LUDOVIC MARIN / AFP
Emmanuel Macron, invité d’une soirée spéciale sur TF1, le 13 mai 2025
ÉCONOMIE – « Le bilan de 8 ans de Macronie », « le résultat concret des politiques Macron », « bilan catastrophique d’Emmanuel Macron »… Le taux de pauvreté a atteint en France un record depuis 30 ans selon l’Insee, et pour la gauche, le responsable est tout trouvé et se trouve à l’Élysée. Selon l’étude publiée en début de semaine par l’Institut national de la statistique et des études économiques, la France compte désormais 15,4 % de pauvres en 2023.
Au total, 9,8 millions de personnes se trouvaient cette année-là en situation de pauvreté monétaire, avec un revenu mensuel inférieur à 1 288 euros pour une personne seule. De quoi ressusciter sur les bancs de l’opposition les procès en « président des riches », alors que l’Insee montre aussi que les inégalités se creusent. Autrement dit, les pauvres s’appauvrissent et les riches s’enrichissent.
Pour expliquer cette poussée de la pauvreté, l’Insee évoque notamment la fin de l’indemnité inflation et de la prime exceptionnelle de rentrée, instaurées sous Emmanuel Macron en 2022. « Le niveau de vie des plus modestes a augmenté moins rapidement que l’inflation tandis que le niveau de vie des plus aisés a été dynamique, notamment grâce à la bonne situation sur le marché du travail et au rendement des produits financiers », détaille Michel Duée, chef du département ressources et conditions de vie des ménages à l’Insee, cité par l’AFP.
Emmanuel Macron a beau avoir pris ses distances avec le « ruissellement », le logiciel macroniste des « premiers de cordée » qui lui est souvent comparé, touche-t-il ses limites ? Le HuffPost a posé la question à Pierre Madec, économistes à l’OFCE. Et selon lui, il y a bien quelque chose qui dysfonctionne dans le système actuel. « La redistribution fonctionne puisqu’elle sort de la pauvreté des millions de ménages. Mais elle fonctionne moins bien, le système social a du mal à faire face aux aléas de l’inflation, du marché du travail. À côté, le poids de la fiscalité baisse chez les plus riches, et les prestations sociales ont de plus en plus de mal à soutenir les ménages en difficulté », analyse-t-il.
Le travail c’est aussi… la pauvreté ?
Plutôt que de cibler la seule année 2023, le spécialiste s’inquiète surtout de la « dynamique » croissante de la pauvreté sur la décennie passée, laquelle marque selon lui, « un échec des politiques publiques ». Pris à partie à l’Assemblée nationale sur ce constat, le gouvernement a défendu sa vision : la politique de l’emploi comme remède à tous les problèmes. Pas question, en la matière, de remettre en question ce dogme macroniste. « Nous croyons à deux choses (…) au travail » mais « aussi à l’entreprise » , a martelé la ministre des Comptes publics, Amélie de Montchalin, à l’Assemblée nationale.
Sa collègue Catherine Vautrin a, elle, vanté les mesures du gouvernement vers les associations et en faveur des familles monoparentales – notamment en matière d’emploi et de garde – particulièrement exposées à la pauvreté, comme les personnes au chômage.
À cet égard, l’Insee explique certes que les chômeurs subissent de plein fouet la paupérisation, mais que le chiffre des travailleurs pauvres est lui aussi en augmentation (10,4 % des actifs sont pauvres en augmentation de 0,7 par rapport à 2022). Un phénomène que Michel Duée explique notamment par « la hausse, parmi les non-salariés, de la part des microentrepreneurs dont les revenus sont faibles ».
De quoi illustrer la précarisation et l’ubérisation du travail, estime Pierre Madec. « Le travail ne protège pas de la pauvreté. Depuis 2017, il y a quasiment un million de pauvres en plus et 500 000 chômeurs de moins. Il faut se poser des questions », décrypte l’économiste avant de tempérer : « ça ne veut pas dire que l’emploi ne fait pas partie de la solution, mais pas comme ça ».
Comme l’Insee, l’expert pointe la réforme du chômage qui, en restreignant les accès aux droits, a pu « créer un cercle vicieux avec des gens forcés de prendre des emplois précaires, à temps partiel, mal rémunérés ». Pour les salariés, l’Insee est par ailleurs limpide : le niveau de vie a augmenté, mais l’inflation – d’autant plus dans un contexte de crises sanitaire, énergétique, diplomatique – marche toujours plus vite que les salaires. Chez les salariés, la pauvreté a augmenté d’un demi-point, à 6,6 % en 2023.
Taxer plus mais pour quoi faire ?
Dénonçant les « cadeaux de la macronie aux plus riches », la gauche a profité de la sortie de cette étude pour remettre sur le tapis la taxe Zucman. Alors que la présentation du budget 2026 approche, socialistes, insoumis et écolos mettent la pression pour réclamer l’instauration d’une taxe de 2 % sur les très hauts patrimoines.
Inimaginable dans le logiciel macroniste, allergique à toute hausse d’impôt alors que le RN menace de censure sur cette question, que la France fait déjà partie des pays avec le plus haut niveau de prélèvement et figure en tête des États les plus redistributifs. Le gouvernement, qui promet de ne pas trembler pour lutter contre la suroptimisation fiscale, ne veut pas prendre le risque de « faire partir les entrepreneurs qui ont réussi et créent des emplois dans ce pays », a notamment expliqué Amélie de Montchalin. Et tant pis si en la matière, les études n’étayent pas vraiment cette crainte de l’exil fiscal.
Suffisant pour donner le point aux rangs de la gauche ? Pas vraiment, pour Pierre Madec. « Taxer plus mais pour quoi faire ? Ça ne résoudra rien en matière d’inégalité. À la rigueur, ça peut donner des marges de manœuvre et alléger, pour les plus fragiles, les efforts liés à la réduction du déficit », détaille le spécialiste. Une solution imparfaite donc, comme d’autres avant vraisemblablement.