Ce samedi 12 avril, le Racing Club de Strasbourg retrouve son chaudron de la Meinau pour un match qui sent bon l’Europe face à Nice. Une Meinau qui sera toujours plus ou moins silencieuse les 15 premières minutes, après la grève décidée par les UB 90 en août dernier. Une grève qui a beaucoup fait parler cette saison, sans pour autant donner la parole aux personnes concernées, c’est-à-dire les UB 90. C’est le cas ici, pour un long entretien.

Avec les très bons résultats du Racing, on en aurait presque oublié la grève. Objet de toutes les discussions ces derniers mois, elle n’a cessé d’alimenter les débats familiaux, les réseaux et même les médias. Des débats très virulents, qui se sont immiscés dans une Meinau qui n’était plus aussi unie que les années passées, et où la baisse d’ambiance s’est faite fortement ressentir.


Alors que la bande à Liam Rosenior mène une année 2025 exceptionnelle [10 victoires, 2 nuls et une seule défaite en Ligue 1, 2e équipe de France derrière le PSG, ndlr], la Meinau pousse à nouveau presque ensemble pour accompagner le Racing le plus haut possible. Et c’est dans ce climat plus apaisé que l’on a voulu donner la parole aux Ultra Boys 90 (UB 90), par la voix de Maxime leur porte-parole, pour revenir sur cette année mouvementée et expliquer leur position. Parce que si on en a beaucoup entendu parler cette saison, on a trop souvent parlé d’eux, sans eux.

racing club de strasbourg meinau © Nicolas Kaspar / Pokaa

Une grève décidée après une année d’observation

La grève décidée par les UB 90 avant le début de la saison a tellement occupé l’espace médiatique qu’on a presque tendance à oublier que la contestation n’a pas débuté par là. En février 2023, des rumeurs courent sur l’intérêt de BlueCo de racheter le Racing. À ce moment-là, les UB rédigent une charte avec la Fédération des supporters et la transmettent au club, « avec les valeurs qui nous sont chères, au niveau de l’indépendance, des valeurs locales ».

Au printemps, les rumeurs se font plus sérieuses, et les UB 90 sortent des banderoles contre la multipropriété lors du dernier match de la saison, à Troyes. Finalement, en juin 2023, le club est entièrement racheté par BlueCo, qui crée une société en France nommée BlueCo Alsace avec notamment comme dirigeants Paul Winstanley et Laurence Stewart, tous les deux directeurs sportifs de Chelsea. Un premier signal d’alarme concernant l’indépendance du Racing.

On souhaite un club qui prenne ses décisions à Strasbourg, et non à Chelsea.

Maxime, porte-parole et vice-président des UB 90

À ce moment-là, selon Maxime : « On se pose autour d’une table avec le club qui nous dit que ce sont deux clubs différents, qui ne sont pas destinés à fonctionner ensemble et que ce n’est pas une multipropriété comme les autres. » Surtout, le club dit aux UB 90 que BlueCo souhaite les rencontrer. À ce moment-là, les UB jouent d’abord la carte de l’observation : « On a su être ouverts au dialogue et aux différents arguments exposés par le club. Donc, on a d’abord décidé d’être attentifs à ce qu’il se passe, et ne pas prendre de décisions hâtives. »

Les premiers mois sont passés, toujours avec des banderoles contre la multipropriété. Sur le terrain, l’équipe de Patrick Vieira (l’entraîneur précédent) ne brille pas. En coulisses, les UB n’ont toujours pas pu rencontrer Behdad Eghbali, la personne la plus influente de BlueCo. Ce désir de rencontre est simple : « On souhaite parler aux personnes qui ont le dernier mot, pour savoir quel est leur intérêt pour Strasbourg et qu’est-ce qu’ils souhaitent faire à Strasbourg. Car ces personnes-là ne se sont jamais exprimées ni présentées aux supporters, ou aux employés du club. »

On estime que c’est BlueCo qui a le dernier mot, plus la direction à Strasbourg.

Maxime, porte-parole et vice-président des UB 90

Selon Maxime, le club notifie aux UB que la demande va être traitée, mais ils n’ont jamais eu de retour. Alors, à partir de mars 2024, ils passent une étape supérieure dans la contestation : une banderole « BlueCo Out » est sortie, « un message fort, qui correspond à nos valeurs » selon Maxime. Une marche contre l’actionnaire du Racing est même organisée à l’aune du match contre Rennes le 31 mars, une action très mal vécue en interne par le club.


