Par
Laurène Fertin
Publié le
11 juil. 2025 à 20h33
Drifts, wheeling, runs : de l’autre côté des passionnés de l’automobile, la guerre est déclarée. Ou du moins, elle est ouverte depuis que les rassemblements ont commencé à déraper. Damien Le Chevalier, président de l’association Les pilotes bretons, organise des « événements automobiles », comme il les appelle, depuis qu’il a créé le collectif le 21 janvier 2021. Un terme plus polissé ; en tout cas, moins connoté péjorativement que « rasso » ou encore « rassemblements » qui évoque selon le jeune homme les « débordements » des vendredis soir sur les parkings des Burger King et autres Norauto de Saint-Grégoire… Et qui font mauvais genre quand il s’agit de demander des autorisations aux communes qui sentent les soucis arriver. Car les rassemblements, les « vrais », ce ne sont pas les pneus qui fondent sur le bitume ou encore les conducteurs qui « frôlent les gens » dans les allées d’un parking. La passion de l’automobile se trouve ailleurs, exempt de danger.
Actu : À quoi ressemblaient les premiers événements automobiles auxquels vous participiez ?
Damien Le Chevalier : Il y a quatre ans, les rassemblements se déroulaient à Saint-Grégoire, sur le parking du centre commercial Grand Quartier. Il y avait entre 10 et 20 voitures. C’était l’association Car Passion 35 qui organisait l’événement. C’était calme.
Ensuite, les événements se sont déportés à La Mézière, au Sous Bock (bar, N.D.L.R). Les vendredis soir, les rassos rassemblaient 10, 15 voitures. Il n’y avait aucun débordement, c’était nickel. C’est là où on allait, les gens discutaient, on se prenait un Burger King à côté, on restait jusqu’à une heure du matin et il n’y avait pas de débordements.
Et puis les événements ont grossi ?
DLC : Oui, c’était tellement bien que les gens ont commencé à en parler autour d’eux. Ça fonctionnait avec le bouche-à-oreille. Il y a eu plus de monde. J’y allais juste comme ça car je venais d’arriver à Rennes.
Petit à petit, c’était 30 voitures et plus… Et là les débordements sont arrivés. C’était de pire en pire : ça driftait, ça faisait des runs. C’étaient des nouveaux qu’on ne connaissait pas qui arrivaient.
Damien Le Chevalier
Président de l’association Les pilotes bretons
Qui étaient-ils ?
DLC : Je ne sais pas. Pour beaucoup, on ne les connaissait pas. Certains venaient juste avec leur 206. Ils ne pouvaient pas drifter donc ils burnaient – c’est-à-dire qu’ils restaient statiques tout en faisant tourner les pneus au sol, dégradant le bitume et mais aussi et surtout les pneus, qui risquaient d’exploser au sol. C’était pour se faire remarquer. À ce stade-là, on avait déjà arrêté d’y aller puisque c’était le bordel (sic).
Autrement, cela vous aurait fait mauvaise presse ?
DLC : Oui, c’est ça. Notre association commençait à être connue ; on ne voulait pas s’en mêler. On a donc décidé de s’en écarter.
Moi, j’avais une voiture qui était stickée Martini. Pour le délire, j’ouvrais le capot et je mettais des bouteilles de Martini dedans. C’était ma touche en rapport à l’époque Alfa Roméo qui était sponsorisé en Martini en DTM, c’était un clin d’œil. Les gens me reconnaissaient assez vite et me disaient “ah, c’est toi !”. Mais petit à petit, je ne venais plus.
Il s’y passait quoi, concrètement, sur ces événements ?
DLC : Certains étaient statiques, d’autres étaient juste là pour faire des runs entre les allées. Mais il y avait des enfants, des chiens… Il y en a qui manquaient de taper les voitures ou encore des personnes sur place.
C’était “coucou j’existe” : ils arrivaient avec leur Mustang et le but était de faire le plus de bruit pour se faire remarquer. Un jour, on a lu dans les journaux « arrêté préfectoral” à Saint-Grégoire car il y avait eu des motos du Mans qui étaient venues avec des pots d’échappement énormes faisant des flammes de 20m de haut. C’était il y a deux ans. On n’avait plus le droit de faire des rassemblements quelconques, même statiques. Même un camping-car qui voulait juste se reposer le soir n’avait pas le droit de rester là.
Comment avez-vous réagi face à cette interdiction ?
DLC : On a poussé un petit coup de gueule sur les réseaux sociaux. Il faut savoir que derrière, on était refusé des lieux sur le secteur rennais. Les communes nous disaient ‘Oui mais vous allez faire des runs chez nous’ alors que pas du tout.
Quand je fais les démarches maintenant, je ne parle pas de « rassemblement » ni de « rasso », je parle d’événement automobile. C’est juste jouer sur les mots mais ça facilite la communication avec les mairies et les préfectures. Si on leur met le mot rasso, c’est péjoratif.
Damien Le Chevalier
Président de l’association Les pilotes bretons
Avez-vous déjà eu un dialogue avec ceux qui organisent des rassemblements illégaux ?
DLC : Non, on n’allait pas à la confrontation. Dès qu’il y avait des débordements, sur place, on partait. On savait que la police ou les gendarmes allaient arriver dans peu de temps à cause des riverains. Donc on ne perdait même pas de temps à essayer de discuter, on partait direct. Comme ça, on n’avait pas de problèmes.
Vous avez pourtant tous la même passion pour les voitures. Qu’est-ce-qui vous différencie fondamentalement ?
