Publié le
11 juil. 2025 à 7h44
« C’est tout simplement intenable ». Dans le décompte détaillé annuel de la régularisation des charges locatives 2024, envoyé le 14 avril 2025 par le Régie immobilière de la ville de Paris (RIVP), les 222 logements sociaux du 18 au 30 rue Boucry, à Paris (18e), ont vu leurs charges augmenter de près de 400 % par rapport à l’année précédente. Celles dédiées au chauffage et à la VMC sont, par exemple, passées de 266, 04 euros en 2023 à 1036, 98 euros en 2024 pour un logement dont actu Paris a pu consulter les récapitulatifs 2022, 2023 et 2024. Une « hausse vertigineuse », alors même que ces foyers font partie du parc social et que les conditions de vie au sein de la résidence sont particulièrement dures, entre insalubrité, manque d’entretien et insécurité. Le bailleur social, s’il reconnait une erreur de sa part, plaide qu’il n’a récupéré le site à In’Li que fin 2022 et qu’il n’avait, par conséquent, pas l’historique nécessaire pour assurer une gestion convenable. En attendant, des centaines de foyers sont dos au mur.
Conditions de vie dramatiques
Du numéro 18 au 28, la peinture cloque, s’écaille et la moisissure se répand. Dans les salles de bain des appartements, les emplacements des anciennes fenêtres ont été condamnés avant l’arrivée de la RIVP, ce qui participe à les rendre insalubre. La plupart des lumières de la cage d’escalier fonctionnaient rarement, du moins jusqu’à la fin juin, et le « sol n’est jamais lavé ou presque », juge des habitants auprès d’actu Paris. Au cours de l’hiver, plusieurs logement ont été privés d’eau et de chauffage pendant une semaine. « On versait de l’eau en bouteille dans les toilettes (…) J’allais me doucher chez un ami », nous ont, entre autres, relatés des locataires.
Cage d’escalier du numéro 28 rue Boucry. (©AD / actu Paris)
Au 18e étage du 30, un point de deal aurait pris racine. Une voisine a notamment retrouvé et photographié une seringue usagée. Par manque d’entretien, il arrive également que, « lorsqu’il pleut fort les boîtes aux lettres soient inondées ». Plusieurs sources croient aussi savoir que des marchands de sommeil prospèrent dans le parking qui, lui, n’appartient pas à la RIVP, et où du matériel de garage serait stocké.
Deux départs de feu sont, par ailleurs, survenus dans les sous-sols durant l’année écoulée. La police aurait, elle, été appelée pour deux tentatives de viol sur la rampe d’accès du parking. Et le bouton intérieur pour ouvrir la grille du 30… est accessible depuis l’extérieur. En d’autres termes, tout un chacun peut pénétrer dans l’enceinte. La situation avec les gardiens serait, en outre, très tendue. Un tableau global qui rappelle que, pour la grande majorité des locataires de la résidence, ils n’y vivent pas par choix.
« Ils ne comprennent que le rapport de force »
La missive du 14 avril dernier a été la goutte qui fait déborder le vase. « On a déjà du mal à boucler nos fins de mois et là, c’est comme un treizième mois ! », s’emporte une résidente d’un logement rue Boucry. Celle-ci évoque, aussi, « un mépris social » : « Ils rejettent toujours la faute sur les habitants, ou bloquent la communication. » Elle relate aussi une scène lors de laquelle un gardien lui aurait fait comprendre qu’elle n’a pas « les mêmes droits que dans le privé parce qu’elle habite dans le parc social ». Mère d’un enfant, elle enrage : « On nous traite différemment parce qu’on est pauvres ».
L’interrupteur ouvrant la grille de l’enceinte actionné depuis l’extérieur. (©AD / actu Paris)
Contacté par actu Paris, le directeur territorial de la RIVP, Laurent Vuidel, tente de calmer le jeu. « On a bien conscience que c’est une situation très compliquée pour les ménages. On va leur proposer un étalement sur plusieurs mois et voir au cas par cas ce qu’on peut faire », dit-il. Une réponse jugée insuffisante par près de 130 familles qui se sont regroupées dans un collectif pour défendre leurs droits. Dans la foulée, une première réunion a notamment été organisée le 27 juin avec la RIVP. Mais pas seulement. « On a une boucle WhatsApp. Un ascenseur est tombé en panne et on a tous contacté la RIVP en même temps. Ça a été réglé beaucoup plus vite, ils ne comprennent que le rapport de force », tacle un autre locataire.
Comment en est-on arrivé là ?