Finalement, à l’été 2024 l’association se réunit : « On discute de nombreuses façons de faire ressortir notre mécontentement. D’autres façons de protester ont été évoquées, certaines plus radicales que d’autres, mais c’est la grève qui est ressortie comme la solution : cela fait parler, c’est un moyen pacifique de s’exprimer mais qui fait passer un message clair. » En somme : s’opposer à la politique de BlueCo, qui repose sur un recrutement axé sur des jeunes à fort potentiel, une perte d’autonomie décisionnelle et la dégradation de l’attachement à l’institution Racing.

Marche Ultra Boys 90 contre BlueCo Ultras Racing Club de Strasbourg Football © Adrien Labit / Pokaa

Une perception de la grève qui a évolué dans le temps

Lors du premier match face à Rennes, la grève ne se fait pas trop sentir à la Meinau, même si les débats ont déjà enflammé les réseaux : il y a d’abord une sensation de nouveauté et surtout, le Racing l’emporte 3-1. Mais face à Angers, lors d’un triste match nul, le début de cassure prend forme et surprend, surtout celles et ceux qui n’ont pas connu la Meinau frondeuse des années 2000.

Certes on fait une grève, mais on se déplace toujours à l’autre bout de la France.

Maxime, porte-parole et vice-président des UB 90

Très vite, La grève devient ainsi l’alpha et l’omega de l’analyse des matchs du Racing à domicile : si tout va bien, elle n’a aucune importance sur les joueurs (c’est faux) ; si tout va mal, c’est l’unique raison des défaites et c’est « la faute des UB » (c’est faux). Le procédé verse dans le caricatural et l’hostilité grandit envers les UB, qui sont désormais sifflés lorsqu’ils arrivent dans le Kop. Des moments difficiles à vivre selon Maxime : « Ce n’est pas agréable de se faire siffler, quand une partie des tribunes ne comprend pas notre message. On ne demande pas d’être en accord, mais on demande un respect, et que chacun puisse revendiquer ses idées. »

Néanmoins, pour lui, le combat mené passe avant toute autre chose : « Ce n’est pas quelque chose qui est agréable pour nous de faire la grève, ce n’est pas un plaisir. Mais c’est quelque chose qui est là pour manifester nos idées ; donc faire la grève ça passe au-dessus. » Le porte-parole des UB rappelle également que de nombreux/ses supporters/rices adverses étant venu(e)s à la Meinau ont soutenu leur combat [Lens, Auxerre, Toulouse, Nantes, ndlr] : « Nous ne sommes pas seuls dans ce combat, c’est un problème qui est français voire même européen. »

stade de la meinau racing © Nicolas Kaspar / Pokaa

Le « coup de pression » du mois de janvier, lancé dans une guerre de communication

La perception de la grève prend un deuxième tournant le 25 janvier dernier : à l’issue du match remporté face à Lille, le capitaine Habib Diarra prend la parole et demande aux supporters/rices de soutenir les joueurs de la première à la dernière minute. Ovation dans le stade, et du pain béni pour les détracteurs/rices les plus virulent(e)s de la grève. Selon Maxime : « À ce moment-là, il n’y a pas de sujet : ça peut être prémédité comme être spontané, mais ça reste les joueurs qui ont l’envie d’aller chercher les résultats. Le message est passé : qu’on l’accepte ou non, c’est un autre sujet, mais il n’y a aucun souci là-dessus. »

Mais derrière, engagé dans une bataille de communication sur le sujet, le club prend le relais pour enfoncer la porte qui a été ouverte : le lundi matin, Marc Keller prend la parole via un communiqué, qui demande « le soutien inconditionnel de nos supporters de la première à la dernière minute ». Une prise de parole en vase clos, par le servie com’ du club, où le narratif est maîtrisé, et qui est relayé ensuite par la quasi-totalité de la presse locale et sportive nationale. Surtout, un message est envoyé aux UB, avec la pression qui va avec dans l’opinion publique. Dans un seul but : qu’ils arrêtent la grève.

C’est un coup de pression, parce que le club revendique un monde où chacun vit sa passion comme il le souhaite, alors que le message passé ne va pas trop dans ce sens.

Maxime, porte-parole et vice-président des UB 90

Maxime détaille : « On s’est senti clairement visé. Même si on n’est pas cité, on ne peut qu’être les seuls à recevoir directement ce message. Surtout lorsque M. Keller a des sorties dans la presse qui sont très très régulées, et rares. Donc on estime que quand il fait une sortie comme celle-ci, c’est pour passer un message très précis. » Une preuve, s’il en est, que la grève fonctionne, puisque, au-delà d’occuper constamment les conversations, elle force le club à se positionner.