DLC : Ce qui fait la différence, surtout, ce sont les autorisations que l’on demande à la mairie ou à la préfecture.
Aujourd’hui, il faut savoir qu’on fait des dossiers qui font plusieurs pages et qui montrent tout ce que l’on va proposer comme activités. Par exemple, un stand qui peut comprendre des produits dérivés de l’association, notre propre buvette – et rien que pour ça on est obligé de faire une demande de débit de boissons.
Aujourd’hui, on voit que les gens veulent des activités. On a passé un cap où l’association vieillit, on est dans une routine, les gens savent ce que c’est que Les pilotes bretons, c’est un peu redondant. On essaie de proposer d’autres choses, des activités, des shows différents notamment avec la venue d’Axel Stunt (le stunt est un ensemble de figures réalisées avec la roue avant et/ou la roue arrière, N.D.L.R), on a un peu d’adrénaline, du wheeling, des dérapages avec un quad… C’est un peu de l’illégalité de base mais là c’est autorisé, contrôlé et encadré.
Damien Le Chevalier
Président de l’association Les pilotes bretons
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Sous-entendu, des côtés des rassemblements illégaux, c’est plus facile à organiser ?
DLC : Oui, l’organisation de ces rassemblements est facile. À Rennes, il existe un compte Instagram qui diffuse les informations par une simple publication, ça suffit pour que les gens viennent.
Ils se dédouanent de tout, on ne sait pas qui sont les organisateurs, ils ne se montrent pas… Ça peut être n’importe qui : un jeune de 16 ans comme une personne de 45 ans, on ne sait pas. Du coup, dès que les autorités arrivent…
Est-ce-que vous comprenez les raisons pour lesquelles ces rassemblements se font dans l’illégalité ?
DLC : Oui, d’une certaine manière, car il y a une certaine adrénaline, un certain plaisir du danger. Mais bon, ça devient quand un peu extrême…
Par exemple, quand les voitures commencent à passer vite entre les gens sur le parking. À la rigueur, qu’il y en ait un qui traverse la quatre voies à fond… Mais quand on voit des voitures qui passent près des gens, des enfants… ok, le conducteur a l’air de contrôler mais il suffit d’une flaque d’huile et il encastre dix voitures.
À tout moment, on ne sait pas, il peut y avoir un gros caillou, une flaque, un truc et puis ils glissent et ils emboîtent tout le monde. Ceux que je comprends encore moins, c’est ceux qui viennent en tant que visiteurs sur les événements du soir : pourquoi ils acceptent ça ? Ils viennent avec leurs chiens, leurs enfants. Ils sont conscients de ce qu’il se passe, de ce qu’il y a. Du potentiel danger. Ils mettent des personnes et des êtres vivants en danger qui n’ont pas demandé à être là.
Damien Le Chevalier
Président de l’association Les pilotes bretons
Est-ce-que les rassemblements illégaux vous font de l’ombre ?
DLC : Oui, cela nous fait de l’ombre car on est englobé dedans. Il n’y a pas que Les pilotes bretons qui sont touchés ; toutes les associations automobiles sont impactées.
Aujourd’hui, à partir du moment où on a trouvé une commune qui veut bien nous accepter, on fait tout pour la garder. On va les voir, on leur demande ‘est-ce que vous avez eu des échos sur des potentielles gênes ?’ Car il peut y avoir des voisins qui se plaignent juste du bruit des voitures, ce qui est normal, parce que ça ramène beaucoup de monde.
Les rassemblements illégaux changent souvent de lieux et de communes. N’avez-vous pas peur qu’il ne soit plus possible de proposer des événements (légaux) à l’avenir ?
DLC : C’est ce qui va finir par arriver. Pour l’exemple, on préparait un événement à Vern-sur-Seiche. On avait trouvé un accord avec le patron du E.Leclerc, avec la mairie également. Et on voit passer sur Instagram une publication indiquant qu’un rassemblement illégal allait être organisé à Vern. Or, on comptait y être et de manière légale un mois plus tard.
On leur a donc envoyé un message pour leur signifier que ce n’était pas possible, qu’on était prêt à prendre les mesures et d’aller les dénoncer s’il le fallait. Si leur événement ne se passe pas bien, s’il y a des dégradations ou encore un accident… Le maire, dans sa légitimité, peut nous dire ‘non désolé, avec ce qu’il s’est passé vendredi, je n’ai pas envie qu’il y ait d’événement, j’annule le vôtre’.
On a préféré taper fort d’un coup pour montrer que l’on était prêt à préserver notre communauté. On n’est pas contre eux mais il ne faut pas qu’ils nous embêtent sur des lieux où on veut faire des événements.
Damien Le Chevalier
Président de l’association Les pilotes bretons
A contrario, que souhaitez-vous mettre en avant dans vos rassemblements ?
DLC : Au départ, ce qui anime les gens c’est de discuter avec d’autres de leurs passions communes. Par exemple, d’une marque de voiture ou d’un modèle précis. C’est aussi de voir des voitures mythiques comme des voitures de film, qui ont marqué l’histoire automobile par exemple les véhicules de Fast and Furious, Skyline.
Aussi, ce qui nous anime en tant que bénévoles et organisateurs, c’est de recevoir des messages de jeunes de 12, 13 ans qui nous disent ‘merci pour l’événement, j’ai pu voir la voiture de mes rêves’.
Dans ce cas, là, on a tout gagné. Il n’y a pas meilleure récompense.
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