À l’approche du plan de redressement des finances publiques que François Bayrou doit dévoiler le 15 juillet, le secteur culturel retient son souffle : chaque coupe budgétaire menace sa place sur la scène internationale. Quelques jours avant, jeudi 10 juillet, l’Institut Montaigne saisit l’occasion pour publier une note sur la diplomatie culturelle française, « à un moment crucial de redéfinition des dynamiques commerciales ».

Les industries culturelles et créatives jouent un rôle essentiel dans l’économie française, puisqu’elles génèrent chaque année près de 92 milliards d’euros de chiffre d’affaires, un montant comparable à celui de l’agroalimentaire et deux fois supérieur à celui de l’automobile. Depuis 2022, elles sont intégrées au plan d’investissement France 2030 comme secteur prioritaire, au même titre que le nucléaire, l’hydrogène ou les véhicules électriques.

Mais les industries culturelles qui brillent à l’international sont surtout le cinéma, l’animation et les jeux vidéo. Le cinéma français se place ainsi au deuxième rang mondial des exportateurs de films, juste derrière les États-Unis. L’animation, troisième au classement mondial derrière les États-Unis et le Japon, représente même la première source d’exportation des industries culturelles françaises. Pourtant, cette réussite ne touche pas toutes les industries créatives, et certaines, comme le secteur du livre, peinent à être compétitives à l’international.

Une compétitivité à deux vitesses

Si le cinéma français et l’animation tirent leur épingle du jeu à l’international, la balance commerciale française dans ce secteur reste déficitaire. En 2018, selon les chiffres du ministère de la Culture, la balance commerciale française sur les biens culturels affichait un déficit d’environ 75 millions d’euros, tandis que le taux d’exportation des activités culturelles restait 7 points en dessous de celui de l’ensemble des secteurs marchands.

Le marché du livre illustre bien les difficultés de certaines industries culturelles face à la mondialisation. En 2022, le déficit commercial s’est creusé de 51 %, passant de 209,7 millions d’euros en 2021 à 317,3 millions en 2022. Les livres français rencontrent de grandes difficultés à s’imposer sur des marchés clés, comme les États-Unis, où moins de 5 % des titres publiés chaque année sont des traductions, contre 20 % à 50 % en moyenne en Europe.

Dans son rapport, l’Institut Montaigne précise que la concurrence est donc de plus en plus rude, face à la persistance d’un « entertainment mainstream global » dominé par les États-Unis et face à l’émergence récente de blocs régionaux structurés autour de productions culturelles locales, comme Nollywood en Afrique, les K-dramas en Corée du Sud, Bollywood en Inde ou encore les telenovelas en Amérique latine.

Blanche Leridon, directrice éditoriale de l’Institut Montaigne et experte des questions démocratiques et institutionnelles, explique que « les obstacles à l’exportation viennent principalement du poids important des microentreprises dans le secteur culturel, ainsi que des difficultés de croissance rencontrées par les TPE et PME françaises qui peinent à accéder aux financements publics, souvent dispersés entre plusieurs guichets ». Les filières créatives et culturelles dépendent aussi largement du cadre européen pour être protégées face aux géants mondiaux.

Protéger l’industrie culturelle par la réglementation européenne

L’Institut Montaigne est formel : la réglementation européenne est une arme décisive pour protéger et renforcer la compétitivité des industries créatives et culturelles. La directive « Services de médias audiovisuels » (SMA) de 2018, portée notamment par la France, en est une illustration concrète. Elle oblige les plateformes de streaming à diffuser au moins 30 % d’œuvres européennes et à financer activement la création. Concrètement, les géants du streaming, tels que Netflix, doivent consacrer entre 20 % et 25 % de leur chiffre d’affaires réalisé en France dans le cinéma et l’audiovisuel européens.

Sur l’opportunité de la réglementation européenne, Blanche Leridon de l’Institut Montaigne affirme sans détour : « Réglementer ne nous rend pas plus faibles. Au contraire, cela nous permet de préserver la diversité culturelle en France et en Europe pour être plus compétitifs à l’international. » « Les Européens ont du mal à se percevoir comme une puissance compétitive, alors que nos concurrents étrangers nous voient comme étant unis et porteurs de valeurs fortes », ajoute-t-elle.

L’Europe morcelée, frein à son rayonnement face aux États-Unis

Même si la réglementation européenne protège les industries culturelles et créatives, l’Europe porte en elle certaines limites structurelles qui freinent sa compétitivité.

Joëlle Farchy, professeure à l’université Paris 1 et spécialiste des industries culturelles et du numérique, le souligne : « La réglementation européenne est indispensable, mais il manque en Europe, un véritable marché commun de la culture. » « Si l’on regarde les chiffres du CNC [Centre national du cinéma et de l’image animée], la circulation des films et séries au sein de l’Union européenne reste faible : les Espagnols regardent peu de films finlandais et, globalement, les Européens consomment plus de films américains que de films européens », précise-t-elle.

En effet, dans la course mondiale à l’influence culturelle, l’Europe se heurte à un modèle américain rodé depuis des décennies, fondé sur une logique de marché de consommateurs unique, avec une langue commune, et des produits culturels calibrés pour séduire la planète entière. L’Europe, elle, reste morcelée, avec 21 langues officielles et autant de barrières à la diffusion.

Mais tout n’est pas figé. Joëlle Farchy se veut optimiste : « Les plateformes de streaming changent la donne. Aujourd’hui, on peut, si on le désire, accéder à des contenus qu’on n’aurait jamais vus auparavant – il est désormais possible, par exemple, de regarder un film finlandais en quelques clics. »