Après cette période de tourbillon, les UB 90 rencontrent Liam Rosenior et Habib Diarra, leur réaffirmant leur soutien et leur expliquant que le message est dirigé contre la direction, et non pas sur le volet sportif. Mais le lendemain, le coach anglais demande lui aussi en conférence de presse l’arrêt de la grève, en attendant des UB qu’ils montrent leurs revendications d’une manière différente. Une prise de parole peu appréciée par les ultras, expliquant que les UB aient fait passer un message plus long que d’habitude au micro lors du match face à Angers afin « d’expliquer notre position à tout le Kop », selon Maxime.

Notre combat on le mène, dans les tribunes il est plus ou moins accepté. Est-ce qu’ensuite il y a un travail fait pour nous écouter, je ne pense pas.

Maxime, porte-parole et vice-président des UB 90

Depuis, les relations entre les UB et le club n’ont pas évolué. Selon Maxime, elles restent cordiales, mais ne se concentrent plus sur la gouvernance du club parce que, d’après lui, « on a fait le tour de la question » : « Nos messages passent, on a la liberté de le faire au stade. Est-ce qu’on est écouté ensuite, est-ce que notre message est remonté plus haut, est-ce que nos doléances ont été remontées à BlueCo, est-ce que notre demande de rencontrer BlueCo a été réellement faite ? On ne pourra jamais savoir, mais ce sont des éléments sur lesquels on se questionne. »

meinau travaux © Nicolas Kaspar / Pokaa

« Pourquoi faire grève alors que les résultats sont bons ? » : le sportif et le modèle, deux choses différentes

Dans le fond, le réel point de discorde est celui-ci : Strasbourg joue bien, se trouve aux portes de l’Europe mais il y a une grève. La fête n’est pas totale, et beaucoup de supporters/rices ne comprennent pas, ou n’acceptent pas, cette prise de position : « On sent la pression populaire, on n’est pas aveugles. On le sent par les sifflets, par certains messages passés, par les réseaux sociaux évidemment. Finalement, on nous dit « Tout se passe bien, pourquoi vous êtes contre ? » ».

Les UB le disent : ils protestent contre la direction, et non pas contre le sportif. Une nuance qui n’est pas forcément évidente et un point sur lequel la direction du Racing appuie particulièrement : « Le message du club c’est « On vous a prouvé, maintenant à vous d’arrêter la grève ». Nous, on ne leur a jamais dit qu’il fallait qu’ils prouvent quelque chose pour qu’on arrête la grève, parce que ce n’est pas lié au sportif. Oui, les joueurs mouillent le maillot donc nous on soutient. Mais nos revendications sont autres. »

Le sportif occulte beaucoup de choses : quand la situation est moins positive qu’elle l’est aujourd’hui, il y a factuellement plus de personnes qui nous soutiennent.

Maxime, porte-parole et vice-président des UB 90

Pour Maxime, les bons résultats occultent le reste. Il précise : « Cela occulte la façon dont le club est géré, tout ce qu’il y a derrière. Force est de constater qu’il n’y a plus aucun recruteur à Strasbourg. C’est une preuve supplémentaire pour nous que le club n’est plus indépendant. » Concernant les supporters/rices, il rajoute : « Aujourd’hui je pense, sans avoir l’avis définitif, que beaucoup de supporters estiment que le résultat est premier, et qu’on se concentre là-dessus. On est dans une société qui est dans la culture de l’instant, et notamment dans le foot français. »

On est contre cette façon de gérer le football et gouverner un club. Et ça ne change pas, même si le club est aux portes de l’Europe. On voit plus loin que juste le Racing, on a une vision centrée sur comment on voit le football.

Maxime, porte-parole et vice-président des UB 90

Les UB se placent eux dans un temps plus long : « On a toujours été assez long-termiste, en voyant au-delà des résultats et en se demandant quelle est la gouvernance de notre club, ce qu’il représente et surtout, quel sera son futur dans 3 ans, 5 ans… ».

Une position qui ne les empêche pas de célébrer les victoires : « On est heureux des résultats, on continue d’aller au stade parce qu’on défend notre Racing et la vision que nous avons de lui. » Néanmoins, il relativise : « Nous aussi on célèbre les succès, mais c’est un succès mesuré, qui pour nous n’a pas la même saveur que 2019 [victoire en Coupe de la Ligue, ndlr], que 2022 [6e place en championnat, ndlr]. Pourquoi ? Parce qu’on ne le gagne ni avec les mêmes armes, ni avec les mêmes valeurs. On serait plus heureux si on était dans cette situation avec nos valeurs, ou même dans une situation moindre. »

Marche Ultra Boys 90 contre BlueCo Ultras Racing Club de Strasbourg Football © Adrien Labit / Pokaa

La grève, un combat vain ?

