Par

Augustin Delaporte

Publié le

10 juil. 2025 à 18h04

L’enfant de Jean Ndoye, combattant de MMA et coach, déboule à quatre pattes sur le tatami du NRFight Club Paris. Il fonce vers une Mathilde Aschenbrenner, désormais tout sourire. Une poignée de minutes en arrière, celui-ci gesticulait en assistant depuis un canapé en cuir à la séance dirigée par son père. À ce moment-là, son regard avait croisé un court instant le regard de la championne d’Europe IMMAF, à travers la barrière noire. En plein effort, protège-oreilles vissé sur le crâne, la combattante affichait alors un visage fermé, rougi, rageur. Un contraste saisissant, qui dit beaucoup de la manière dont celle qui a plongé dans le grand bain du monde professionnel en janvier 2025 aborde son sport. 
Quand Mathilde Aschenbrenner parle de MMA, elle vante les capacités intellectuelles de sa pratique, où il faut anticiper en un quart de seconde et choisir la bonne technique d’un large éventail, avec un temps de réaction éclair. La femme de 28 ans évoque aussi l’empowerment et la confiance en soi que cela lui a apporté, comme les valeurs de respect et l’importance d’appartenir à un groupe. Elle incarne surtout cette nouvelle génération qui est entrée dans ce sport avec de bonnes raisons et qui a réfléchi à comment bâtir sa carrière. Bien loin des clichés virilistes, violents et fantasques des années où le MMA était encore illégal.

Un autre regard sur le MMA

Elles rient à gorge déployée en mimant des prises pour nos photos, pourtant leur force de frappe est létale. En fin de séance du vendredi midi, Mathilde Aschenbrenner et Delphine Benouaich s’amusent comme des enfants en singeant leur sport. En jetant un regard à travers la vitre qui donne sur la rue, jamais un badaud ne devinerait que la première a fait ses débuts professionnels en MMA le 10 janvier dernier au Zénith de Paris et que la seconde détient un record de 6 victoires et une défaite lui permettant de sérieusement croire à ses chances d’intégrer la plus grande organisation du monde, l’UFC

Mathilde-Aschenbrenner-Paris
Mathilde Aschenbrenner et Delphine Benouaich au NRFight Club Paris, dans le 13e arrondissement. (©AD / actu Paris)

Le MMA n’est pas juste « une cage où l’on règle ses comptes », « où l’on se met dessus ». C’est avant tout un sport de combat extrêmement complexe, « où même tout une vie ne suffirait pas à en faire le tour », resitue Mathilde Aschenbrenner auprès d’actu Paris. C’est justement ça qui l’a attirée vers ce sport. En plus d’une bonne dose de hasard et de… timidité. 

Une petite erreur pour un grand coup de cœur 

Il y a presque dix ans maintenant, alors qu’elle a 19 ans, la combattante originaire de Mennecy, petite ville de l’Essonne, pousse la porte d’une salle de fitness nichée six kilomètres plus au nord, la Lisses Sport Academie. Pratiquante de karaté depuis ses 9 ans dans un club familial, où elle est passée ceinture noire à 15 ans et 2e dan à 18, en plus de faire du judo sur les six derniers mois, la jeune adulte veut découvrir autre chose et croit qu’elle va participer à un court de boxe.

Mathilde Aschenbrenner
Mathilde Aschenbrenner en plein shadow-boxing. (©AD / actu Paris)

Raté. Elle vient de faire ses premiers pas dans l’univers du MMA. « J’étais très timide à l’époque et je n’ai pas osé dire au professeur que je m’étais trompée, rembobine-t-elle. J’avais une vision violente de ce sport, créée à partir de ce que je voyais à la télévision. Mais j’ai découvert complètement autre chose. » Elle détaille : « J’ai tout de suite accroché à la technicité du sport, au fait que l’apprentissage me paraissait infini. Ça m’a rapidement semblé efficace (sur l’aspect létal), je me suis dit qu’avec ce sport on était dans le vrai ». 

