La vente attendue de SFR risque d’être le feuilleton de cet été 2025 comme l’affaire Pereira fut celui de l’été 2023. Pour rappel, Armando Pereira, numéro deux officieux d’Altice France, était arrêté en juillet 2023 par la justice portugaise, soupçonné de fraude, de corruption et de blanchiment d’argent. Ce scandale a eu pour mérite de mettre au grand jour le colossal endettement du deuxième opérateur français.

Depuis le 2 juin, Altice France, maison mère de SFR, est officiellement entrée en procédure de sauvegarde accélérée auprès du tribunal des activités économiques de Paris. Cette procédure doit lui permettre, d’ici l’automne, de restructurer sa dette pour éviter le dépôt de bilan. En l’occurrence, le groupe de télécoms entend tordre le bras de ses créanciers pour ramener sa dette de 24 à 15,5 milliards d’euros, en échange de 45 % de son capital.

Cette procédure a aussi relancé les spéculations autour d’une vente de SFR. Ses rivaux, Bouygues Telecom, Free et Orange, seraient sur les rangs pour racheter tout ou partie de la marque au carré rouge. Les deux premiers sont donnés favoris dans la cas d’une possible vente à la découpe, l’opérateur historique se voyant vraisemblablement empêché par les autorités anti-trust en raison de sa position dominante sur le marché.

Bouygues Telecom bien positionné

Président de la CFE-CGC d’Orange, Sébastien Crozier voit, dans un billet de blog, Bouygues Telecom comme le grand gagnant d’un démantèlement de SFR. Devenant numéro deux du secteur, la filiale du groupe Bouygues remettrait en cause la position de leader historique d’Orange qui « verrait surgir un rival redoutable sur le marché entreprises ».

Selon le syndicaliste, « l’Autorité de la Concurrence et l’Arcep pourraient imposer à Bouygues Telecom des « remèdes » : cession de La Poste Mobile, redistribution des boutiques et des fréquences, principalement au bénéfice de Free, mais aussi d’Orange… Un jeu de chaises musicales où chaque décision pèserait sur l’avenir de nos emplois. »

BFM Business rappelle, de son côté, que SFR partage depuis dix ans une partie de son réseau mobile avec Bouygues Telecom, les deux opérateurs exploitant 15 000 antennes en commun. Dernier acteur arrivé sur le marché du fixe et donc avec une part de marché moindre, Bouygues Telecom pourrait être privilégié par les régulateurs pour reprendre les six millions d’abonnés internet de SFR. De son côté, Free serait intéressé par SFR Business pour faire grandir Free Pro sur le marché des entreprises.

Les abonnés, dindons de la farce ?

Quoi qu’il en soit, le retour à trois opérateurs – situation inédite depuis l’arrivée de Free en 2012 – permettrait de diminuer la pression concurrentielle sur le marché français et donc d’augmenter les marges de ces derniers. Cette perspective d’une augmentation des prix des forfaits pour les consommateurs inquiète l’exécutif.

Le 8 juillet, le ministre de l’Industrie et de l’Énergie Marc Ferracci abordait cette question sur CNews et Europe 1. Une cession de SFR ne doit pas, selon lui, se traduire par des hausses de prix « trop significatives et qui pénalisent la facture téléphonique des Français ». Pour autant, « il faut trouver un équilibre industriel […] pour que nos opérateurs aient la capacité pour continuer à investir dans les réseaux. »

SFR, opérateur d’importance vitale

Et si d’aventure, c’était un acteur étranger qui emportait la mise ? Des opérateurs venant du Moyen-Orient, comme le saoudien Said Telecom Company (STC) – déjà actionnaire principal de l’espagnol Telefónica – ou l’émirati Etisalat (Emirates Telecommunications Corporation), sont régulièrement cités.

Marc Ferracci s’est dit « préoccupé » par cette hypothèse. S’il n’a pas évoqué un éventuel blocage du gouvernement en cas de rachat de SFR par un groupe étranger, il indique qu’il sera « très vigilant », évoquant des enjeux de souveraineté. Le journal Les Echos rappelle que SFR est classé comme un opérateur d’importance vitale (OIV) par la loi de programmation militaire.

SFR est, par ailleurs, très présent dans le secteur public. En janvier 2023, sa filiale BtoB était retenue par l’Ugap, centrale d’achat public, pour assurer pendant trois ans la protection des collectivités et des hôpitaux. SFR Business est hébergeur de données de santé (HDS).

Un joli pactole pour ses dirigeants

Se pose aussi la question de l’emploi. L’État devra être attentif au sort des quelque 8 000 salariés de SFR. Une opération de consolidation conduirait à d’inévitables doublons dans les fonctions support (techniciens sur site, agents des centres d’appel….) mais aussi au sein du réseau de vente. Il n’est pas rare de voir dans les galeries des centres commerciaux une boutique SFR à côté de celle d’Orange ou de Bouygues Telecom.

Alors que les salariés de l’opérateur vivent dans un climat d’incertitude particulièrement pesant, ils apprendront, par La Tribune, que leurs principaux dirigeants et les membres du conseil d’administration d’Altice France toucheront un joli pactole en cas d’accord avec les créanciers. Un plan d’intéressement leur permettrait de percevoir jusqu’à 142,5 millions d’euros.