Parmi les critiques souvent exprimées envers les UB, il y a celle portant sur le fait que le football a changé, que les clubs familiaux n’existent presque plus aujourd’hui et qu’il est vain de s’opposer aux grandes mutations qui voguent vers la généralisation du format de la multipropriété.

Interrogé sur le sujet, Maxime répond : « Notre combat on le mène, en tribunes il est plus ou moins accepté. Est-ce qu’ensuite il y a un travail fait pour nous écouter, je ne pense pas. » Il est pourtant loin de se décourager : « Si les actions en tribunes peuvent paraître vaines, pour nous elles sont très importantes parce qu’elles permettent de faire passer un message. On est aussi ce garde-fou du football populaire. »

Le porte-parole des UB 90 détaille : « On a été dans une bulle les 10/12 dernières années, avant la reprise du club. Parce qu’on était un club indépendant, fort et fier de ses valeurs, d’un club qu’on appelait différent mais qui, selon nous, ne l’est plus du tout aujourd’hui. Mais il ne faut pas oublier que s’il a pu renaître de ses cendres, le club est descendu à cause de financiers qui avaient pour objectif autre que le succès du Racing. Chacun jugera aujourd’hui l’objectif de BlueCo. »

On est défenseur d’un football qui nous est propre, et on le sera tant que l’association sera active.

Maxime, porte-parole et vice-président des UB 90

S’il reconnaît que le combat est ardu, il n’en démord pas : « On fait face à un fonds d’investissement qui pèse des milliards dans le monde ; nous on est une association, avec nos idées et nous sommes parfois marginalisés. Mais on est défenseur d’un football qui nous est propre, et on le sera tant que l’association sera active. »

Un travail qui s’accompagne d’un autre, moins visible, sur la sensibilisation des politiques et des institutions au fait que dans quelques années, presque tous les clubs français pourraient être amenés à faire partie de multipropriétés. Il conclue : « Pour nous, ce n’est pas quelque chose qui est vain, parce qu’il y a un travail qui est lourd derrière, même s’il ne se voit pas. »

Marche Ultra Boys 90 contre BlueCo Ultras Racing Club de Strasbourg Football © Adrien Labit / Pokaa

Quel futur pour la grève, le Racing et les UB ?

Alors que le Racing joue ce samedi soir contre Nice pour continuer sa folle quête vers l’Europe, une question taraude les supporters/rices : est-ce que la grève va s’arrêter ? La réponse est non, quoi qu’il arrive. Maxime affirme : « Nous sommes maîtres de nos valeurs et de nos revendications, et donc de cette prise de décision qui ne doit pas être influencée par l’extérieur. » L’association se réunira comme d’habitude durant l’été, pour décider d’une nouvelle marche à suivre. Et pour l’instant, rien ne filtre sur les prochaines actions qui seront menées.

Une chose est sûre en revanche : la contestation contre BlueCo ne s’arrêtera pas de sitôt. Maxime détaille : « On mène aussi un combat de prévention. Quel impact aura Chelsea et BlueCo sur le Racing ? Ça c’est la vraie question, parce que l’on voit qu’au fil des mois, au fil des années, il y a de plus en plus d’emprise. On tend de plus en plus vers le modèle que nous rejetons. »

Un club ce n’est pas juste 11 joueurs, ce n’est pas juste le staff ; c’est un territoire, c’est une ville, ce sont des valeurs.

Maxime, porte-parole et vice-président des UB 90

Un modèle de multipropriété qui pourrait d’ailleurs peut-être évoluer dans les années à venir : « Le modèle nous est pour l’instant assez lucratif parce qu’on est le deuxième club. Nous on ne regarde pas ça, c’est le modèle dans son entièreté que l’on rejette. Mais il existe un risque que d’autres clubs se rajoutent, pour créer une galaxie de clubs où la place de Strasbourg pourra être diluée. » Avant d’acheter Strasbourg, BlueCo était en effet intéressé par des clubs au Portugal ; rien ne dit qu’il s’arrêtera à un modèle avec simplement deux clubs.

Alors que les UB fêteront cette année leurs 35 ans, les têtes sont tournées vers le futur. Et Maxime résume finalement la pensée de l’association : « Tout cela, on le fait pour le bien de notre club et ce que l’on revendique. On se porte comme protecteur et garant de l’institution qu’est le Racing Club de Strasbourg. »

stade de la Meinau racing © Nicolas Kaspar / Pokaa