Par
Camille Descroix
Publié le
30 mars 2025 à 19h26
« Cette voix, c’est comme un éclair qui me foudroie. » À 13 ans, Florent entend régulièrement des voix et constate que les gens se moquent de lui. Il en est certain : on lui veut du mal. Florent l’ignore encore, mais il est schizophrène.
Un jour, alors qu’il se rend au collège, il a comme un flash : « J’ai vu mon père mort. Je voyais une marque de sang. J’ai quitté précipitamment le bus et je suis retourné à la maison, convaincu que je pouvais le ramener à la vie. »
De retour chez lui, il n’en est rien, excepté son père surpris de le voir revenir si vite de l’école. Troublé, Florent ressent toutefois un profond soulagement. « C’était l’un des plus beaux jours de ma vie, j’étais tellement convaincu qu’il était vraiment mort… Le lendemain matin, à mon réveil, j’ai cru que j’avais fait un cauchemar », explique-t-il.
Florent Babillote, 44 ans, vit à Noyal-sur-Vilaine (Ille-et-Vilaine). Ses premiers symptômes sont apparus à l’âge de 13 ans. (©Florent Babillote)Bouffées délirantes, psychose, hallucinations…
Des crises psychotiques comme celle-là, Florent les multiplie pendant son adolescence. La schizophrénie est un trouble mental complexe, qui entraîne une désorganisation de la pensée et du discours, un comportement inapproprié, un repli sur soi et des moments de déréalisation, comme une sensation de détachement de son environnement.
Elle touche environ 1 % de la population mondiale, et près de 600 000 personnes en France. Généralement, les symptômes apparaissent entre 15 et 25 ans, au moment où le cerveau est en phase de maturation.
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Pour Florent, âgé de 44 ans aujourd’hui, le parcours médical a été laborieux. « J’ai caché mes symptômes pendant 10 ans, j’avais trop honte, se remémore-t-il auprès d’actu.fr. C’était une lutte intérieure : moi contre moi-même. »
« Complètement shootés »
À l’âge de 24 ans, les crises deviennent de plus en plus intenses et régulières, de sorte qu’il ne peut plus dissimuler ce qui le traverse. Alors que son père, militaire, rentre d’un voyage professionnel au Brésil, une violente dispute éclate entre les deux hommes.
Je m’étais inventé tout un délire sur le fait que mon père avait une autre famille. J’en étais persuadé, alors je l’ai secoué violemment par les épaules.
Florent
44 ans
Le lendemain, le jeune homme consulte son médecin de famille, qui l’oriente vers un spécialiste pour établir une expertise psychologique. Le couperet ne tarde pas à tomber : il est interné au centre hospitalier Guillaume Régnier, à Rennes, un établissement spécialisé en psychiatrie et santé mentale.
« C’était très dur… On était tous habillés en blouse blanche, complètement shootés par les médicaments et privés de sortie », se souvient-il. Quand il quitte l’établissement, un mois plus tard, il se promet de ne jamais y remettre les pieds.
Une maladie encore trop stigmatisée
En moyenne, il faut compter sept ans avant qu’un diagnostic soit posé. Ce retard est lié aux idées reçues, à la méconnaissance – y compris chez certains professionnels de santé – et à la stigmatisation persistante. Selon un sondage d’Opinion Way, 78 % des Français considèrent les personnes vivant avec une schizophrénie comme dangereuses pour autrui.
Pourtant, les patients schizophréniques dangereux pour la société sont une minorité. Seuls de rares cas donnent lieu à des accès de violence au cours d’une crise, et cette agressivité est le plus souvent tournée vers le patient lui-même, indique l’Inserm. Environ la moitié des patients souffrant de schizophrénie font au moins une tentative de suicide au cours de leur vie.
C’est une maladie invisible. Elle est encore très taboue dans la société et il y a beaucoup de fantasmagories. On ne nous éduque pas suffisamment aux maladies psychiques.
Florent
44 ans
« Je pensais que les gens voulaient me tuer »
Une errance médicale et des stéréotypes coriaces que Naama, 24 ans, connaît bien. À 14 ans, elle commence à ressentir les premiers signaux inquiétants. « J’avais des hallucinations visuelles, je faisais beaucoup de cauchemars, et je me sentais en danger. Je pensais que les gens voulaient me tuer », rejoue la jeune femme installée à Angers.
Elle est d’abord diagnostiquée pour des troubles de l’humeur à 16 ans, lors d’une première hospitalisation de quatre mois. Puis, de retour chez elle, elle est victime d’un délire paranoïaque.
Naama Trottier, 24 ans, vit à Angers. Elle a été diagnostiquée d’un trouble schizo-affectif à sa majorité. (©Naama Trottier)
« Je me sentais espionnée en permanence. Je pensais qu’il y avait des caméras dans ma chambre et dans la rue. Je croyais que les miroirs étaient des vitres teintées avec des gens derrière qui m’observaient… Je ne voulais plus me doucher, et quand je m’habillais, je me mettais sous une couverture », décrit la jeune femme.
