Par

Emilie Salabelle

Publié le

10 juil. 2025 à 6h04

« Quand on a vu le permis de construire affiché, on a eu un choc ». Dans le 20e arrondissement de Paris, un projet de surélévation d’immeuble pour créer une résidence étudiante a soulevé la stupeur et la colère des riverains. Réunies en collectif, les diverses copropriétés mitoyennes dénoncent depuis mai 2025 un projet « catastrophique » exagérément dense, sur lequel elles n’ont pas été concertées. Au cœur de ces préoccupations, un petit immeuble faubourien, situé au 51/53 rue du Télégraphe, dont les trois étages de façade blanche et rouge égayent une petite cour arborée, va être considérablement transformé par une surélévation de cinq étages et une extension.

« Un mastodonte »

Du haut de leur appartement du 5e étage au 49 rue du Télégraphe, orienté côté cour sur l’îlot de verdure, Alice Lenormand et son père François se préparent au pire. « Demain, si la résidence est construite, l’extension va nous barrer la vue. Notre balcon sera perpendiculaire à un mur. Pour nous, il n’y aura plus d’arbres visibles ». Comme la plupart des copropriétaires concernés, elle a découvert le projet en mai 2025, lorsque le permis de construire a été affiché dans la rue.

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À l’opposé de son appartement, côté rue de Belleville, Céline Coudriou dresse elle aussi un constat amer. « Si on a accepté d’acheter quelque chose sur la rue de Belleville, qui est ultra-bruyante, c’est parce que la consolation se trouvait de l’autre côté, avec ce havre de fraîcheur et de calme, et vue sur cet immeuble charmant. Sans ce cadre, on n’aurait pas acheté. On ne pouvait pas se douter il y a 20 ans qu’on allait construire un mastodonte pareil », retrace cette professeure à la fac.

De trois à huit étages

L’immeuble concerné, qui appartient à un propriétaire privé souhaitant vendre au promoteur Crédit Agricole Immobilier Promotion, doit être surélevé et assorti d’une extension en forme de L qui refermera l’îlot. Il va passer d’une surface de 720 m² à 2 652 m², et s’élever jusqu’à 8 étages, pour une hauteur totale de 32 m de haut. 129 logements, essentiellement des studios étudiants, doivent y voir le jour en lieu et place des 15 appartements actuels.

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Vis-à-vis rapproché, caisse de résonance sonore, perte de luminosité, îlot de chaleur… Les propriétaires voient avec l’immeuble à venir la promesse « d’un cauchemar quotidien » et s’inquiètent de voir leur bien perdre de la valeur. Relayant les propos du collectif des habitants et habitantes de la Butte Belleville/Télégraphe Céline Coudriou ajoute : « Sur le plan social, ce projet est une aberration. Le quartier est déjà très peuplé et très construit. On est pour plus de mixité, mais là, ils vont entasser 129 étudiants dans un bâtiment énorme. On va doubler la surface de béton, avec une caution écolo en le recouvrant d’un bardage en bois. L’esthétique faubourienne va complètement disparaître. »

Une façade faubourienne effacée

Consultée dans le cadre du précédent permis de construire déposé par Crédit Agricole Immobilier Promotion, alors refusé par la Ville de Paris (le projet comportait alors neuf étages), la Commission du Vieux Paris avait d’ailleurs rendu en octobre 2023 un avis consultatif « très défavorable ». Elle jugeait alors le projet « surdimensionné, peu respectueux de l’existant dans un quartier où le bâti des faubourgs devient rare et qui, de surcroît, aurait pour effet de couper un cœur d’îlot de son environnement. »

Le projet architectural actuel met pourtant en avant une augmentation de la surface de pleine terre qui passera de 95 m² à 200 m². Les boxes de garages situés en fond de cour et les allées de béton doivent en effet être démolies pour laisser place à de la végétation. Mais le jardin actuel et ses quelques arbres, jugés sans intérêt particulier, seront sacrifiés. La canopée actuelle, « haute et foisonnante », vaut pourtant bien mieux que des plantations neuves, se désole François Lenormand.

Des risques d’effondrement ?

Comme les autres pétitionnaires, l’ancien ingénieur à la retraite s’inquiète des conséquences structurelles du chantier sur les immeubles voisins. « Un immeuble plus haut et plus lourd va être adossé au nôtre, il va y avoir des dégâts », craint-il.

