Les institutions culturelles n’ont jamais été autant critiquées qu’aujourd’hui. Pourtant, ce qui a été désigné comme « critique institutionnelle » dans les années 1970-1980, de Daniel Buren à Andrea Fraser, semble avoir fait long feu. Qu’en est-il aujourd’hui ?
En 1968, à Bruxelles, Marcel Broodthaers ouvre chez lui une institution fictive, le Musée d’Art moderne, Département des Aigles, Section XIXe siècle. L’artiste belge inscrit le nom du musée sur ses fenêtres et remplit son appartement de caisses de transports, faisant du même coup disparaître les œuvres du pseudo-musée dans l’attente d’être à son tour « liquidé » comme une marchandise. En 1971, l’artiste allemand Hans Haacke répond à l’invitation du Guggenheim Museum de New York par une enquête qui dévoilerait les malversations d’un magnat de l’immobilier lié au musée. L’exposition est finalement annulée, et son commissaire Edward F. Fry limogé. Six ans plus tard, à Paris, Daniel Buren, invité pour l’inauguration du Centre Pompidou, dissimule ses désormais célèbres bandes de 8,7 centimètres de large derrière cinq peintures, infiltrant littéralement le musée. En 1986, l’artiste américaine Andrea Fraser, ancienne étudiante du très pointu Independent Study Program du Whitney Museum (qui vient d’être suspendu, ndlr), inaugure une série de Gallery Talks dans le cadre d’une exposition au New Museum de New York. Sous l’identité fictive d’une conférencière bénévole, elle fait croire aux visiteurs qu’une visite guidée leur est offerte, pointant avec humour les rapports de force et la domination symbolique dans le milieu de l’art. Son modèle est Louise Lawler, qui produit des œuvres sur des boîtes d’allumettes, objets par définition en mouvement constant. « She is always also somewhere/something else » (Elle est toujours aussi ailleurs/quelque chose d’autre), conclut Fraser dans son fameux essai In and Out Places (1985). Pour l’artiste, il faut être à la fois « dans et hors » de l’institution.
Articulant des démarches qui n’ont parfois aucun rapport les unes avec les autres (on peut citer Chris Burden, Martha Rosler, Adrian Piper, Renée Green, Michael Asher…), des théoriciens de l’art réunis dans la revue October vont forger rétrospectivement le concept de « critique institutionnelle ». Selon l’historien de l’art Nicolas Heimendinger, « la réussite de cette entreprise a été telle que ce qui n’était au départ qu’une tendance de l’art récent, théorisée par un petit cercle d’historiens et de critiques d’art, est devenu un modèle à suivre pour de jeunes artistes formés à leur contact ». Parmi ces théoriciens, Douglas Crimp, Craig Owens, Benjamin Buchloh ou encore Hal Foster, qui « en écrivant et en enseignant, ont fait émerger la notion de critique institutionnelle, au risque, plus tard, d’en figer le sens ». Leur point commun : interroger « les conditions –…