Commencé comme un « coup d’un soir amical » avec son comparse Hugo David, I love Peru se regarde comme un portrait de l’acteur façon prank, suivant son ascension laborieuse dans la jungle du cinéma français. On y voit Quenard montrer son cul, draguer dans les restaurants et refuser de payer l’addition, palabrer sur les acteurs, enchaîner des discussions lunaires (ou gênantes) avec Jean-Pascal Zadi ou François Civil sur le plateau de L’Amour ouf puis s’envoler pour le Pérou pour y soigner un chagrin d’amour, et finir par trouver un sens à sa solitude en se prenant pour un condor. On n’y aurait pas pensé.
Le film joue sur l’ambiguïté façon « I’m Still Here » avec Joaquin Phoenix reconverti en chanteur de hip-hop. A-t-il toujours été écrit comme cela ?
Dans la forme, ça a toujours été un faux documentaire où chacun joue son propre rôle. Nos références étaient effectivement I’m Still Here de Casey Affleck que j’adore ; les Strip-Tease de la télé belge ; Jim & Andy le film sur Jim Carrey qui est pour moi une légende, réalisé en parallèle de Man On The Moon. Mais aussi Forgotten Silver (docu-menteur de Peter Jackson sur un cinéaste oublié Colin McKenzie, NdlR) ou C’est arrivé près de chez vous. Les documentaires, c’est mon plaisir de spectateur, car ça évite tout questionnement quant à la véracité de ce qui s’y joue. On court-circuite les barrières de crédibilité.
Est-ce que la célébrité vous oblige aujourd’hui à faire tomber le masque ?
Je dirais plutôt que c’est l’inverse. La célébrité oblige à prendre de nouveaux masques pour se sauver soi-même. Même une simple interview dans un média, ça n’est pas un dispositif naturel. Tu te présentes toujours dans une certaine optique.
Raphaël Quenard dans « I <3 Peru ». ©case départ
Pas naturel peut-être, mais êtes-vous sincère ?
Toujours. Ma démarche est passionnée, je suis un malade de cinéma qui a des lacunes à rattraper. Il fut un temps où j’avais vu Le dîner de cons sans me rendre compte du génie du truc, Les onze commandements et Lucky Luke mais j’y étais allé avec une fille donc je n’avais pas vu le film… J’avais une cinéphilie zéro. Aujourd’hui, je vois quatre films par semaine. Mais, dans tout ce processus, j’essaye aussi de me sauver moi-même, de me préserver une part de confidentialité et de secret qui n’appartient qu’à moi.
Ce film n’est donc pas Raphaël Quenard…
Non, mais ce qui est étonnant c’est que, même dans des fictions où les barrières sont normalement bien établies, la confusion entre l’acteur et le personnage existe. Dans la rue, les gens m’appellent Yannick, comme dans le film de Quentin Dupieux qui a marché.
Sous le masque du clown ou de l’imposteur, il y a des thèmes qui se dessinent à travers vos rôles – la honte sociale, la tristesse aussi.
Ce sont des personnages inadaptés qui ont du mal à appréhender les codes. Vous êtes mieux placée que moi pour voir certaines récurrences, mais c’est vrai que les passions inadaptées m’intéressent. C’est drôle et tragique donc nourrissant, car tout un chacun aura à traverser le thème de la solitude ou du deuil amoureux au cours de son existence. Déjà à six ans, tu peux ressentir des élans sentimentaux. En cas de pépin, le film te permet, comme l’optimiste, de voir le verre à moitié plein plutôt qu’à moitié vide.
Quand vous êtes-vous rendu compte que vous aimiez les mots ?
Dès petit, dans les vestiaires de foot ou à l’école, dans les joutes verbales avec les copains. Les mots, c’est un mode de survie pour prendre ton mal en patience. Un remède qui permet aussi de lutter contre le harcèlement scolaire ou l’esseulement. Ça touche un enfant sur dix ce truc quand même. L’isolement, c’est peut-être la clé vers une solitude fondatrice d’un talent que le temps se chargera de faire surgir.
Raphaël Quenard dans « I <3 Peru ». ©case départ
Votre livre, « Clamser à Tataouine », connaît un succès inattendu, même auprès de gens qui ne lisent pas d’habitude. Ça vous évoque quoi ?
Je t’avoue que ça n’est pas une pensée cliniquement établie. Je suis choqué quand des gens me disent qu’ils me lisent et qu’ils n’avaient jamais lu un livre avant. Mais je ne me suis pas donné ce but en écrivant, je me suis juste dit que j’allais écrire une histoire.
« L’homosexualité a peut-être quelque chose à offrir à la communauté hétérosexuelle »
Deux auteurs que vous aimez ?
John Steinbeck et le plus illustre et incomparable des Français, à savoir Victor Hugo. Mais Hugo (David, son co-réalisateur, NdlR) ne lit pas ce que je lui conseille, c’est une relation d’affrontement, pas vraiment de partage. On n’est pas vraiment potes.
Vous déconnez là, comme dans le film ?
Vous aurez remarqué qu’on est dans l’autodérision, c’est parfois la manière la plus perspicace ou la plus acceptable d’émettre une critique. L’humour est une transgression et notre amitié a permis d’abattre pas mal de frontières. C’est libérateur, même pour tous les acteurs qui nous ont rejoints sur le film.
« I Love Peru, documentaire, de et avec Raphaël Quenard et Hugo David. Avec aussi Jean-Pascal Zadi, François Civil, Benoît Poelvoorde. 1h09