Par
Laurène Fertin
Publié le
10 juil. 2025 à 18h26
21h. Alors que les clients du Burger King mangent tranquillement sur la terrasse, les vrombissements des moteurs commencent à se faire entendre. Les voitures affluent sur le parking d’un centre commercial en périphérie de Rennes*. Chacun s’est donné rendez-vous, vendredi 13 juin, pour garer BMW, Megane RS, Golf GTI et autres Audi RS4. Les coups d’œil lancés derrière les vitres permettent aux uns et aux autres de se reconnaître avant de sortir avec prudence des bolides : oui, le « rasso » illégal, c’est bien ici.
Pimpés ou non, rutilants ou plus modestes, les bijoux sont exposés alors que la lumière décline. Les discussions se fondent sur du shatta* boosté par de grosses sonos installées dans les coffres. Dans quelques heures, l’air va sentir « bon » la gomme brûlée.
De jeunes amateurs
Les « rassos » – comme on dit dans le milieu – font beaucoup parler d’eux et surtout de façon péjorative. Les arrêtés municipaux et préfectoraux sont désormais légion pour interdire ces événements non encadrés en raison des débordements.
Mais cela ne freine pas les passionnés qui se rassemblent régulièrement pour sentir « l’adrénaline » – que procurent vitesse, illégalité – et discuter, malgré tout, de l’esthétique des jolies cylindrées que chacun bichonne avec son argent de poche.
Car les rassemblements illégaux voient surtout de jeunes minois parler bagnoles, prendre photos et vidéos des drifts (des dérapages contrôlés) et autres pirouettes réalisées sur des circuits improvisés. Pour comprendre l’envers du décor, la rédaction d’actu Rennes s’y est glissée.
Chacun échange au sujet des voitures garées sur le parking. (© LF – TG / actu Rennes)« J’adore, je viens souvent »
« Moi, je suis venu dans ce genre d’endroit parce qu’on m’y a invité, raconte Julien*, sur le parking. Et maintenant j’adore, je viens souvent. »
Pour savoir où et quand va se dérouler un rasso, c’est un peu comme les rave party : c’est à la dernière minute que ça se joue. Les intéressés consultent les stories affichant lieu, date et horaires de l’événement sur Instagram.
« Ouais, c’est illégal », poursuit le jeune homme, bras croisés, épaules levées. « Mais bon, on n’en fait pas tous les vendredis soir, ça dépend en fait. »
Ces derniers mois, le mouvement s’est en effet calmé par la force des choses – et les forces de l’ordre.
Auparavant organisés à Bain-de-Bretagne ou encore à Saint-Grégoire, les rassemblements se retrouvent désormais dans d’autres communes en périphérie de Rennes. (©LF – TG / actu Rennes)
« Avant, les rassos s’organisaient à Bain-de-Bretagne ou encore à Saint-Grégoire sur le parking de l’enseigne Norauto. C’était le bordel, c’était blindé », sourit Julien, qui se remémore le bon vieux temps.
Une fois, on est venu, y avait 10 motos de gendarmes, ils nous ont dit ‘ça sera pas ici ce soir’ et on a tous dû souffler dans un éthylotest (rires).
Julien
Nous vous en parlions, le 11 mars dernier, une personne avait été interpellée après un run à Saint-Grégoire. Désormais, les férus du volant se donnent rendez-vous dans d’autres coins pour éviter de se faire chasser.
« Ça pue le run »
Concernant ce nouveau spot, vendredi soir, dans les allées, l’ambiance est bon enfant. Et il n’y a pas que « des petits jeunes » puisque quatre retraités, intrigués par le bruit, sont sortis de chez eux et regardent le spectacle sans trop bien saisir ce qui s’y joue.
Eux non plus ne comprennent pas tellement ce qu’ils y font : enfants en bas âge et poussettes sont aussi de la partie. Quelques filles sur leur 31 ont suivi leur petit copain – elles sont assises côté passager ou se tiennent dans l’ombre de ceux qui causent sur le parking.
Une BMW série 3 effectue des drifts. Les spectateurs filment, pour certains, au plus près de la voiture. (© LF – TG / actu Rennes)
Puis, doucement, vers 23h, l’air s’électrise. Il semblerait que tout le monde attende quelque chose. « Ça pue le run », glisse un participant, qui tourne les talons.
D’autres au contraire s’amassent, portable en main, à quelques mètres d’une BMW série 3 qui s’élance à toute allure. Crissements, néons bleus, épaisse fumée noire : le spectacle a commencé, les drifts s’enchaînent.
Et il faut reconnaître que le show est plutôt saisissant : ici, c’est Breizh and Furious.
Quelques chiffres
Sollicitées par la rédaction, la préfecture de la région Bretagne ainsi que la Direction interdépartementale de la police nationale (DIPN 35) nous ont fourni plusieurs chiffres sur ces rassemblements :
-En 2024, en zone gendarmerie, 11 rassemblements ont été constatés, principalement sur les communes de Noyal, Châtillon-sur-Seiche ou Chartres-de-Bretagne. Ils ont réuni entre 15 et 200 véhicules légers et se sont produits majoritairement entre 21h et 23h.
En zone police : quatre interventions ont été matérialisées à Saint-Grégoire et Chantepie ; réunissant entre 60 et 100 personnes sur place sans incident. Deux infractions ont été relevées (pour défaut d’assurance et plaque non conforme).