C’est une maladie deux en un : je suis à la fois schizophrène et bipolaire.
Naama
24 ans
Naama souffre en réalité d’un trouble schizo-affectif, aussi appelé schizophrénie dysthymique. Il se caractérise par la présence de symptômes liés à l’humeur, tels qu’une dépression ou une manie, associés aux symptômes psychotiques de la schizophrénie, selon le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (MSD).
Quelle différence entre la schizophrénie et la bipolarité ?
Il est parfois difficile de différencier ces deux maladies, tant leurs symptômes peuvent se confondre. La schizophrénie démarre généralement plus tôt, entre 15 et 25 ans, alors que la bipolarité apparaît plutôt entre 25 et 35 ans.
Les troubles bipolaires sont principalement des troubles de l’humeur, caractérisés par des cycles d’euphorie (manie) et de dépression, tandis que la schizophrénie entraîne une altération du rapport à la réalité, parfois associée à des troubles de l’humeur.
L’importance de la détection précoce
Son diagnostic, elle l’apprend de manière incongrue à l’âge de 18 ans : « J’étais en visite à l’hôpital de jour et, par curiosité, j’ai voulu regarder sur le dossier médical que l’infirmière tenait dans ses mains. J’ai vu le terme ‘schizophrénie dysthymique’. On ne me l’avait pas officiellement dit », déplore-t-elle.
La variété des symptômes, leur similarité avec d’autres pathologies psychiatriques et leur fluctuation dans le temps rendent le diagnostic difficile, avec parfois une errance importante avant que soit déclarée la schizophrénie, précise l’Institut du Cerveau.
D’autant que la détection précoce est essentielle chez les jeunes adultes. « 60 % des jeunes souffrant de psychose se rétablissent socialement dans les deux ans qui suivent l’apparition des premiers symptômes. Passé ces deux années, le pourcentage chute à 15 % », prévient Anne Leroy, cofondatrice de l’association PositiveMinders, qui a pour mission de sensibiliser l’opinion publique à la schizophrénie et aux autres troubles psychiques.
Lâchée par sa famille et ses amis
« Ma famille m’a tourné le dos et j’ai été totalement lâchée dans la sphère amicale. Mes amies avaient peur d’avoir la même chose que moi… Je me suis retrouvée seule, du jour au lendemain », se souvient la jeune femme auprès d’actu.fr.
Je suis allée à l’hôpital onze fois en deux ans.
Naama
24 ans
Celle qui a suivi des études d’auxiliaire vétérinaire, avant de devenir illustratrice, va beaucoup mieux aujourd’hui. Elle prend quotidiennement deux médicaments : des antipsychotiques pour la schizophrénie et des thymorégulateurs pour les troubles de l’humeur.
« Ça m’empêche d’avoir des hallucinations ou des délires, et je n’ai plus de phase haute (phases d’exaltation de l’humeur) ou basse (phase de dépression) », se réjouit Naama. Les rares fois où cette Angevine a fait l’impasse sur sa médication, elle a été reconduite à l’hôpital. Reconnue invalide entre 50 et 70 %, elle bénéficie de l’allocation aux adultes handicapés (AAH).
Florent, lui, est sous Abifily, un antipsychotique de troisième génération à base d’aripiprazole. « C’est une béquille, mais ça ne suffit pas », explique-t-il. En complément du traitement, l’activité physique peut réduire les symptômes de dépression et d’anxiété et la qualité du sommeil. « Ça m’arrive encore aujourd’hui de ressentir des signes de la maladie, mais j’ai des astuces pour mieux les gérer », ajoute-t-il.
Guérir les symptômes
Après avoir travaillé comme aide-soignant pendant une dizaine d’années, Florent est devenu coach en santé mentale et accompagne désormais les personnes en souffrance psychique et leurs familles.
Il applique notamment des techniques de développement personnel basées sur les neurosciences, comme la programmation neuro-linguistique (PNL). Il a également écrit un livre, Obscure Clarté Schizophrénia, dans lequel il partage son expérience.
À ce jour, Naama et Florent ne suivent plus aucune thérapie, mais sont contraints de prendre leur traitement médicamenteux à vie. « C’est sous contrôle », se félicite la première. « Je suis rétabli depuis l’âge de 30 ans, c’est-à-dire que j’ai une vie normale : un boulot, une copine », renchérit fièrement le second.
Vous me croisez dans la rue, vous ne pouvez pas vous douter de mon passé.
Florent
44 ans
Environ un tiers des patients sont en rémission durable après quelques années de traitement. Chez les autres, la maladie persiste dans le temps avec des symptômes en partie contrôlés grâce à un suivi médical, mais avec des rechutes possibles. Enfin, 20 % à 30 % des patients répondent très peu aux traitements.
Le site santepsyjeunes.fr peut aider au repérage de la schizophrénie avant d’orienter vers un centre spécialisé. Si vous souhaitez contacter Florent, vous pouvez lui écrire à cette adresse mail : [email protected].
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