La parcelle n’est pas cartographiée dans le plan des préventions des risques, ce qui la dispense d’un passage de l’Inspection générale des carrières, estime la Ville de Paris. Pour Jacques Baudrier, adjoint de la Mairie au logement et à la transition écologique du bâti contacté par actu Paris, aucun risque ne pèse sur ce projet, comme le prouvent les chantiers d’envergure qui ont déjà eu lieu à proximité.

Pas de quoi rassurer les riverains, qui soulèvent la proximité d’anciennes carrières dans le quartier. « Quand ils ont construit l’Ehpad rue de Belleville, les immeubles mitoyens ont trinqué. Et quand ils ont construit l’ascenseur du métro Télégraphe, les locataires d’un logement social ont retrouvé des fissures », retrace François Lenormand.

Des locataires congédiés

Les actuels occupants du 51/53, locataires, ont été informés dans un courrier datant du 13 mai qu’ils allaient devoir quitter les lieux. Mais ils entendent parler de la vente de l’immeuble depuis 2020.

Muriel Waldman, qui y habite depuis près de 30 ans, fait partie de la poignée d’habitants historiques. À ce titre, elle doit bénéficier d’une aide au relogement. Mais, pour le moment sans garantie écrite, elle s’inquiète. « Je paye 960 euros pour un T3 de 55 m2 à Paris. Pour le même prix, je ne pourrai pas avoir plus de 15 ou 20 m². Je ne vais pas avoir les moyens de rester à Paris », se prépare-t-elle. D’abord sommée de quitter les lieux à la fin de l’année, elle a négocié une sortie décalée à juillet 2026.

Si les locataires, dont beaucoup n’ont signé qu’un bail non renouvelable d’un an, sont résignés face à la situation, du côté des propriétaires voisins – Sept co-propriétés des rues du Télégraphe, de Belleville, et de Pelleport –, c’est la levée de boucliers. Le collectif a lancé des recours en justice pour faire annuler le permis de construire et a publié en ligne une pétition. Mais les tentatives de dialogue avec la Mairie de Paris n’ont pas donné satisfaction aux propriétaires mobilisés.

« Un étage et demi de moins » que prévu

Jacques Baudrier estime pour sa part que le projet retenu est une nette amélioration par rapport aux précédentes moutures. « Il est moins dense que ce qu’il pourrait être dans le cadre du PLU actuel », expose-t-il. Le permis de construire accordé est le fruit de près de cinq ans de négociations entre la Ville et les services d’urbanisme de la mairie du 20e d’un côté et le vendeur puis l’acheteur de l’autre. « On a réussi à convaincre le propriétaire de vendre moins cher en retirant un étage et demi du futur immeuble. À 10 000 euros le m² neuf, ça vaut très cher. »

La densité du projet est proportionnée à l’environnement dans lequel il s’inscrit, estime l’adjoint. « L’immeuble est très bas, il se trouve dans une rue très large, et n’a aucun vis-à-vis puisqu’il se trouve face au cimetière de Belleville. Cela en fait une parcelle avec une marge de constructibilité très importante », justifie-t-il. Les logements étudiants, eux, seront construits selon les standards, soit des studios de 19 m². La nouvelle résidence participera à répondre à la pression qui pèse sur les demandes de logements sociaux et en particulier les logements étudiants, ; vante l’adjoint.

Pour l’élu, les nuisances sont très limitées, et la plupart des immeubles voisins garderont une vue « très dégagée, exceptionnellement privilégiée ». Seule une copropriété, celle d’Alice et François Lenormand, sera réellement impactée par la construction, concède-t-il. « Ils vont perdre en visibilité et en ensoleillement, c’est une réalité. J’entends les critiques. Si j’avais pu, j’aurais retiré l’extension en L. »

Mais le projet étant privé, la Ville est arrivée au bout de ce qu’elle pouvait faire en termes de négociations, assure l’adjoint. « On n’a pas de moyen légal d’empêcher le propriétaire de vendre. Si le projet est annulé, le prochain promoteur pourra faire pire », prévient-il. Les propriétaires ne l’entendent pas de cette oreille et comptent bien tout mettre en œuvre pour le faire annuler, confirme Cécile Coudriou. « On n’a aucun intérêt à ce qu’il aboutisse. Je ne vois pas comment ça pourrait être pire ».

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