« Cette année-là, je chantais pour la première fois… » L’imitation de Claude François est approximative, mais le message reçu cinq sur cinq : Robert Yvon est né en 1962. « Mes parents ont divorcé quand j’avais 13 ans. J’ai suivi ma mère, qui a rejoint sa famille à Antibes. C’est là que j’ai découvert le jazz. »

La phrase est lâchée avec une pointe d’émotion. L’ancien journaliste rajuste son chapeau, dodeline et replonge dans « ses » années soixante-dix : « À l’époque, j’écoutais The Police, les Wings, Elton John, les Bee Gees. Mon oncle Robert Amoyel m’a introduit à Jazz à Juan, où il était comme chez lui. Le 17 juillet 1976, pour mon tout premier concert, je me suis retrouvé assis à côté d’Ella Fitzgerald pour applaudir Ray Charles ! Elle m’a signé un autographe. » Le premier d’une très longue série.


Le 19 juillet 2009, Robert « Bob » Yvon monte sur la scène de la Pinède-Gould aux côtés de Tonya Baker. Oh happy day ! Photo Frantz Bouton.

L’adolescent se laisse séduire par les rythmes syncopés, les notes cuivrées et la passion qui transpire dans les jam-sessions. Il découvre le plaisir de « fureter en coulisses » – l’un des marqueurs de sa future carrière. Robert Amoyel lui ouvre également les portes de la Grande parade du jazz organisée dans les arènes de Cimiez. Et – privilège absolu – lui permet de piocher dans les six mille 33-Tours de sa collection.

« Jean d’Ormesson m’a encouragé à faire du journalisme »

Cela aurait pu suffire à combler les loisirs du jeune homme. Mais son autre oncle, Émile, lui transmet, parallèlement, son amour pour le 7e Art. « Il m’a permis d’animer à ses côtés le ciné-club de l’Antiboulenc, une association antiboise qui éditait un trimestriel. Tout naturellement, j’en suis venu à rédiger des interviews. La première, c’était celle de Jean d’Ormesson qui m’a encouragé à faire du journalisme. »

Robert, pourtant, hésite. Après avoir redoublé sa première et décroché « sans panache » un Bac D, il s’inscrit en fac de sciences à Nice. « Une catastrophe », concède-t-il en riant. D’autant qu’il a la tête ailleurs. À l’aube des années quatre-vingt, les radios libres pullulent. L’étudiant anime bénévolement une émission sur le cinéma, qui lui sert de viatique pour le festival de Cannes.

« En mai 1982, j’ai rencontré Jacques Tati et Steven Spielberg. Le premier, désabusé, se sentait rejeté par le cinéma français. C’était probablement l’une de ses dernières apparitions publiques (1). Je suis tombé sur le second au Carlton, par hasard, après avoir manqué sa conférence de presse… à cause de ma mobylette qui était tombée en panne ! Il m’a accordé cinq minutes, puis m’a offert une place pour aller voir E.T. l’extraterrestre. »

Le scénariste de « Valérian »

Cette expérience convainc Robert Yvon de marcher sur les traces de François Chalais. Après une année de droit « parfaitement inutile », il réussit le concours de l’IUT de journalisme de Bordeaux. À la rentrée 1983, il est accueilli par le directeur des études – un certain Pierre Christin. « Avoir le scénariste de Valérian parmi ses profs, c’était dingue », rugit-il. Béotien en matière de phylactères, l’étudiant sera initié par le maître aux trésors du 9e Art.

En 1986, diplôme en poche et libéré des obligations militaires, il tente sa chance à Nice-Matin. Mais la greffe ne prend pas. Il se tourne vers le concurrent, Var-Matin République, qui l’accueille en 1987 et le titularise deux ans plus tard.

« Ce n’est qu’après la fusion des deux journaux, en 1998, que j’ai pu revenir chez moi à Antibes », souligne-t-il. Il se souvient de « débuts difficiles » et de « peaux de banane » glissées sous ses semelles. « Les Varois n’étaient pas les bienvenus, euphémise-t-il. Pour moi qui avais passé toute ma jeunesse ici, c’était tout de même un comble ! »


A l’époque de « La Formule de Bob ». Photo Frantz Bouton.

Le rédacteur est muté à Cannes, au service magazine, puis de nouveau dans la cité des Remparts en 2008. Cette fois, les planètes sont alignées : son côté décalé, hors norme, séduit la nouvelle direction qui lui lâche la bride.

« Je suis un électron libre, plaide-t-il. Si on me laisse bosser, je ramène des infos exclusives. Mais pour couvrir le budget au conseil municipal, il vaut mieux envoyer quelqu’un d’autre… »

Tout le monde l’appelle Bob

À l’orée des années 2010, Robert Yvon devient « Bob », un personnage un peu lunaire, héritier putatif de Pierre Richard et… Jacques Tati.

La Formule du jour, rubrique gastronomique hebdomadaire, devient La Formule de Bob. Le journaliste y raconte ses pérégrinations gustatives, n’hésitant pas à pointer « la piquette » servie dans tel restaurant ou « l’état déplorable des sanitaires » dans tel autre. Il se charge ensuite de répondre aux lecteurs dans l’inénarrable Courrier de Bob, chef-d’œuvre d’humour (parfois) involontaire.

En juillet, couvre-chef en bataille, il prend ses quartiers à Jazz à Juan. Jeff Beck refuse toute interview ? Bob l’attend pendant quatre heures à l’entrée de la Pinède-Gould, l’apostrophe à la descente du bus et arrache au guitariste trente minutes d’entretien ! Aucun artiste ne résiste à son mélange de candeur, d’enthousiasme et d’érudition.

« Tout ça, c’est grâce à mon oncle Robert, répète-t-il en souriant. En 1996, j’ai eu le plaisir de lui rendre la pareille en lui présentant son idole Tony Bennett avec Phil Collins. Je me dis aujourd’hui qu’il serait fier de mon parcours. »

Son départ à la retraite, en septembre 2021, clôt un chapitre de l’histoire de Nice-Matin. Celles des « figures » singulières, personnalités atypiques et « grandes gueules » notoires, parfois insupportables pour leurs collègues mais investies dans leur métier à 200 %. Des petites mains au grand cœur qui, elles aussi, ont écrit la légende.

1. Le réalisateur de Jour de fête est décédé le 4 novembre 1982.