Quant aux causes de la hausse des charges, Laurent Vuidel avance deux arguments. « D’une part, l’ancien fournisseur d’énergie (Gaz Européen) a appliqué un bouclier tarifaire sur l’année 2023, alors que les prix étaient en réalité en dessous des seuils. Il a donc voulu récupérer la somme. L’autre chose, plus déterminante encore, c’est qu’il y a eu des problèmes dans le comptage électrique. C’est une erreur de notre part, on s’en est aperçu seulement début 2025… C’est un site qu’on a récupéré fin 2022 et on n’avait pas l’historique », se défend-t-il.
Résultat, d’un côté l’année 2024 serait « une année normale » alors que les factures en 2023 « étaient anormalement faibles », ce qui expliquerait « une importante régularisation ». De l’autre, les acomptes seraient aussi plus importants que l’année passée… « En additionnant le tout, ça fait une grosse différence », lâche-t-il timidement.
Le sol rafistolé d’un palier de la résidence. (©AD / actu Paris)
Puis il enchaîne : « On s’est engagé à une transparence totale, on a invité les locataires à un contrôle des charges… ». Une demande formulée, en réalité, par le collectif, via une lettre recommandée datée du 19 mai 2025. « [On demande d’accéder au plus vite, comme le prévoit l’article 23 de la loi n°89-462 du 6 juillet 1989, à toutes les pièces justificatives des dépenses de charges de l’année 2024 (factures, contrats d’entretien, contrats avec les fournisseurs d’énergie, etc.) pour que nous puissions nous assurer de leur bien fondé », précisent-ils.
Laurent Vuidel se répète : « C’est le site sur lequel on a le plus de difficultés concernant les régularisations de charges. C’est exceptionnel… Mais… Deux ans après le rachat… On n’avait pas l’historique ».
« Nous avons décidé de ne pas régler le rappel de charges »
« Sans présentation de justificatifs des charges imparties, la dette locative demeure inexigible. En attendant qu’elle nous laisse accéder à ces documents, nous avons donc collectivement décidé de ne pas régler à la RIVP le rappel de charges qu’elle nous réclame » : poursuivent les locataires en colère. Certains renchérissent en rappelant qu’ils ont dû engager des dépenses supplémentaires au cours de l’hiver pour acquérir des chauffages individuels électriques… « Sans geste de la parte de la RIVP en contrepartie », râlent-ils.
Pour sa part, Laurent Vuidel admet que le bâtiment est dans un « état de vétusté » important et martèle que des travaux de réhabilitation vont démarrer début 2027, avec le remplacement de toutes les fenêtres. « Le réseau d’eau passe dans les dalles. Donc, quand il y a une fuite c’est très compliqué parce qu’il faudrait la trouver et casser la dalle… Désormais, on passe en chauffage apparent de manière ponctuelle. Et, à partir du 10 juillet, il y aura une permanence pour ceux qui nécessiteront une mesure d’urgence ne pouvant pas attendre la réhabilitation », poursuit-il.
Le mur s’effrite au-dessus d’un logement du 28 rue Boucry. (©AD / actu Paris)
Le directeur territorial ajoute : « Il y a eu d’importants travaux à l’automne, avec l’ajout d’une pompe électrique, qui a un meilleur rendement qu’une chaudière à gaz (…) Ils fallait en passer par un moment plus compliqué. Les ménages qui étaient sous les 19 degrés réglementaires ont eu des indemnisations, pas ceux qui n’ont pas pu le prouver ».
« Anne Hidalgo voulait faire de la porte de la Chapelle la plus belle porte de Paris… »
Sur le sujet de l’entretien, Laurent Vuidel estime qu’à sa visite du mardi 8 juillet 2025 « l’état de propreté était satisfaisant ». Puis de spécifier : « Si les locataires veulent que le ménage soit fait avec une meilleure fréquence, il faut savoir que ça se répercute sur les charges récupérables, que ça a un coût. »
Le dirigeant balaie, enfin, d’un revers de manche le volet sécuritaire : « De notre point de vue, ça n’est pas un immeuble où il y un problème (…) Tous les locataires ont le numéro du GPIS (groupement parisien inter-bailleurs de surveillance) mais il est très peu utilisé. »
De son côté, le collectif se dit snober par le bailleur, comme les élus. « Anne Hidalgo avait déclaré qu’elle voulait faire de la porte de la Chapelle la plus belle porte de Paris et que notre quartier deviendrait aussi beau que les Champs-Elysées… », rie jaune l’un de ses membres. Ces derniers n’ont, en tout cas, pas abdiqué : « Nous sommes résolus à mobiliser tous les moyens nécessaires pour nous faire entendre. »
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