Par
Yann Rivallan
Publié le
11 juil. 2025 à 6h52
À la suite de nos révélations sur l’importante rémunération du patron des boulangeries-pâtisseries Yvonne, de nombreux salariés alertent sur la gestion de l’entreprise. Manques de moyens, soucis d’hygiène, retards de salaires fréquents… Plongée dans les dessous peu reluisants de cette entreprise fondée à Rouen, actuellement en grande difficulté financière.
Un patron qui brille par son absence
Aujourd’hui, huit actuels et anciens salariés, apprentis ou alternants ont accepté de témoigner. Tous nos interlocuteurs ont travaillé chez Yvonne entre 2020 (date du début des difficultés) et 2025. Et ils font état d’expériences étonnamment similaires.
Les employés de l’enseigne de boulangerie-pâtisserie sont unanimes : la gestion du dirigeant et fondateur Jean-Marc Coudray serait « catastrophique » et particulièrement opaque. Certains disent d’ailleurs n’avoir jamais rencontré le patron durant toute la durée de leur contrat. Ce dernier brille régulièrement par son absence, « sauf quand il faut venir nous faire des reproches », s’agace un salarié du laboratoire où sont conçus les produits chaque jour.
Au quotidien, c’est une directrice qui gère les affaires en France. « Pendant que M. Coudray et sa famille sont à Dubaï », nous fait remarquer une ancienne alternante en vente. En effet, depuis quelques années, le couple de fondateurs est installé dans la ville des Émirats arabes unis, réputée pour sa luxure et sa présence d’influenceurs et de stars de télé-réalité.
Dans une interview à nos confrères du Parisien en septembre 2023, le couple Coudray annonçait d’ailleurs avoir ouvert une boutique Yvonne dans un centre commercial de Dubaï.
« Ils font ce qu’ils peuvent »
Selon une responsable de boutique, le poste de directrice est intenable : « Elle gère quatre postes en un. C’est infaisable… » Dès lors, c’est toute la chaîne de commandement qui se trouve bouleversée.
Au laboratoire central, « on a deux responsables, acquiesce une de nos sources. Mais ils font ce qu’ils peuvent ». Surtout, dans les effectifs d’Yvonne, on dénombre beaucoup d’alternants et d’apprentis pour peu de salariés à temps plein. « C’est pour faire des économies », pensent plusieurs de nos interlocuteurs.
Mais cela a aussi pour conséquence de se retrouver « en sous-effectif quand ils [les alternants et apprentis, NDLR] doivent aller en cours ». Au laboratoire des Hauts de Rouen, « c’est parfois difficile », estime un salarié. « On a déjà été deux pour réaliser toutes les pâtisseries de la journée [pour l’ensemble des boutiques du département]. »
Des retards et des oublis de salaires fréquents
L’un des gros points noirs chez Yvonne, c’est unanimement les salaires. Déjà que le montant de la rémunération annuelle de Jean-Marc Coudray (430 000 euros au total) énerve, beaucoup d’actuels et anciens salariés font état de retards de versement de leurs salaires.
Depuis plusieurs mois, les salariés et apprentis encore en postes interrogés par 76actu sont constamment payés « en deux fois ».
On nous donne un acompte, environ 50 ou 60 % de notre salaire, autour du 25 ou 28 du mois. Et on a le reste autour du 5 ou 7, voire du 10 du mois suivant.
Un salarié
Au laboratoire de Rouen
Et ça, c’est quand les versements ne sont pas carrément oubliés. « Une jeune qui venait d’arriver en milieu de mois n’a pas eu son salaire car ils l’ont oubliée, se rappelle une responsable. Résultat, elle a été payée un mois et demi plus tard. C’était vraiment difficile pour elle. »
« On a vraiment le strict minimum »
Si toutes nos sources dressent un portrait relativement positif de l’ambiance d’équipe, les conditions de travail sont, elles, bien moins réjouissantes. Pour tous nos interlocuteurs, le matériel est souvent insuffisant, voire de mauvaise qualité. « On est démunis, insiste un salarié du laboratoire. On a vraiment le strict minimum. »
Parfois aussi, les équipements ne sont tout simplement pas adaptés. Un livreur nous confie que son camion n’est même pas équipé d’un système de réfrigération.
On n’a pas de camion frigorifique… Ce n’est pas le top pour des produits qui doivent rester frais.
Un livreur
Chez Yvonne
Un constat partagé par une responsable de boutique : « Une fois j’ai dû aller récupérer moi-même des produits parce qu’il y avait eu une erreur de livraison. J’ai dû tout transporter dans ma voiture perso, avec la clim… »
« On ne mange plus rien de chez Yvonne »
Et c’est sans compter la mauvaise qualité des réfrigérateurs de certaines boutiques. « Les nôtres montent parfois jusqu’à 17 °C, se désole la responsable. Ils sont vétustes et on a demandé à les changer. On attend toujours… »
La rupture de la chaîne du froid qui en découle a des conséquences, selon elle, mais aussi plusieurs vendeuses : « C’est simple, on ne mange plus rien de chez Yvonne. » Certaines de nos sources disent avoir été « malades » à plusieurs occasions après avoir consommé des produits des boulangeries-pâtisseries.
Une vendeuse nous fait aussi part d’un incident récent au sein d’une boutique : « Une plante toxique a été utilisée pour décorer une pièce montée. » Une erreur qui aurait pu être terrible. D’après une conversation WhatsApp entre salariés que 76actu a pu consulter, de la « gypsophile » a été placée. Il s’agit d’une plante toxique pouvant provoquer des troubles digestifs, selon plusieurs sites spécialisés en botanique.
Le laboratoire échappe à une fermeture administrative
Dernièrement, c’est aussi le laboratoire central des Hauts de Rouen qui n’est pas passé loin d’une fermeture à la suite d’un contrôle sanitaire.
Le laboratoire des Hauts-de-Rouen, qui alimente toutes les boulangeries d’Yvonne, faisait l’objet d’une procédure de mise en demeure depuis le 3 mars dernier suite à un contrôle sanitaire.
Les services de la préfecture de Seine-Maritime
Selon un salarié du laboratoire, « on n’avait plus d’eau chaude depuis un mois, il y avait du carrelage et des faïences pétées ». Mais « le strict minimum a été fait avec du cache-misère pour que ça passe », fait remarquer cet employé. D’après lui, il s’en est fallu de peu.
Vendredi 4 juillet, « les mesures prises pour corriger les non-conformités de fonctionnement et améliorer les locaux ont été constatées à l’occasion d’une nouvelle inspection effectuée par les services de la DDPP. Elles permettent de lever la mise en demeure », expliquent les services de l’État.
Si une fermeture avait été décidée, c’est toute l’activité d’Yvonne qui se retrouvait à l’arrêt. Tous les produits vendus chaque jour sortent de ce bâtiment. « Mais une fois encore, Jean-Marc Coudray s’en sort », peste un salarié. Mais pour combien de temps encore ?
Jean-Marc Coudray ne souhaite pas répondre
Sollicité à plusieurs reprises, le dirigeant d’Yvonne nous a répondu par écrit : « Nous n’avons pas vocation à répondre à chaque tentative de mise en cause, surtout lorsqu’elles sont alimentées par des personnes malveillantes. Nous restons concentrés sur notre activité, nos équipes et les projets en cours — sans nous laisser distraire par ce type de polémique ».
Concernant la mise en demeure de la préfecture, « il s’agissait d’obligations administratives précises, entièrement levées à ce jour, indique Jean-Marc Coudray. Les travaux demandés ont été réalisés, et nous sommes parfaitement en règle ».
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