Face à une retraite devenue synonyme de précarité en Allemagne, de plus en plus de seniors font un choix radical : l’expatriation. En Bulgarie, pays le plus pauvre de l’Union européenne, une poignée de retraités allemands a trouvé refuge dans le village de Lozen, à trois quarts d’heure de la ville la plus proche. Le magazine Stern a consacré un reportage à cet “eldorado” inattendu, où l’on tente de vieillir dignement.
À Lozen, bourgade bucolique aux routes défoncées et maisons à moitié en ruine, les petits-déjeuners sous le ciel sans nuage rassemblent des hommes et femmes de plus de 60 ans autour de charcuteries, fromages, tomates et café fumant. Mais ce cadre paisible cache une réalité brutale. “Le coût de la vie en Allemagne, avec notre petite retraite, c’était tout simplement devenu insupportable”, témoigne Christa, 71 ans, venue de la région de Wuppertal avec son mari Heinz, 68 ans. À eux deux, 2 000 euros par mois. Trop peu, disent-ils, pour vivre décemment dans leur pays natal. Christa résume :
“C’est notre seule alternative. Nous n’avions pas d’autre choix, je dois malheureusement le dire.”
En 2024, plus de 3,5 millions d’Allemands de plus de 65 ans étaient menacés de pauvreté. Et ce chiffre augmente chaque année. “Avec 2 000 euros de retraite, tu ne peux pas faire grand-chose en Allemagne”, résume Heinz, ancien artisan. Électricité, chauffage, assurance, essence, alimentation : tout grignote un revenu déjà maigre. “Des concerts ? Même pas en rêve.”
À Lozen, en revanche, ils peuvent se permettre un logement, un jardin, un restaurant de temps en temps. Le couple vit désormais dans l’un des dix pavillons rénovés par Yordan Milanov, un quadragénaire bulgare ayant vécu vingt ans à Munich. Revenu dans son village natal en 2022, il a lancé le projet Rentnerglück (“Bonheur des retraités”) : maisons en location à bas prix, entraide administrative, communauté germanophone et bientôt un centre communautaire avec piscine. “J’ai tout fait avec mes économies. J’ai acheté les maisons, je les ai rénovées. Aujourd’hui, dix-neuf personnes vivent ici”, dit-il fièrement.
“En restant en Allemagne, j’aurais fini sous un pont avec mes chiens.”
Pour Nelly, 64 ans, Lozen est plus qu’un refuge économique. Après un burn-out et une pension d’invalidité de 1 000 euros, il ne lui restait que 170 euros pour vivre. “En restant en Allemagne, j’aurais fini sous un pont avec mes chiens.” Mais c’est aussi la solitude qu’elle fuit : “Ce qui m’a chassée d’Allemagne, c’est la froideur sociale. Ce chacun-pour-soi. Surtout dans le secteur de la santé, où les gens ne sont plus que des numéros.”
Elle ne souhaite plus revenir. “Le train est passé”, lâche-t-elle, amère. Un constat que partage Milanov lui-même, inquiet :
“Devoir quitter son pays à cet âge, alors qu’on devrait simplement profiter de sa retraite, c’est triste.”
Et pourtant, autour d’une table, à l’ombre d’un parasol, les anciens d’Allemagne sourient. “Ici, je peux enfin être un vrai retraité”, affirme Heinz. Le pays natal est loin, “on ne le regrette pas vraiment”, sauf peut-être le pain, plaisante Christa. Le reste – les prix accessibles, les voisins allemands, les repas partagés – suffit à faire de cette enclave bulgare un dernier refuge.