Un enjeu stratégique, à la fois économique, social, et démographique. Alors que le taux d’activité des seniors français est deux fois inférieur à celui de l’Allemagne notamment, Astrid Panosyan-Bouvet a lancé, en avril dernier, l’Initiative pour l’emploi des plus de 50 ans. Son ambition ? Changer les pratiques, la loi, et les regards en mobilisant les acteurs publics comme privés. “Ils incarnent l’expérience, la transmission, la fiabilité. Ils sont un levier de performance pour les entreprises et un pilier de notre cohésion sociale”, souligne la ministre chargée du Travail et de l’Emploi.
L’Île-de-France étant “au cœur” de ce mouvement, un colloque, organisé récemment à la préfecture de Région, a permis de rassembler différents partenaires, dont l’ANDRH (Association nationale des DRH), la Communauté “Les entreprises s’engagent”, France Travail, l’Apec, le Medef, la CPME ou encore l’U2P.
L’Île-de-France bonne élève avec des lacunes
La Région, qui agrège un quart des emplois du pays, affiche un taux d’activité des 50-64 ans de 77,5 %, contre 70,4 % en France, tandis que le taux de chômage atteint 6,8 % contre 7,5 % au niveau national. “Cependant, les enjeux en matière de retour à l’emploi, d’accès aux formations pour une reconversion professionnelle, notamment des femmes de plus de 50 ans, exigent la mobilisation de l’État et de ses partenaires pour l’emploi”, souligne Marc Guillaume, préfet de la Région d’Île-de-France, préfet de Paris.
Plus précisément, les 50 ans et plus sont au chômage plus longtemps, en moyenne 6 à 12 mois. 35,3 % d’entre eux sont des demandeurs d’emploi de longue durée. Leur taux d’accès à l’emploi est inférieur à celui de l’ensemble des chômeurs de catégorie A et B. Ainsi, comme le préfet le précise, la Région se retrouve au cœur de la mobilisation nationale.
© A.P. – Marc Guillaume a accueilli l’événement à la préfecture de région.
Certaines démarches ont déjà été engagées et les résultats sont prometteurs. Le programme “Atout seniors”, notamment, associe une formation certifiante à une période d’activité sur 22 métiers des services aux entreprises. Plus de 400 parcours ont été engagés jusqu’à présent. “Notre objectif est clair : nous voulons plus de 1000 travailleurs expérimentés qui, dans ce cadre-là, trouvent le chemin du retour à l’emploi”, insiste Marc Guillaume.
La coordination de l’ensemble des acteurs peut être efficace, comme cela a été démontré lors des JOP, pour lesquels plus de 30 000 emplois ont été pourvus dans les secteurs en tension, notamment la sécurité privée. Finalement, 96,5 % de ces personnes ont toujours un emploi aujourd’hui.
La moitié des actifs aura plus de 50 ans en 2050
Quoi qu’il en soit, comme l’a rappelé Astrid Panosyan-Bouvet, se préparer aujourd’hui est indispensable : les travailleurs de plus de 50 ans représentent un tiers des actifs aujourd’hui, mais cette proportion atteindra les 50 % en 2050. Pour la ministre, “au-delà du gâchis économique, de la perte de capacité productive et contributive aux investissements ou à la protection sociale, c’est un immense gâchis humain”. Quels que soient les niveaux de qualification, un tiers des seniors craint de ne plus avoir les mêmes opportunités, avec des difficultés de maintien dans l’emploi, mais aussi et surtout de retour à l’emploi. Sur ce dernier sujet, la durée moyenne est de 588 jours, quasiment une fois et demie de plus qu’une personne âgée de moins de 50 ans.
La question des préjugés autour de ces travailleurs est une véritable “anomalie française”, selon Astrid Panosyan-Bouvet. En décembre dernier, la Défenseure des droits a justement rappelé que le premier motif de discrimination sur le marché du travail était celui de l’âge.
Peu d’actions mises en place dans les entreprises
Pour mieux comprendre ce qu’il en est en entreprise, l’ANDRH a mené une étude avec le ministère du Travail auprès de 1083 entreprises rassemblant 35 % de seniors sur le recrutement, le maintien dans l’emploi et l’usure professionnelle. Selon Sylvain Reymond, directeur général de la Communauté des Entreprises s’engagent, il en ressort que peu d’actions sont mises en place sur ces différents aspects.
Concernant le recrutement, seulement 8 % des sondés disent prendre en compte cette catégorie d’âge. Il n’y a qu’un quart des entreprises qui forment les managers et les recruteurs à la lutte contre les discriminations liées à l’âge. La question du maintien dans l’emploi n’en est également qu’à ses débuts, avec un quart des entreprises interrogées prenant des mesures en la matière.
L’enjeu de mobilisation des entreprises
Il y a donc un enjeu important de mobilisation des entreprises. “Nous avons commencé avec ce tour de France qui se termine aujourd’hui en Île-de-France avec 2 000 entreprises et nous allons reprendre en septembre avec 101 job datings dans les départements, avec la participation d’encore plus d’entreprises”, précise Astrid Panosyan-Bouvet.
Pour Fabienne Arata, directrice générale de LinkedIn France, s’engager sur ces sujets est important face aux besoins en compétences en matière d’IA et de durabilité. D’autant que 80 % des recruteurs indiquent qu’il est encore plus difficile de recruter des candidats “qualifiés” cette année qu’en 2024. En outre, 68 % des compétences aujourd’hui nécessaires dans tous les métiers seront transformées “par nécessité” d’ici 2030. Si les entreprises ne sont pas très engagées, elles perdront forcément de l’avance, selon la spécialiste.
“Dès lors qu’une société commence à recruter non pas sur un CV, un diplôme, une expérience, mais plutôt sous l’angle des compétences au sens large, elle peut multiplier le nombre de candidats dans un vivier de talents par neuf”, souligne-t-elle, appelant à faire sauter les biais de jugement sur l’angle des compétences. “Il faut s’enlever de l’esprit le fait que le talent, la compétence, est jeune par défaut. Nous observons que les travailleurs de plus de 50 ans sont deux fois plus formés sur les compétences vertes, actuellement en pénurie”.
De nouvelles mesures, notamment votées récemment par le Parlement, viendront au soutien de ces objectifs. Le contrat de valorisation de l’expérience, un “CDI senior” dirigé vers les chômeurs de plus de 60 ans, en fait partie. Un dispositif facilitera également les reconversions pour les personnes exerçant des métiers pénibles.
Au niveau francilien, les départements sont invités à décliner la mobilisation, à travers des rencontres regroupant entreprises, acteurs économiques et partenaires du service public de l’emploi. Car comme le souligne finalement Marc Guillaume, “l’emploi des salariés de 50 ans et plus est un atout pour l’économie et pour le corps social de notre région”.