Les spécialistes et organisations internationales alertent : la grippe aviaire menace la santé publique mondiale et la sécurité alimentaire. Si la vaccination des canards rend la France pour l’instant indemne, les États-Unis font face à une véritable panzootie (équivalent animal d’une pandémie), responsable de pénuries d’œufs dans le pays. Or, la nouvelle administration Trump, très antivaccin, ne semble pas prendre les mesures adéquates pour endiguer le phénomène.
Que se passe-t-il aux États-Unis ?
La grippe aviaire A (H5N1) est apparue en 1996 en Chine mais, depuis 2020, le nombre de foyers de la maladie chez les oiseaux a bondi, un nombre croissant d’espèces de mammifères a été touché, ainsi que des régions du monde jusqu’alors épargnées, comme l’Antarctique.
Le virus a commencé à se répandre largement aux États-Unis début 2022, sûrement après des contacts entre différents couloirs d’oiseaux migrateurs dans l’Atlantique Nord, explique Jean-Luc Guérin, professeur en France à l’École nationale vétérinaire de Toulouse et chercheur à l’Inrae (l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement). Depuis, plus de 168 millions de volailles ont été abattues préventivement ou tuées par le virus aux États-Unis.
Au printemps 2024, des premiers cas ont été détectés chez des bovins laitiers (996 foyers recensés depuis). La glande mammaire des vaches s’est révélée être un récepteur particulièrement sensible au virus, qui se transmet habituellement par voie respiratoire. La propagation s’est accélérée par l’intermédiaire du matériel de traite et par le lait infecté. La pasteurisation écarte les risques pour la santé humaine, mais de grandes quantités de lait ont été détruites par précaution.
Soixante-dix cas humains, la quasi-totalité, après contact avec des animaux infectés et sans symptômes graves, ont été recensés. Un décès a été enregistré début 2025.
Et ailleurs ?
En Europe, la dernière grande vague de grippe aviaire remonte à la saison 2022-2023. Mais le virus circule toujours parmi la faune sauvage, avec une saisonnalité liée aux espèces migratrices « beaucoup moins stricte qu’avant », selon Jean-Luc Guérin qui explique que le virus est devenu « endémique » chez certaines espèces non migratrices.
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C’est, en millions, le nombre de volailles abattues par la France au plus fort de la pandémie de grippe aviaire, entre 2020 et 2023.
La Hongrie, qui élève beaucoup de canards, animaux « amplificateurs » du virus, est particulièrement touchée cette saison. Les volailles des Pays-Bas aussi, en raison d’une forte densité d’élevage dans des zones marécageuses « denses en faune sauvage ».
La France, qui avait connu plus de 2.200 foyers entre 2020 et 2023, avait abattu 35 millions de volailles. Elle a récemment retrouvé son statut indemne, avec moins d’une trentaine de foyers enregistrés depuis la vaccination obligatoire des canards (à partir d’octobre 2023).
Au Royaume-Uni, une détection chez un mouton – une première mondiale – a été annoncée fin mars, mais Jean-Luc Guérin appelle à la prudence face à un cas isolé. En Asie, la situation « reste préoccupante », ajoute-t-il, en référence au manque de données officielles. Deux décès d’humains infectés ont été signalés en 2025 au Cambodge.
Quelles réponses ?
Mettre en place un programme de vaccination est « relativement facile », souligne Jean-Luc Guérin. Mais il est « beaucoup plus compliqué » de le faire « en respectant les règles internationales », notamment en matière de surveillance, pour vérifier que le virus ne circule pas à bas bruit et ainsi ne pas perdre la possibilité d’exporter.
La Chine, qui n’exporte quasiment pas, vaccine ainsi depuis des années. La France est pionnière sur la surveillance, suscitant « beaucoup de curiosité ». Si la vaccination reste interdite dans de nombreux pays, elle est désormais évoquée par l’Onu parmi les solutions à envisager.
Les Pays-Bas envisagent ainsi de vacciner les poules pondeuses, les poulets ne vivant assez longtemps pour rentabiliser la vaccination, ni pour développer une immunité.
La doctrine américaine, « orientée par le business », est de « tout faire » pour éviter la vaccination. Le pays a toutefois récemment annoncé des fonds pour la recherche, en contradiction avec les propos du ministre de la Santé, Robert Kennedy Jr, antivaccin revendiqué qui a suggéré de laisser le virus circuler dans les élevages pour « préserver ceux qui développent une immunité ». Des propos décriés par la communauté scientifique face à la mortalité élevée chez les volailles ainsi qu’aux risques de mutations plus rapides et donc de transmission accrue à l’homme. L’administration Trump a par ailleurs arrêté de communiquer avec l’OMS sur la grippe aviaire.
Abattages préventifs et désinfections prévalent dans les pays touchés. Mais il est « impossible d’abattre 500 vaches comme on abat quelques dizaines de milliers de volailles », note Jean-Luc Guérin.