèle à cette époque, en croisant documents, récits oraux et objets d’époque. Cette démarche s’inscrit dans un engagement plus large, porté notamment par Josyane Giaco-Tornato, membre fondatrice du groupement des anciens. Connue pour sa crèche historique géante qu’elle monte chaque année chez elle, elle s’attache à faire vivre la petite histoire dans la grande, en la rendant visible, accessible et incarnée. L’’histoire de la tuilerie ne se contente donc pas de survivre : elle s’enrichit, se structure… et se raconte.