France. Alors que les vacances d’été se profilent, les galeristes parisiens dressent le bilan quasi unanime d’un marché atone au premier semestre 2025, tout en observant que les comportements des acheteurs évoluent. S’ils s’accordent dans l’ensemble sur le constat d’une période marquée par une forte instabilité, ce dernier est cependant gradué : certains n’hésitent pas à qualifier le semestre de mauvais, très peu de ventes ayant été réalisées, quand d’autres affirment tirer leur épingle du jeu.
Des foires « plus lentes »
Tous ne partagent donc pas la même inquiétude, mais la plupart ressentent un ralentissement significatif. Sébastien Carvalho, directeur de la Galerie Mitterrand, note que « le premier semestre a été moins dynamique que les années précédentes », avec des foires « plus lentes » – par exemple Tefaf New York. « La tendance à un léger ralentissement se confirme, le volume d’activité est à peu près de 20 % moindre qu’en 2023 », renchérit Niklas Svennung, chez Chantal Crousel. Christophe Gaillard, pour sa part, nuance cette impression généralisée de stagnation, voire de baisse : « Certaines décisions sont reportées, mais on doit tout de même admettre une réelle activité. » Presque tous en conviennent : celle-ci requiert plus d’efforts. « Il faut être plus proactif que par le passé pour conclure les ventes », explique Louis Vassy, cofondateur de la galerie Parliament. « Globalement, on passe davantage de temps à travailler, pour le même résultat », abonde un confrère.
Le climat économique pesant est évidemment mis en cause. Plusieurs galeries pointent du doigt les tensions géopolitiques et l’inflation. Christophe Gaillard estime que « cette période anxiogène » modifie les comportements des acheteurs. Ces derniers se montrent plus prudents. Guillaume Sultana relève « une véritable frilosité de la part des collectionneurs français ». Louis Vassy évoque toutefois une rectification salutaire du marché : « Il y a de la part des collectionneurs un rejet des pratiques spéculatives autour d’artistes émergents sans reconnaissance institutionnelle. » « L’année 2024 et le premier semestre 2025 ont été marqués par beaucoup d’incertitudes politiques et économiques, mais l’appétence pour l’art est toujours aussi forte », veut croire Anne-Claudie Coric, directrice de la galerie Templon. « Le problème, c’est que les collectionneurs ont toujours envie d’acheter, mais ils payent avec beaucoup de retard », déplore un galeriste qui préfère rester discret.
Le retrait partiel des institutions est également en cause dans ce ralentissement : les musées et les Frac (Fonds régionaux d’art contemporain) sont touchés par la baisse des subventions publiques, et plusieurs marchands soulignent que l’argent provient désormais davantage de collectionneurs, en partie étrangers, que des institutions françaises. Dans une situation où « la dette persiste et où la croissance est au ralenti, les coupes dans les budgets sont inévitables », relève Olivier Antoine, directeur d’Art : Concept. Un confrère compare quant à lui la période de crise actuelle avec celle de la guerre du Golfe, « si ce n’est qu’à l’époque les institutions avaient d’importants budgets d’acquisition, ce qui a permis d’attendre des jours meilleurs ».
Ce marché incertain n’exclut pas de bonnes surprises. Anne-Claudie Coric dépeint un « premier semestre en nette progression », scandé par des « succès commerciaux ». Fabienne Leclerc confie que « quelques bonnes ventes ont sauvé [s]on début d’année », grâce à la demande constante pour un artiste phare de la galerie In Situ. La galerie Sator constate une « nette amélioration par rapport à 2024 ». Anne-Laure Buffard admet se sentir quant à elle « à contre-courant » puisque 2025 a très bien commencé pour la galerie : « Nous mettons en avant des artistes reconnus par les institutions, qui ont de nombreuses actualités et dont les prix des œuvres sont entre 1 000 et 60 000 euros. » La gamme de prix dans laquelle s’effectuent les ventes indique en effet des montants plutôt raisonnables. « Ce sont les œuvres entre 20 000 et 200 000 euros qui trouvent preneur sans difficulté », affirme Anne-Claudie Coric. Le rôle des foires reste significatif : Templon y réalise encore 40 % de son chiffre. Et, assure Niklas Svennung, « il faut plus que jamais être présent dans différentes parties du monde pour compenser certaines régions actuellement plus ralenties ». Néanmoins, plusieurs marchands, soucieux de faire des économies, se montrent plus sélectifs dans leurs participations. Parmi eux, Guillaume Sultana, qui mise cependant sur les foires de rentrée, comme Art Basel Paris, qui correspondra à une forte visibilité institutionnelle des artistes de la galerie.
« Produire localement »
Mise à part la galerie Salle principale (pourtant présente à Art Basel Paris 2024), qui a annoncé en janvier vouloir faire une pause de quinze mois, la plupart des galeries résistent et tentent d’équilibrer leurs comptes en rationnalisant les coûts. Christophe Gaillard a ainsi internalisé le stockage et les transports en investissant dans un lieu de 2 500 m2 et le recrutement d’un régisseur/transporteur ; d’autres, comme Fabienne Leclerc ou Templon, lequel dispose de deux espaces à Bruxelles et New York, disent tenter de limiter le fret aérien. « Nous encourageons les artistes à produire localement pour les expositions », soutient Anne-Claudie Coric. Nombreux sont ceux aussi à réduire les productions, à les reporter ou à décliner les sollicitations des institutions dans le cadre d’expositions, par exemple pour les frais d’édition de catalogues.
Chacun doit faire des choix. Vincent Sator quitte son espace de Romainville et s’accorde quelques mois « en stand-by ». Parliament prévoit de quitter le 10e arrondissement afin d’emménager à la rentrée dans le Marais. Et pour certains, l’été sera actif : « Contrairement à une idée reçue, c’est un moment où peuvent se conclure des transactions car les collectionneurs ont du temps. Dans tous les cas, il faudra un automne solide pour consolider un chiffre d’affaires comparable à 2024 », avertit Sébastien Carvalho. Pour beaucoup, ce second semestre sera décisif.