« J’ai jamais été une fille qui aimait sortir »

Casanière et peu sensible aux tentations de son âge, Mathilde Aschenbrenner va vite passer à une pratique intensive. « J’ai jamais été une fille qui aimait sortir », résume-t-elle. Avec six séances par semaine, son quotidien devient millimétré. « Je me levais à six heures du matin, j’avais une heure et demie de trajet pour aller aux cours de mon IAE à Créteil, puis j’allais m’entraîner le soir et je rentrais chez moi à minuit. »

Elle fait aussi la connaissance de Johnny Frachey, dont la pédagogie match parfaitement avec elle : « Son but était de développer des individus à travers le MMA. C’est un sport où tu ne peux pas te mentir, avec de la discipline, où il faut être humble et penser collectif. Tu rejoins un groupe avec ses règles et en développant mes skills, j’ai pris confiance en moi ».

Tu crée ton propre jeu à partir de tout ce qu’on te transmet. Cela permet de s’affirmer, de se faire sa place, encore plus quand on est une femme.

Mathilde Aschenbrenner

Son univers tourne de plus en plus autour du MMA, sans qu’elle ne l’affiche encore au grand jour : « Les gens ne connaissaient pas trop à l’époque, alors je ne disais pas que je faisais du MMA, je leur disais que je faisais de la boxe (…) Je me voyais vivre comme ça toute ma vie, avec des entraînements le soir après le travail », se souvient-elle.

Un nouveau statut à assumer 

Depuis, les choses ont bien changé. Première championne de France de l’histoire, titre qu’elle a remporté à deux reprises, elle a aussi décroché la couronne continentale IMMAF en 2021. Des accomplissements qu’elle a atteint après avoir rejoint le NRFight Club Paris et avec Jean Ndoye dans son coin. Ensemble, ils ont méticuleusement préparé son entrée dans le monde professionnel. « Si tu veux viser les plus grandes organisations du monde, comme l’UFC, il faut avoir un record quasiment immaculé en pro. Les erreurs, il faut les faire en amateur », plante-t-elle. 

C’est ainsi qu’elle a compilé 19 combats en amateur pour peaufiner son style (record de 15-4). Elle est aujourd’hui sponsorisée par Tikehau, Teedup, Dowsers et Nutripure qui lui fournit ses supplémentations (Whey, omégas 3, vitamines…). Son volume d’entraînement a, lui, doublé avec 11 à 12 séances d’environ 1 heure, 1 heure 30 par semaine. Et, le 10 janvier 2025, elle a parfaitement réussi ses débuts au Zénith de Paris en soumettant la Brésilienne, Gracy Maia, dans le premier round. « C’est une transition difficile [la professionnalisation], il y a beaucoup plus de pression », confie-t-elle. 

D’autant qu’elle est désormais l’un des talents tricolores les plus suivis, notamment pour ses qualités au sol. Elle ne s’en cache pas. Puisqu’elle dit désormais viser l’UFC dans les « trois ans », tout en  assurant qu’elle « veut prendre son temps ». Son second combat, prévu le 10 août prochain au Théâtre antique d’Orange, sera à coup sûr particulièrement scruté. 

Du MMA… dès 3 ans

Mais en dehors de ses capacités prometteuses au sol, ce qui fait sortir Mathilde Aschenbrenner du lot, c’est son parcours. Il tord le cou à des clichés qui collent à la peau du MMA. Diplômé d’un master 2 « Entrepreneuriat et projets innovants » à l’université Paris-Dauphine, elle a longtemps voulu travailler dans le conseil à la création d’entreprise, en plus d’avoir planché sur un projet de start-up proposant du textile personnalisé aux clubs de sport de combat. 

Elle a également largement développé la section féminine grappling du NRFight Club Paris, passée de trois pratiquantes à presque trente sous sa houlette. « C’était un sport assez méconnu et puis, une femme passe difficilement la porte d’une salle avec trente hommes en sueur », lance-t-elle. À son échelle, elle a visiblement eu de l’impact. 

Mathilde-Aschenbrenner-Paris
Technicité et plaisir. (©AD / actu Paris)

La combattante a, aussi, enseigné le MMA à des enfants… dès l’âge de 3 ans. Une autre manière de peser sur la vision du grand public sur le sport. « Bien évidemment, il n’y a pas de coups à la tête. On travaille la motricité, la réactivité », explique-t-elle. Un peu comme un jeu. Du moins, jusqu’au moment où elle switchera de nouveau en entrant dans la cage.

Suivez toute l’actualité de vos villes et médias favoris en vous inscrivant à Mon Actu.