-En 2025, « s’il est encore trop tôt pour évoquer un bilan », indique la préfecture, voici ce qui a été relevé : cinq interventions matérialisées toujours à Saint-Grégoire, Rennes et Chantepie (périmètre Police), réunissant entre 50 et 200 personnes sur place. Diverses infractions au code de la route ont été relevées (conduite sans permis, refus d’obtempérer).
13 cyclomoteurs ou motocyclettes ont été saisis, 297 personnes ont été contrôlées, 229 « véhicules terrestres » ont été contrôlés, 21 verbalisations ont été adressées, une personne a été interpellée.
Vers la légalité… ?
Qui dit illégal, dit aussi légal. De l’autre côté de la balance, plusieurs associations bretonnes organisent a contrario des rendez-vous autorisés et réglementés par la préfecture et les communes à l’image des Pilotes bretons (notre interview à lire dans le volet 2 de notre série) : là-bas, vous ne verrez pas de drifts, ni de wheelings (rouler sur la roue arrière) et encore moins de runs.
Les passionnés hors-la-loi devront-ils finir par s’y accoutumer ? Depuis que les rassos sauvages se font jeter de toutes parts, il devient difficile de runner en toute liberté. La communauté se tourne depuis peu vers des événements encadrés.
À ce titre, un rassemblement légal était organisé, vendredi 27 juin, route de Lorient. Dans le garage*, c’était ambiance pain-saucisses avec quelques bruits de pots d’échappements : l’épave d’une Chrysler Cordoba de 1977 a été transformée de façon spectaculaire avec un barbecue à l’avant et un frigo à l’arrière. « C’est l’été, on se fait plaisir ! », lance un organisateur.
Un barbecue a été installé à l’avant d’une vieille Chrysler Cordoba de 1977, entièrement retapée. (© TG – LF / actu Rennes)
Vu qu’on n’a pas de lieu fixe, on cherche des entreprises qui veulent bien nous accueillir (…) Obtenir des autorisations auprès de la préfecture, c’est très compliqué. Sur une zone privée, l’avantage, c’est que l’on a juste à encadrer le nombre de personnes (pour une fête privée c’est moins de 400 personnes). On a tout ce qu’il faut en termes de sécurité, en cas de problèmes ou autres.
Salem
Co-organisateur de l’événement
C’est donnant-donnant : le rasso donne de la visibilité aux entreprises, les entreprises permettent aux passionnés d’exposer leurs voitures.
« On les connaît par cœur »
Dans les allées, où les voitures sont impeccablement garées, chacun vient ici se détendre et échanger avec ses pairs. « Après une semaine, c’est le moment de décrocher et d’extérioriser, c’est un moment qui sort de l’ordinaire », résume Hippolyte, venu avec sa BMW E46 Rocket Bunny bleue, qu’il a « complètement refaite » lui-même.
Hippolyte et Corentin sont venus tous les deux pour parler voiture et « décrocher » après leur semaine bien remplie. (©TG – LF / actu Rennes)
Nos voitures, on les bidouille, on les monte et remonte nous-mêmes : on les connaît par coeur. On n’a pas besoin d’aller chez le garagiste.
Hippolyte
« Là, tu vois la voiture qui vient de passer ? », lance le jeune homme, « c’est une Audi, ils ont mis 50 000 euros dedans juste en l’achetant. Elle est belle, on aime, mais en vrai, c’est un peu trop facile. »
« T’es obligé d’avoir des frissons »
La nuit est tombée. Minuit sonne la fin de l’événement. Il flotte comme un air de run. À la sortie, sur les trottoirs, l’effervescence ne se contient plus : motos et voitures commencent à s’échauffer et s’élancent.
« T’es obligé d’avoir des frissons, surtout quand ça pousse [quand ça accélère, N.D.L.R] », sourit un conducteur, dans une Audi A3, qui a littéralement foncé sur la route non loin du Jardin Moderne, où la foule, venue assister aux concerts, se déverse à quelques mètres de là.
« Petite fumée, l’odeur du barbecue, du beau diesel et là, des petits rupteurs de moto (pousser le moteur à l’arrêt, N.D.L.R) », savoure son passager, descendu de la voiture. « L’adrénaline » est le mot qui revient dans toutes les bouches, « frisson » son synonyme.
« L’adrénaline », les « frissons », voilà ce qui animent les adeptes des courses sauvages. (©LF – TG – actu Rennes)« C’est dommage de casser des passions »
On pourrait d’ailleurs penser que dans les rangs, tout le monde jubile, mais certains boudent sérieusement « ce genre de débordements ».
« Ici, c’est organisé, mais mal organisé : à l’intérieur, c’est bien, mais à l’extérieur, ça part en run », explique Amaury*.
Ce qu’ils font n’a aucun intérêt. Ils veulent juste montrer qui a la plus grosse. Dès qu’il commence à faire nuit ça dégénère. Le gars là, qui vient de passer à toute vitesse, il est à au moins 130 km/h et il frôle les gens.
Amaury*
« Il suffit qu’il perde ne serait-ce que deux secondes le contrôle de son volant et il nous emboîte tous, lâche-t-il. C’est dommage de casser des passions comme ça. »
Malgré le danger apparent, tous et toutes restent pourtant agglutinés sur les trottoirs et regardent passer, par des mouvements de tête pendulaires, les voitures à toute berzingue. « Le jour où ça va s’arrêter », ponctue Maxime*, « c’est quand il y a un mec qui va se planter. »
*Certains prénoms et lieux ont été anonymisés par la rédaction.
*Le shatta est un genre musical dérivé du dancehall, né aux Antilles et chanté (en partie) en créole. Voici un extrait.
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