Une nouvelle vague de chaleur arrive en France en cette fin de semaine, quelques jours seulement après qu’une canicule a transformé le pays en barbecue géant. Des coups de chaud amené à se multiplier avec les années, et qui pousse petit à petit la France à revoir sa politique climatique.
En matière écologique, le pays a longtemps versé dans le « tout atténuation ». L’objectif était de réduire au maximum les émissions de gaz à effet de serre afin de limiter le réchauffement climatique. L’autre voie, « l’adaptation », qui consiste à mettre en place des mécanismes pour diminuer les effets négatifs de la hausse des températures – digue, climatisation. – a été la grande oubliée des politiques publiques.
Mais devant une météo qui s’affole, elle s’impose dans le débat. C’est notamment le propos de François Lévêque, professeur d’économie à Mines Paris Tech et coauteur du livre Survivre à la chaleur : Adaptons-nous (Odile Jacob, 2025). 20 Minutes s’est entretenu avec lui.
Comment expliquer que la France a si longtemps délaissé la voie de l’adaptation ?
Pendant longtemps, l’idée dominante était que les dégâts du réchauffement climatique se produiraient dans le futur. Ainsi, si les rapports du GIEC ont toujours averti sur les impacts du dérèglement du mclimat, jusque dans les années 2000, ils évoquaient les catastrophes à venir « si rien n’était fait », et non les dommages déjà présents et à court terme. La priorité était donc non pas de s’adapter au réchauffement mais de l’éviter au maximum, lorsqu’on pensait raisonnablement encore pouvoir le contenir.
Il y avait également un principe moral : Européens et Américains sont largement à l’origine des émissions historiques de gaz à effet de serre et se devaient donc de les réduire pour « payer leur dette » climatique.
Enfin, l’adaptation a été mise en retrait par crainte que les efforts ne soient réduits sur l’atténuation. Si l’on parvenait à vivre convenablement avec le réchauffement climatique, pourquoi lutter contre ?
L’adaptation a souffert d’un manque de résonance médiatique, qui l’a rendu peu « rentable » électoralement…
C’est un phénomène à bas bruit, une somme de petits éléments à l’influence locale… Réhausser une digue ici, végétaliser une rue là, c’est moins spectaculaire que de fermer une centrale à charbon. Même aujourd’hui, lorsque le gouvernement français sort un numéro vert, appelle à la vigilance ou rappelle de boire de l’eau, il est moqué. Pourtant, si lors de la canicule de 2003, 15.000 personnes sont mortes, les mesures d’adaptation prises depuis ont considérablement réduit la mortalité des vagues de chaleur en France. L’adaptation fonctionne mais elle reste peu impressionnante, et ses progrès et ses effets bénéfiques passent largement inaperçus.
Elle est également complexe à chiffrer. Les plans d’adaptation du gouvernement sont des catalogues de mesures. Lutter contre la canicule est très différent de la lutte contre les inondations ou les feux de forêt, ce qui va entraîner des réponses complexes, variées, et avec peu d’impacts médiatiques, là où une baisse de X % d’émissions de CO2 est plus simple à présenter.
Enfin, l’adaptation a longtemps eu des allures de renoncement, ce qui est peu vendeur politiquement lorsqu’une partie de l’électorat est sensible aux écologistes.
Mais elle commence à revenir dans le débat public. Que s’est-il passé ?
Il manquait une prise de conscience sur les dommages actuels du réchauffement climatique, qui vient petit à petit. Les catastrophes naturelles auraient coûté en 2024 près de 300 milliards d’euros, en hausse de 26 % par rapport à la moyenne des dix années précédentes, dont 2 milliards pour la France. Les inondations ont fait 355 décès en Europe, tandis que l’on compte 3.700 décès pour le seul été caniculaire 2023.
Et cela change tout à la moralité de nos actions. Puisque des gens meurent aujourd’hui du changement climatique, on ne va pas attendre que les émissions soient réduites de façon significative avant de les sauver.
Lors de la vague de chaleur de la semaine dernière, la climatisation est revenue au centre du débat, elle qui a longtemps été mal vue en France…
Pendant longtemps, la vision de la climatisation en France s’est concentrée uniquement sur ses coûts sans parler des bénéfices. Depuis qu’elle s’est développée aux Etats-Unis, elle a sauvé en moyenne 17.000 personnes par an. Et on ne parle que des décès. Il y a également des impacts très concrets sur la qualité de vie, qui sont des critères importants économiquement. Un employé qui dort mal chez lui car son logement est mal protégé contre les fortes chaleurs et qu’il n’a pas la climatisation ou de ventilateur travaillera moins bien la journée. On le constate à chaque vague de chaleur : la productivité du travail baisse dans les ateliers comme dans les bureaux.
La principale critique contre la climatisation reste son coût carbone mais en France, l’électricité est extrêmement décarbonée, donc ce reproche n’a pas trop de sens. La climatisation reste un bon exemple de comment les politiques d’adaptation s’imposent désormais dans le débat public.
La France doit-elle prévoir des plans d’adaptation ?
Elle le fait déjà – heureusement – et plutôt bien, mais après avoir longtemps délaissé cette voie, la France doit encore s’améliorer. C’est une politique le plus souvent rentable en matière de coûts/bénéfices. On peut également penser à des mix privés/publics, comme sur la climatisation par des pompes à chaleur réversible. C’est un achat souvent privé, mais il peut bénéficier d’aides publiques.
Le gouvernement doit également agir sur les comportements : ne mettez pas votre clim à 19 °C s’il fait 35 dehors, tout comme on l’a fait pour réduire le chauffage en hiver. Attention cependant, l’adaptation ne peut pas être la seule solution. Mais en tout cas, elle ne peut plus être la seconde roue du carrosse.